Écrire une « histoire connectée », décentrer le regard conquérant et confronter différents points de vue, critiquer et croiser des textes d’origines diverses en interprétant une variété d’archives. Cette approche de l’histoire, Sanjay Subrahmanyam la pratique au plus haut niveau, grâce à sa connaissance de nombreuses langues (tamoul, hindi, anglais, français, ourdou, espagnol, portugais, allemand, italien, persan, danois, néerlandais), grâce à sa formation pluridisciplinaire d’économiste et d’historien, grâce à son expérience personnelle de nomade, ayant vécu et travaillé sur plusieurs continents et absorbé de multiples influences.
Pour illustrer ce nomadisme, il suffit d’évoquer le parcours de Sanjay Subrahmanyam. De l’Inde à Paris, en passant par le Portugal, l’Angleterre et les Etats-Unis. Né à Delhi, il fait le choix pendant ses études de rester en Inde lorsque tous ses amis décident de s’expatrier. Il devient rapidement l’un des plus grands spécialistes de l’histoire de l’Inde du XVe siècle, et commence à s’intéresser aux voyages de Vasco de Gama. Il publie en 1997 une étude poussée sur le célèbre explorateur, qui le propulse aussitôt au devant de la scène universitaire et dans laquelle il détruit l’icône chère au nationalisme portugais, comme fondateur désintéressé d’un empire pour la remplacer par l’image beaucoup plus contrastée d’un homme cupide, cruel et ignorant tout des régions civilisées qu’il avait abordées par la route maritime nouvelle du Cap de Bonne Espérance. Parmi les nombreuses autres publications de Sanjay Subrahmanyam, on peut citer The Political Economy of Commerce : Southern India, 1500-1650, (Cambridge University Press, 1990) où il analyse l’économie de l’Inde du Sud au XVIème et XVIIème siècles et l’empire portugais d’Asie, décrivant sous un jour nouveau la colonisation portugaise sur les côtes et les îles de l’océan Indien.
Invité dans toutes les grandes universités du monde, il a occupé des chaires à l’université de Delhi, à l’EHESS de Paris, à l’université d’Oxford, à l’UCLA (Los Angeles) et, depuis 2013, au Collège de France.
Dans son ouvrage publié en 2013, Comment être un étranger, il interroge le sentiment d’appartenance à la culture en racontant les destins croisés de trois personnages historiques entre l’Europe, l’Iran et l’Inde moghole aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Il réunit en 2015 dans les Leçons indiennes, itinéraires d’un historien des articles qu’il publie entre 1995 et 2012 et qu’il destine à un lectorat plus large. Le recueil de Sanjay Subrahmanyam foisonne de sujets et le lecteur nomadise, suivant le cheminement personnel de l’auteur, de Vasco de Gama aux attentats du 11 septembre 2001 : « La civilisation indienne est-elle un mythe ? (…) Comment relier qualité littéraire, vénération du pouvoir, culte de la personnalité de l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez ? Éclectique, l’historien revient sur l’œuvre de l’écrivain V. S. Naipaul, questionne le destin des Thugs, bandits de grands chemins du XIXe siècle, mais aussi le 11 septembre 2001… » (Emmanuel Hecht, L’Express ).
Son nouvel ouvrage, L’Inde sous les yeux de l’Europe, s’intéresse à la vision que les Européens avaient de l’Inde avant la colonisation britannique du XVIe au XVIIIe siècle. Un voyage fascinant dans la culture indienne et une galerie de portraits hauts en couleurs, qui permettent de porter un regard neuf sur l’élaboration de la pensée européenne. Car, la rencontre avec ce qu’ils appellent l’Inde a en réalité permis aux Européens de se penser eux-même, de penser l’Europe et de penser le christianisme, bien plus qu’une quelconque connaisance de la culture indienne elle-même.
Bibliographie
- L’Inde sous les yeux de l’Europe (Alma, 2018)
- Leçons indiennes. Itinéraires d’un historien (Alma, 2015)
- Comment être un étranger : Goa-Ispahan-Venise, XVIe-XVIIIe siècles (Alma, 2013)
- Vasco de Gama : Légende et tribulations du vice-roi des Indes (Alma, 2012)
- Textures du temps : Écrire l’histoire en Inde (Seuil, 2004)
- L’Empire portugais d’Asie, 1500-1700 : Histoire politique et économique (Maisonneuve & Larose, 1999)