L’édito de Michel Le Bris

« Le monde est un roman »

Comme une vague grossissant à toute vitesse, qui menace de tout emporter sur son passage… Nous voici entrés dans la zone des tempêtes – et la première urgence est moins de savoir de quoi demain sera fait que de se repérer, déjà, dans la tourmente, de décrypter de quoi est fait notre aujourd’hui.

Le monde qui vient… Nous l’annoncions, nous avons exploré, année après année, quelques-unes de ses multiples facettes. La création du festival, en 1990, qui portait en sous-titre : « quand les écrivains redécouvrent le monde », n’avait pas d’autre objectif. Nous guidait cette conviction, à rebours des modes littéraires de l’époque, vouées pour l’essentiel à la contemplation de leur nombril, ou au maintien en état de survie d’avant-gardes en coma dépassé, qu’il y avait urgence à ce que la littérature française retrouve, elle aussi, les voies du monde, qu’en chaque époque de mutation ce sont les artistes, les écrivains qui donnent à sentir, à voir, à lire l’inconnu du monde qui vient.

Futile, la littérature, dans pareil maelström ? Au cœur de tout. Les sciences humaines, les unes après les autres, entrent en crise – en tous les cas, s’interrogent sur elles-mêmes. Et toutes – faut-il s’en étonner ? – retrouvent face à elles la littérature, et sa capacité à dire l’inconnu du monde. Autrement dit, se trouvent conduites, non seulement à se remettre en cause, mais à repenser, les puissances de la littérature. Enfin ! pourrions-nous dire : c’est le combat de notre festival. Ce sera donc le thème de cette nouvelle édition : « le monde est un roman ».

Crises, convulsions, terribles crispations, vertiges de destruction, prodigieux enfantement de monstrueuses mégapoles, surgissement de nouvelles générations d’écrivains et de cinéastes imposant d’autres sons, d’autres rythmes, d’autres voix : l’Afrique surgit sur la scène du monde, qui entend prendre sa place dans le siècle qui commence. Et l’Amérique, un roman ? Résolument, pour son incroyable capacité, depuis toujours, à se fictionner dans l’immédiateté et à réinventer sans cesse ses mythes fondateurs. Dans ses romans, dans ses films, dans ses séries TV, plus que jamais, l’Amérique est une légende.

L’Afrique qui vient

L’édition d’Étonnants Voyageurs à Brazzaville, en février dernier, en complicité avec Alain Mabanckou, aura été à bien des égards enthousiasmante. L’Afrique est entrée en mouvement, dont témoignent spectaculairement de nouvelles générations d’écrivains et d’artistes, qui mettent à mal nos discours convenus : nous voulions un événement littéraire donnant à voir et à entendre cette « Afrique qui vient », en train de prendre sa place dans le monde, qui entre en dialogue avec le monde, une Afrique rassemblée dans la diversité de ses expressions : pari tenu, nous semble-t-il. Mais comment ne pas en proposer le meilleur, au public du festival de Saint-Malo – et que se prolonge, s’approfondisse le dialogue entre ses acteurs et les écrivains présents, venus du monde entier ? Au programme : zoom sur l’Afrique du Sud, véritable laboratoire d’une Afrique en devenir, et un focus sur l’extraordinaire effervescence créatrice du Nigéria.

L’Amérique est une légende

En regard, cette année, l’Amérique. Où tant d’écrivains africains vivent aujourd’hui – y compris francophones. L’Amérique qui nous fascine, à commencer par ceux qui s’acharnent à décréter moribond, ou évanoui, le « rêve américain », ou dénoncent, chanson connue, son « impérialisme culturel ». L’Amérique à Saint-Malo, en cette année de réflexion, car elle pose, nous pose, par sa capacité à fictionner le monde, une question essentielle sur les puissances de la littérature – et du cinéma. Comment dire l’Amérique aujourd’hui ? Pléiade d’auteurs venus d’Outre-Atlantique pour en débattre. Avec David Simon, « l’homme le plus en colère de la télévision » (The Atlantic Monthly dixit), auteur de la série culte The Wire (Sur écoute), et qui publie un superbe Baltimore. L’Amérique est une légende : occasion, au passage, de célébrer la naissance d’Hollywood, il y a tout juste un siècle, avec son grand historien, Kevin Brownlow, de s’interroger sur la permanence du western en compagnie de Bertrand Tavernier, de revisiter l’histoire, avec Charles Mann, et Pekka Hamalainen dont L’empire comanche aura été un de nos coups de cœur, de revenir sur le rapport de l’Amérique à la frontière, et la notion de « melting pot ».

Étonnants Voyageurs dans l’année mondiale de la littérature

Dire le monde qui vient : nous sommes entrés il y a 2 ans dans une Word Alliance regroupant les 8 plus grands festivals littéraires du monde – et c’est de la part de nos partenaires un signe de reconnaissance qui nous va droit au cœur. Notre projet : la circulation d’auteurs, la mise en réseau d’initiatives.

Dont la première précisément est le lancement de débats à l’échelle du monde sur les enjeux de la littérature aujourd’hui. Ces « World Writers’ Conferences », ont été lancées lors du festival d’Edimbourg, en août dernier et se prolongent de festival en festival. 15 festivals de par le monde s’y sont associés, en sorte que l’on peut parler d’une « Année mondiale de la littérature ». Et nous nous y impliquons avec force, en plaçant ces débats à notre tour au cœur de notre festival. Nous avons commencé à le faire : ces débats, à Brazzaville, en février dernier, ont été de grande qualité, qui ont pris des allures « d’états généraux de la littérature africaine ».

Afrique, Amérique, année mondiale de la fiction, et puis, bien sûr, tous les rendez-vous habituels : Étonnants Voyageurs, cette année encore, au cœur du monde qui vient.

Michel LE BRIS
Président d’Étonnants Voyageurs