La couronne du pouvoir (incipit 1)

écrit par François QUINIOU, en 1ère au Lycée Kérichen de Brest (29)

Il me prit la main et m’entraîna parmi les loups.

– Savais-tu que dans ces vieux châteaux, on trouve souvent d’étranges choses ?

Les invités tentaient tant bien que mal d’approcher du buffet, où l’on servait les meilleurs vins et champagnes.

– Non, je ne le savais pas, quel genre de choses ?

Les petits fours étaient constamment renouvelés et assaillis par de nouveaux convives.

– Je ne sais pas, mais il y a des rumeurs sur des passages secrets, des souterrains... des catacombes, me dit-il, je ne le voyais pas mais j’imaginais un sourire derrière cette tête de taureau.

Certaines personnes improvisaient des danses de tout temps en essayant de se faire de la place dans cette mare de monde.

– N’essaye pas de me faire peur, cela ne marche pas avec moi.

L’orchestre passait d’une musique à l’autre, tantôt médiévale tantôt antique en passant par des classiques du siècle des lumières.

– Excuse-moi ! Loin de moi, cette idée ! Tiens, voilà, ici, nous serons plus au calme, annonça-t-il en désignant d’un grand geste de bras une tapisserie représentant un planisphère.

Un couple de joyeux mousquetaires chantait et dansait sur la table, chope à la main, sous le regard amusé des convives.

– L’Europe ! Comme c’est amusant...

Une princesse barbue et son chevalier servant rejoignirent le petit groupe et à eux quatre, entonnèrent une chanson paillarde et invitèrent un cardinal à les rejoindre.

– Ce monde peut t’appartenir si tu le souhaites, tu portes le nom de ce continent : ta destinée est d’y régner.

Les violons se mirent à jouer en crescendo en même temps que le petit groupe tournait dans la salle, peu à peu recrutant davantage de convives pour les suivre.

– Je ne crois pas au destin. Cela signifierait que quelqu’un décide de mon avenir et ça je ne le supporte pas.

Après avoir rassemblé la totalité des personnes dans la pièce, le groupe changea de salle, suivi par les musiciens qui prenaient de plus en plus goût à la fête. Mon interlocuteur enleva son masque.

– Je ne peux que te demander de mettre cela et de voir.

Il termina sa phrase en sortant une couronne du fond de sa tête de taureau. Le groupe formait un long serpent. La moitié des convives était réunie et cette disposition particulière des invités, créait malgré elle, plus d’espace pour se mouvoir.

– C’est étrange : cette couronne semble en or et pourtant elle est si légère. Mais que veux-tu qu’il se passe si je la mets ?

Les tables des buffets n’étaient plus autant ravitaillées qu’au début. Tout le monde, même les serviteurs, semblaient prendre part à la fête du côté des invités.

– Seul, toi tu peux le décider... Mets-la !

Tous les invités buvaient, dansaient et chantaient à cœur joie quand tout à coup, il y eut un grand courant d’air, suivi d’un grand silence. Les invités avaient disparu. À la place, se trouvait une longue chaîne de statues de granite.

– Que s’est-il passé ?

Même à l’extérieur, il ne semblait pas avoir de trace de vie. On pouvait voir par une fenêtre qu’à la place d’un grand jardin, il n’y avait que des cendres.

– La couronne fait de toi la maîtresse légitime de ce monde et elle a effacé toute forme de vie de ceux qui n’approuveraient pas ta suprématie. Seulement, comme tu peux le constater, il ne reste aucun survivant. Aucun d’entre eux n’aurait accepté de te considérer comme Maîtresse d’Europe.

Au milieu d’une grande salle, face à la tapisserie, il s’agenouilla devant moi. J’avais du mal à tenir debout, perturbée par ce qui venait de se passer en l’espace de quelques instants. Il semblait monter une sorte d’aura bleutée à travers le sol entre nous deux.

– Que se passe-t-il encore ? sanglotais-je. Pourquoi tout ceci m’arrive-t-il à moi ? Pourquoi maintenant ? et puis qui êtes-vous ? Je n’y comprends rien…

L’aura reliait à présent ma couronne et la poitrine de l’homme. Nos vêtements se métamorphosaient. J’arborais à présent une longue cape rouge, une légère armure d’or et des gants blancs. L’homme lui portait une armure plus épaisse blanche et une cape de la même couleur.

– Le rituel est terminé. Vous êtes à présent la maîtresse légitime de ces lieux, cela fait près de deux mille ans que ma famille attendait ce moment, celui où le seigneur d’Europe portant un nom identique se présenterait. Je suis ici pour vous servir, quels sont vos ordres, monseigneur ?

Il flottait dans l’air une atmosphère étrange. Je ne semblais plus trop surprise. Au contraire, même je prenais cela de manière naturelle. Je me redressai et semblais immense par rapport à l’homme toujours à genoux.

– Mon premier ordre en tant que Maîtresse de ces lieux est que tout ceci redevienne comme avant et que vous disparaissiez à tout jamais de ma vue !

J’étais soulagée : l’homme se redressa, esquissa un sourire et se pencha en avant, la main sur le cœur. L’ombre de l’homme semblait m’engloutir.

– Je regrette, Maîtresse, mais ces deux ordres sont impossibles… Toutefois, je peux vous donner tout ce que vous souhaitez.

J’étais perdue et tombai à genoux, la tête penchée vers le sol comme si une enclume m’était tombée sur le dos. Au bout de plusieurs longues minutes, sans bouger, je se redressai à nouveau, mes larmes débordaient de colère. Je pointai l’homme du doigt.

– Si tu peux vraiment tout me donner, je souhaite que tu me donnes ta vie !

Une nouvelle aura se mit à tourner autour de moi : celle-ci était de couleur rouge écarlate. Elle prit de la hauteur pour atteindre ma main et se matérialisa en une longue épée rougeoyante de sang. L’homme semblait plaqué au sol par une force invisible. Je levai mon épée et l’abattis sur le cou de ce dernier qui disparut dans une fumée noirâtre. Je pris alors sa couronne et la jetai au sol.

– Toi aussi, tu es la source de tous mes malheurs !

Je levai mon épée et fis de même qu’avec l’homme. Au moment où l’épée entra en contact avec la couronne, un grand éclair blanc surgit entre les deux objets et je fus propulsée contre le mur. Quand j’eus repris mes esprits, je constatai que la fête avait repris comme s’il ne s’était rien passé. Je remarquai cependant que j’avais conservé mon armure.

– Magnifique tapisserie, dit une voix à ma droite. Je me demande si un jour quelqu’un a déjà gouverné sur ces contrées.

Je frémis et tournai la tête tremblante car je reconnaissais la voix. Il s’agissait bien de l’homme au masque de taureau. Celui-ci me fit un geste amical et s’approcha de moi. Je restai muette.

– Me feriez-vous l’honneur de m’accorder cette danse ?

Je ne savais quoi répondre. Cependant, l’homme semblait différent d’avant, comme s’il s’agissait d’une personne totalement différente.

– Oui, ce serait un grand plaisir monsieur. Avec ce qui s’est passé, je pense que je n’ai pas encore profité de cette superbe fête.