PEF

France

6 avril 2018.

On dit de la pluie qu’elle fournit des poètes. Pef, de son vrai nom Pierre Eli Ferrier, est né un jour pluvieux de mai, en 1939 et il est très certainement l’une des plus charmantes (et des plus connues !) plumes de la littérature jeunesse, dont le Prince de Motordu reste la figure la plus emblématique. Pour son dernier livre, tendre, subtil et jubilatoire, le poète ne se comporte pas seulement en prince des mots tordus, il tord le nez aux idées reçues, cherche à quoi rime le monde, et se demande « comment viennent les idées de poème ». Un pur bonheur !

 

On dit de la pluie qu’elle fournit des poètes. Pef, de son vrai nom Pierre Eli Ferrier, est né un jour pluvieux de mai, dans la Sarthe, en 1939 et il est très certainement l’une des plus charmantes (charmeuses ?) plumes de la littérature jeunesse.

Fils d’instituteurs, il se souvient d’avoir eu une enfance sage et obéissante. À commencer par six premières années où le rire n’a pas tellement droit de cité, c’est la guerre, et son cortège de fantômes à peupler les têtes des enfants, parce que personne ne censure la guerre. Il s’en souviendra plus tard lorsqu’il travaillera sur son livre Zappe la guerre ou avec Didier Daeninckx sur Les trois secrets d’Alexandra. Une éducation plutôt stricte, pas de BD mais des classiques – du théâtre surtout, de par son père, grand amateur. À quatorze ans, il commence à écrire des poèmes en secret, à vingt ans il se lance dans le dessin, et tout ce qu’il avait retenu en lui jusque-là ressort, peut-être un peu trop fort, un peu trop agressif, il se rend vite compte que l’humour noir ne lui réussit pas.
Il s’engage alors en journalisme. Ça durera vingt ans. Dessinateur de presse pour la revue Arts où il travaille aux côtés de Roland Topor, puis dessinateur et rédacteur chez Franc-jeu, enfin rédacteur en chef de la revue pour enfants Virgule. Entre-temps, comme il faut parfois améliorer l’ordinaire, il exerce des petits boulots extra-ordinaires, de dessinateur pour l’industrie pharmaceutique à testeur de voitures de courses en passant par commercial imaginatif en produits cosmétiques... En 1975, il est remarqué pour sa collaboration aux pochettes des albums d’Anne Sylvestre et publie son premier livre en 1978, Moi, ma grand-mère.
Deux ans plus tard c’est, avec La belle lisse poire du Prince de Motordu, la naissance de l’un des plus célèbres personnages de la littérature jeunesse en France, claironnant poète dyslexique le Prince de Motordu accroche les mots et redessine le monde au gré de ses fantaisies. Il est, pour Pef, « le héros de la petite insolence du langage ».
Les nombreuses aventures du Prince de Motordu, Rendez-moi mes poux, Une si jolie poupée, Je m’appelle Adolphe, la série télévisée Les Pastagums avec Alain Serres… la liste des succès de Pef est impressionnante, tout autant que la modestie et la simplicité de l’homme : « Le succès n’est pas seulement celui d’un livre. Il est celui de la liberté et de la poésie. Il récompense la prise de pouvoir des enfants sur le langage et leur grande disponibilité envers cet outil qu’est la langue, véritable pâte à modeler, jouet inusable et gratuit. »

Doux rêveur, questionneur de monde, Pef manie humour et fantaisie avec profondeur « l’humour est la disponibilité du langage (…) comme une manifestation libertaire de l’esprit. Pourquoi les crapauds ne pourraient-ils pas être bleu-blanc-rouge ? Pourquoi deux plus deux ne feraient-ils pas tarte ? Je prends l’enfant tant qu’il a une disponibilité au monde. » Et il est impossible de ne pas évoquer, en parlant de Pef, son engagement : « Si je suis engagé, c’est peut-être dans l’exploration de la richesse aussi bien que le côté insupportable et détestable de l’humanité ». Il se veut « artisan de la société », combat l’illettrisme, anime plusieurs associations, se porte inlassablement à la rencontre de ses lecteurs, voyage énormément – Finlande, Québec, Sénégal, Guyane, Nouvelle-Calédonie… pour voir si les enfants sont bien toujours aussi épatants sous d’autres lattitudes. Au passage il ramène pour sa collection des petites voitures et des grains de sable…

Pef écrit également parfois pour les adultes, à vrai dire il pense écrire à chaque fois pour tous publics. Il y a quelques années il décide de se lever chaque matin vingt minutes avant le soleil et d’écrire, où qu’il soit dans le monde, sur son état d’esprit du moment. Le livre s’intitule Le Soleil sur la langue, paru en 2003.
Pour son dernier livre, Ma guerre de cent ans, Pef part à l’assaut de sa mémoire familiale et personnelle. Le récit débute avec la mort de son grand-père sur le champ de bataille au début de la Première Guerre mondiale et continue sur les différentes guerres qui ont marqué ce siècle et que Pef a vu avec ses yeux d’enfant puis d’adulte.

L’un de ses derniers projets en date : faire partir chaque jour de chez lui des ballons auxquels il accroche un poème, comme « des bouteilles… à l’air. »
La formule ne lui plairait peut-être pas, mais Pef est presque devenu une institution, pour preuve, depuis 1995 deux écoles et trois bibliothèques portent son nom !

Pour son dernier livre, tendre, subtil et jubilatoire, le poète ne se comporte pas seulement en prince des mots tordus, il tord le nez aux idées reçues, cherche à quoi rime le monde, et se demande « comment viennent les idées de poème ». Un pur bonheur !

Voir également l’article de Jean-Luc Fromental : Pef, le prince de Motordu


Bibliographie :

 

DERNIER OUVRAGE

 
Poésie

Toujours un mot dans ma poche

Bruno Doucey - 2018

Si le fleuve coule c’est qu’il ne sait pas encore nager. Le cheval noir fume mais ce n’est pas la pipe. Sur le parvis, un homme est couché en chien de fusil le long de sa chienne de vie. Qui a bu aboiera… On l’aura compris, Pef aime jouer avec les mots, mettre à jour leurs incongruités, dévoiler leurs sens cachés, les détourner de l’usage journalier qui finit toujours par ternir leurs couleurs. Tout simplement, les mettre en bouche comme des gourmandises… Toujours un mot dans ma poche : avec ce livre tendre, subtil et jubilatoire, le poète ne se comporte pas seulement en prince des mots tordus, il tord le nez aux idées reçues, cherche à quoi rime le monde dans lequel nous vivons, s’arrime aux nuages qui filent dans le ciel et se demande « comment viennent les idées de poème ». Un bonheur que je suis tout simplement heureux de sortir… de ma poche !