ROUAUD Jean

France

4 avril 2023.

Écrivain, romancier, parolier, membre du Prix Ouest-France et ami du festival, révélé en 1990 pour son roman Les Champs d’honneur qui obtient le Prix Goncourt, il signe une œuvre plurielle et riche. C’est sa jeunesse rythmée par les événements de mai 68 qu’il raconte avec humour et mélancolie dans la trilogie La Vie Poétique. Après un récit autobiographique retraçant son parcours de vendeur de journaux dans le Paris rocambolesque des années 1980 et un essai politique musclé sur la pensée libre face à une société dépossédée, il revient avec un tract sociologique percutant prônant le repos et le retour au calme dans un monde capitaliste effréné. Non sans humour, Jean Rouaud propose dans Shabbat, ma terre un retour au calme au sein d’une culture de la productivité à tout prix, jusqu’à l’épuisement de nos ressources, qu’elles soient naturelles ou humaines.

 

Membre du Prix Ouest-France et ami du festival Étonnants Voyageurs depuis longtemps, Jean Rouaud obtient le Goncourt en 1990 pour son roman Les Champs d’honneur. Il a alors 38 ans.
Après avoir été technicien de comptage automobile aux carrefours embouteillés, monteur et démonteur de décors de théâtre, arpenteur de plages et vendeur de glaces (l’été) et de beignets (l’hiver), courbé sur la plonge (été comme hiver), il se lance définitivement en littérature. Pratiquer mille-et-un métiers c’est n’avoir à en choisir aucun, c’est s’accorder le droit à la paresse et il y a déjà dans cet inventaire à la Prévert un peu de « la vie poétique ».

Le Goncourt et la notoriété le surprennent alors qu’il tient le kiosque à journaux de la rue de Flandre, dans le 19e arrondissement de Paris. Il écrit ensuite les quatre romans qui, avec Les Champs d’honneur, forment un cycle romanesque fondé sur l’histoire de sa famille et certains aspects de sa propre vie : Des hommes illustres, Le Monde à peu près, Pour vos cadeaux, Sur la scène comme au ciel.
Dans ses trois derniers romans, Comment gagner sa vie honnêtement, qui emprunte son titre à Thoreau, Une façon de chanter et Un peu la guerre, Jean Rouaud revient sur sa jeunesse dans les années 1970 et raconte avec humour et mélancolie comment l’époque l’a fait. Entre refus du travail et vie de bohème à Paris, le premier tome de cette trilogie nommée La Vie Poétique, retrace les débuts d’une existence guidée par la poésie. Le deuxième tome, paru en 2012, place la musique en son cœur, du folk protestataire de Bob Dylan au rock garage des Kinks.
Dans Un peu la guerre (2014), Jean Rouaud revient sur sa vocation d’écrivain, survenu au moment même où l’on annonçait la mort du roman. Récit d’une persévérance, il retrace le parcours du romancier jusqu’à la publication de Les Champs d’honneur, dans un contexte intellectuel où la figure de l’auteur était fustigée.
Il publie aussi quelques essais comme Les Corps infinis ou Souvenirs de mon oncle, une revisite du film de Jacques Tati, ainsi que de nombreux romans parmi lesquels La Désincarnation, L’Imitation du bonheur, La Fiancée juive, ou La Femme promise. Dans son livre L’invention de l’auteur paru en 2004, il raconte comment la mort de son père en 1963 a été à l’origine de sa vocation d’écrivain.

En 2007, il signe avec Michel Le Bris le manifeste Pour une littérature-Monde, qui efface la distinction entre littérature française et francophone et sort l’imaginaire du confinement dans lequel certains l’enferment. La littérature-monde vise donc, de façon ultime, à libérer la langue « de son pacte exclusif avec la nation » pour ne donner à l’imaginaire d’autres « frontières que celles de l’esprit. »
En 2015, il poursuit sa réflexion sur l’écriture du roman, en publiant deux nouveaux livres, Être un écrivain et Misère du roman, considérations sur ce que l’auteur appelle la « déposition du roman » ou sur la possibilité et la volonté d’écrire en tenant compte des convulsions du monde.

Tout paradis n’est pas perdu, ultime essai de l’écrivain évoquant le traitement de la laïcité depuis 1905 (loi de séparation de l’Église et de l’État) jusqu’à nos jours, autour de la question des interprétations et représentations religieuses, terreau de notre société de l’image.
« Quand le ton a monté sur la question du voile et du menu de substitution, il m’a suffi de me retourner pour revoir dans mon enfance ce geste des femmes se couvrant la tête d’un fichu avant de sortir. Nous étions en Loire-Inférieure et la loi de 1905 était suffisamment accommodante pour accorder un jour férié aux fêtes religieuses et servir du poisson le vendredi dans les cantines, et pas seulement celles des écoles libres. Loi de séparation des Églises et de l’État, mais en réalité de l’Eglise catholique et de l’État, les autres faisant de la figuration, et l’Islam n’existant pas puisque les musulmans d’Algérie n’avaient pas le statut de citoyen.
De même, il a fallu la tragédie de Charlie pour nous rappeler qu’on avait longtemps débattu avant d’autoriser la représentation des figures sacrées. Ce qui n’allait pas de soi tant le monothéisme se méfiait de l’idolâtrie en souvenir du veau d’or. Les conciliaires réunis à Nicée tranchèrent en faveur de la représentation. C’était en 843. Notre monde envahi d’images vient de là. Ce qui n’en fait pas un modèle universel. »

En 2017, il publie Stances, un recueil composé de six textes et six chansons, regroupés sous six rubriques telles qu’on les trouve à l’intérieur d’un quotidien : art, communications, sciences, culture, politique, littérature. La splendeur escamotée de frère Cheval ou le secret des grottes ornées, paru en 2018, produit une reflexion vertigineuse sur son thème de prédilection, l’Histoire, en interrogeant le sens des fresques préhistoriques des grottes de Chauvet, Lascaux, ou Font-de-Gaume.

En 2019, l’auteur revient avec Kiosque, roman autobiographique d’une douceur et d’une tolérance incroyables, qui revient sur son expérience de vendeur de journaux rue de Flandres à Paris, de 1983 à 1990. Par un récit bien huilé, l’écrivain nous baigne dans le quotidien d’un Paris qui n’est plus, peuplé d’une galerie de personnages tous plus éclopés et attachants les uns que les autres. Il nous offre avec une douceur infinie le monde pour ce qu’il est, avec l’approche profondément humaine d’un portraitiste de génie.

L’année suivante, il signe un essai politique musclé prônant la pensée libre contre une société dépossédée de son savoir-faire au profit des multinationales, et dépendante d’une agriculture qui glorifie l’élevage intensif au détriment des sols et des plantes. Sa plume jubilatoire et terriblement humaniste dénonce un mode de pensée globalisé - autant qu’elle encourage, avec humour, les initiatives individuelles.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

L’avenir des simples

Grasset - 2020

On a bien compris que l’objectif des « multi-monstres » (multinationales, Gafa, oligarchie financière) était de nous décérébrer, de squatter par tous les moyens notre esprit pour empêcher l’exercice d’une pensée libre, nous obligeant à regarder le doigt qui pointe la lune, ce qui est le geste de tout dictateur montrant la voie à suivre, de nous rendre dépendant des produits manufacturés, des services et des applications en tout genre, nous dépossédant ainsi de notre savoir-faire qui est leur grand ennemi, un savoir-faire à qui nous devons d’avoir traversé des millénaires, du jardinage à la cuisine en passant par le bricolage, l’art savant de l’aiguille et du tricot et la pratique d’un instrument de musique au lieu qu’on se sature les oreilles de décibels. Reprendre son temps, un temps à soi, reprendre la possession pleine de sa vie. Et pour échapper à l’emprise des « multi-monstres », utiliser toutes les armes d’une guérilla économique, montrer un mépris souverain pour leurs colifichets : « votre appareil ne nous intéresse pas », graffite le capitaine Haddock sur un mur. Contre les transports, la proximité des services, contre l’agriculture intensive empoisonneuse, des multitudes de parcelles d’agro- écologie, ce qui sera aussi un moyen de lutter contre l’immense solitude des campagnes et l’encombrement des villes, contre la dépendance, la réappropriation des gestes vitaux, contre les heures abrutissantes au travail, une nouvelle répartition du temps, contre les yeux vissés au portable, le nez au vent, et l’arme fatale contre un système hégémonique vivant de la consommation de viande, le véganisme. Car nous ne sommes pas 7 milliards, mais 80 milliards, à moins de considérer que tout ce bétail qui sert à engraisser nos artères ne respire pas, ne mange pas, ne boit pas, ne défèque pas. Il y a plus de porcs que d’habitants en Bretagne, et quatre-vingt pour cent des terres cultivées dans le monde le sont à usage des élevages, pour lesquels on ne regarde pas à la santé des sols et des plantes. Renoncer à la consommation de viande et des produits laitiers, c’est refroidir l’atmosphère, soulager la terre et les mers de leurs rejets toxiques, se porter mieux, envoyer pointer au chômage les actionnaires de Bayer-Monsanto et en finir avec le calvaire des animaux de boucherie pour qui, écrivait Isaac Bashevis Singer, « c’est un éternel Treblinka ».

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Revue de presse :