Coup de cœur Télérama : Florent Couao-Zotti (Bénin)

L’envers du paradis
Florent Couao-Zotti ©Mélani Le Bris

Il est tout doux, tout sourire, Florent Couao-Zotti. SA bonhomie tranche avec son écriture pimentée, qui ne craint ni les brusqueries ni les images ardentes. Florent Couao-Zotti est né au Bénin, en 1964. A Cotonou, il a suivi des études de Lettres, et il enseigne aujourd’hui dans le secondaire. Tout jeune, il est surpris "du jour au lendemain" à écrire de la fiction. Depuis, il ne cesse de traquer les bas-fonds de son pays, là où explose la souffrance des hommes - misère, criminalité et prostitution - à l’affût non pas de "héros" mais de personnages de trottoirs à qui il inocule sa propre fièvre, ses propres obsessions. L’écrivain excelle dans la nouvelle, cette forme courte, rapide, concentrée, qui en disant l’essentiel joue sur les nerfs du lecteur, le malmène jusqu’au plaisir : "C’est un genre approprié à notre continent qui n’a pas l’écriture dans sa culture."
Elevé "au biberon français", il doit à Victor Hugo son goût d’inventer et de raconter des histoires. Comme tout Africain riche de plusieurs langues (tribales ou de colonisation), de plusieurs cultures, Florent Couao-Zotti mijote le français à sa sauce. Sous sa plume, une prostituée est une "cul-boutique", un gosse "un enfant-caniveau". « Nous avons hérité, dit-il, de la langue française. Mon bonheur, c’est de la travailler au corps, jusqu’à ce qu’elle crie, tout ce qu’il y a en moi. Ce langage-cocktail est à la fois une responsabilité et un superbe défi. »
Florent Couao-Zotti se bagarre contre les clichés qui collent à l’Afrique : « Une Afrique royaume de l’enfance, comme disait Senghor, où tout est tranquille, où l’on peut se ressourcer éternellement. C’est le spectacle que donnent à voir les mauvais films - on les appelle chez nous les films-callebasses - remplis de couchers de soleiln de moutons et de cases. Une terre vierge, depuis la préhistoire, un paradis. » Cette Afrique figée effarouche l’écrivain qui dès lors ne craint d’en raconter ni les abominations (zoophilie, nécrophilie) nie le surnaturel poétique, immondices et beautés sur la même page : « Je balade mon miroir dans ce magma d’hommes, de femmes, de gosses, je les regarde vivre et lutter, aimer et mourir, j’écris leur dérive. »
Martine Laval