Calle 54

de Fernando Trueba et C. Huete (2000, 105’)

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Projeté au festival Saint-Malo Etonnants Voyageurs en 2007 dans le cadre de la thématique consacrée à New York : Ville Monde, cet hommage à la musique latin jazz est à nouveau à l’honneur en Haïti, où la musique est à la fête en poésie et en littérature. Fernando Trueba réunit dans ce documentaire haut en couleurs des musiciens de latin jazz, donc, venus de tous les coins du monde latino-américain, de Cuba à Porto Rico, de Saint Domingue à Madrid et d’Argentine, dans un fameux studio new-yorkais de la 54ème rue : "Calle 54"... On y retrouve Tito Puente, Paquito D’Rivera, Eliane Alias, Chano Dominguez, Chico O’Farrill à Jerry Gonzalez, Michel Camillo et d’autres. Une odyssée du jazz latino saluée comme le meilleur film jazz de tous les temps, et qu’on ne se lasse pas de voir et revoir.

Fernando Trueba nous parle de son film, de la musique et du cinéma : " Je crois que la seule raison pour laquelle je fais des films, c’est que je ne suis pas capable d’écrire des romans, de peindre des tableaux ou de faire de la musique. Or, faire des films, c’est un peu comme si l’on faisait tout ça à la fois. La musique m’a donné tant de moments de plaisir, elle m’a tant aidé...

La musique remplit, meuble notre vie. Elle peut communiquer presque tout : mélancolie, exaltation, joie, tristesse... C’est le plus abstrait de tous les arts. Elle touche notre cœur avec des armes indéfinissables, irréductibles. Pourquoi telle note nous émeut et telle autre nos repousse, c’est là quelque chose de très difficile à expliquer. C’est affaire de chimie. Voilà peut-être la raison pour laquelle la musique, plus que tout autre art, résiste à l’analyse - ce qui n’implique aucunement qu’elle en soit débarrassée.

Ceux qui faisons du cinéma cherchons toujours à provoquer des sensations, à transmettre des états d’esprit. Nous sommes des chasseurs de sentiments, généralement à cheval sur la littérature et la fiction. Mais si parfois nous y parvenons, ironie du sort, c’est presque toujours dû à des choses qui échappent en partie à notre emprise, car elles relèvent de la magie.

Voilà justement l’essence même du jazz, car c’est la seule musique qui soit totalement ouverte à l’improvisation. C’est une musique où ceux qui la font comme ceux qui l’écoutent sont toujours - comme dans la chanson de Leonard Cohen - « en l’attente du miracle ». Le risque, l’excitation, l’aventure de faire un film comme celui-ci, c’était d’être présent, avec mes caméras, lorsque aurait lieu le miracle. Et de me situer, en tant que réalisateur, dans un territoire parallèle à celui de la musique que je filmais, les fenêtres bien ouvertes, pour capter tous les miracles.

Ces dernières années, bien des gens ont pris le jazz en horreur, le voyant comme une musique cérébrale, une musique « pour musiciens ». Paradoxalement, le jazz était, à ses débuts, une musique populaire, dansable. Je crois que le grand apport des latinos au jazz aura été de lui rendre la vie, la joie, l’énergie que jamais il n’aurait dû perdre. Sans compter l’apport d’une infinité de rythmes, parfois fort complexes, issus de toutes les musiques latines.

C’est au travers du jazz que le latino, qui est si à la mode ces derniers temps - et si souvent pour les pires des raisons - trouve à mon avis son expression la plus noble, la plus exaltante, la plus sophistiquée, la plus exubérante. Cette musique m’a donné bien du plaisir, tout en m’aidant à vivre comme aucune autre ne l’a fait. Calle 54 est la monnaie que j’ai choisie pour régler ma dette. Et puisque j’ai toujours cru que la fonction principale de l’art n’était autre chose que d’aider les gens à vivre, j’ai tenté, par ce film, de transmettre la joie qu’il y a dans cette musique, ainsi que ma passion pour celle-ci.

Pour moi, Calle 54 est une comédie musicale portant sur la musique, sur la façon dont elle est créée, dont elle jaillit. Son thème, son scénario, ce sont les morceaux de musique choisis. Ses acteurs principaux, les musiciens. Je ne le vois pas comme un documentaire mais comme une fiction, un autre genre de fiction. En ce sens, Calle 54 est un de mes films les plus personnels, encore que mon rôle soit plutôt celui d’un intermédiaire, d’un médium. Or n’est-ce pas cela justement, un metteur en scène ?

Dans mon monde - ce n’est pas le seul, mais c’est le mien - une des règles de base de l’amitié, c’est le partage. Un ami, c’est celui qui vous fait découvrir des livres, des films, des musiques, d’autres amis... Et la finalité de Calle 54 n’est autre que de partager un festin musical avec tous ceux qui en voudront. Convaincu que la musique se suffit à elle-même, j’ai voulu éviter le didactisme ; et pour le choix du menu, j’ai été rigoureusement subjectif. D’aucuns se demanderont pourquoi celui-ci et non tel autre, en fonction de critères commerciaux, critiques, musicaux, historiques, etc. Quant à moi, je me suis limité à suivre une des rares règles que je me suis fixées : filmer ce que j’aime. "

Le film a obtenu en 2000 le prix Goya du Meilleur son en Espagne.

Plus de détails encore sur le site du film : https://www.calle54film.com/