Colin Thubron : Prix Nicolas Bouvier 2010

22 mai 2010.
 

Colin Thubron est lauréat du quatrième prix Nicolas-Bouvier. Son récit, En Sibérie (Hoëbeke, 2010), a été couronné à l’unanimité du jury.

Alain Borer, Pascal Dibie, Alain Dugrand, Gilles Lapouge et Björn Larsson- avaient retenu les ouvrages suivants pour leur ultime délibération :

Fondé à l’initiative de Michel Le Bris, d’Etonnants Voyageurs, puis d’un mécène qui tient à conserver l’anonymat, le prix Nicolas-Bouvier est doté de 5000 euros.
Depuis sa création, le prix Nicolas-Bouvier a salué en 2007 David Fauquemberg, en 2008 Blaise Hoffman et en 2009 Lieve Joris.
Son jury est composé de : Alain Borer, Pascal Dibie, Alain Dugrand, Gilles Lapouge, Björn Larsson et André Velter.

Le prix Nicolas-Bouvier a été remis au lauréat lors du festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo.

Contacts presse : Cécile Pleux, 01 42 22 82 48 / e-mail : cecilepleux@hoebeke.fr

Retrouvez toutes les informations sur le Prix Nicolas Bouvier


Colin Thubron, grand écrivain-voyageur

Classé parmi les 50 meilleurs écrivains anglais d’après guerre par le prestigieux Times, Colin Thubron est l’un des derniers gentlemen travellers. Pour en savoir plus sur ce grand voyageur érudit, découvrez l’article que nous lui consacrons sur notre site.


En Sibérie par les jurés du prix Nicolas Bouvier

« L’avais-je donc imaginé, ce regard vide des gens dans la rue, vingt ans plus tôt, quand personne ne semblait vous voir ? » Familier de l’empire soviétique, Colin Thubron avait publié Les Russes en 1983, un voyage épique à travers en l’URSS à l’époque de la « glaciation » brejnévienne.
Vingt ans plus tard, avec En Sibérie, Thubron dresse le portrait des êtres, des villages et des villes, des climats, des douleurs et des couleurs d’un « pays » aux plaines immenses qui demeure le socle du territoire mythique des Russes. Avec l’errance, les rencontres, Thubron entraîne son lecteur dans un continent apprécié seulement par les érudits, les chercheurs, les amateurs d’essais savants, géographes, naturalistes, ethnologues, les romanciers et les écrivains russes, ces accoucheurs de la modernité des XIXe et XXe siècles.
Thubron, c’est un privilège, offre à ses lecteurs d’aller à la rencontre des êtres d’un continent fermé, hostile au monde, au long des décennies du despotisme monarchique, des terreurs internes du léninisme et de son succédané, le terrorisme stalinien, puis des accapareurs modernes, les bureaucrates féodaux du « centre », Moscou.
Avec En Sibérie, le projet de Colin Thubron pourrait être contenu dans ces simples phrases : « Le balancier est revenu dans l’autre sens depuis un certain nombre d’années. A mesure que Moscou semble s’enfoncer plus profondément dans son adhésion à l’Ouest, la Sibérie prend place dans l’imagination slave pour représenter la Russie perdue, la citadelle de l’esprit. La mystique d’une Sibérie chaste et autonome resurgit. La Sibérie est plus russe que la Russie, ou que ce pays imaginaire que la Russie aimerait être. »
Vers l’Arctique, Krasnoïarsk, cette cité des marchands d’or qu’admirait tant Tchekhov, est devenue une métropole d’un million d’habitants, véritable chapelet d’usines-cités interdit jusqu’en 1991 au monde des étrangers. Avec Colin Thubron, on éprouve alors le goût de relire Dostoïevski, Herzen et Tolstoï.
Quand on tombe sur le mot Baïkal, nous reviennent les manuels de géographie de l’enfance, mais avec Thubron le grand lac apparaît, ses quarante kilomètres de flots violents parfois, la plus grande réserve d’eau douce de la terre depuis l’aube, vingt-cinq millions d’années. Dans son horizon, les Monts de Bargouzine, les chasseurs bouriates, chasseurs de zibelines et de cerfs. Puis les descendants de l’infini goulag…
En Sibérie, la nature comme les êtres avec les générations se sont sédimentés dans une superposition d’exilés cultivés, de décembristes de la révolution avortée de 1825, de Polonais vaincus après l’échec du soulèvement de 1863, de zeks survivants, « oubliés » du goulag. Ainsi cette vieille dame, « transportée » de Moscou vers l’enfer de Vorkouta en 1938. Elle œuvre désormais à Memorial, cette ONG qui consacre ses efforts à la survie des mémoires, aux traces tangibles de millions de disparus qu’elle n’oubliera jamais. Un océan de corps jetés à la terre commune, cette « tombe fraternelle », disent les Russes aujourd’hui.
Il faut avec Thubron, rejoindre un affluent de l’Angarie, découvrir le monastère Znamenski, ses murailles blanches coiffées de dômes turquoise dans un foisonnement de roses trémières, de champs de tournesols, parmi les tombes des décembristes submergées de marguerites.
Mais qu’était-il donc advenu de Dieu après le hiatus communiste ? N’avait-il pas beaucoup vieilli ? N’avait-il pas perdu trop d’enfants ? Dans une lente équipée vers l’Est, la frontière de Chine plus au Sud, En Sibérie entre en conversation avec les anciennes croyances, ces chardons, les « Vieux-chrétiens », les héritiers fragiles de l’ancienne orthodoxie, entendre l’éclosion des antiques cultes chamaniques, aimer les contemporains des Pazyryks et des Scytes, les Juifs du Birobidjan épuisés avant d’émigrer pour Israël, emportant dans leurs âmes les mânes des Juifs de 1934 et leur République autonome…
Au nord de Vladivostok, à mille six cents kilomètres, il est bon de parcourir la République de Sakha, aussi vaste que l’Inde, sa capitale Iakoutsk et les Yakoutes, amateurs éperdus des chevaux et de la viande de poulain.
En saluant Colin Thubron, sans conteste l’un des plus beaux écrivains voyageurs de ce temps, le prix Nicolas-Bouvier couronne un regard, une affection, un goût portés sur les autres, le monde réel, quelques visages, une scène, le sens d’ouvrir l’âme bouclée d’un espace géographique sans pareil.
Dans la lignée prestigieuse de Freya Stark et Patrick Leigh Fermor, Thubron, gentleman voyageur érudit, a le don de s’immerger dans les régions du monde. En apprenant la langue russe afin de côtoyer les âmes au plus près, celles des « petites vieilles », gardiennes des mémoires, celles des jeunes hommes prématurément usés, mais aussi d’êtres lumineux décidés à contrarier le destin des peuples « sibériens ». Thubron, maître de l’errance voyageuse, offre à ses lecteurs ce récit subtil, gorgé d’une spiritualité rare.

Les jurés du prix Nicolas-Bouvier

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

California Dream - Voyage chez les rêveurs d’avenir

Anne-Marie Métailié - 2023

L’auteur, un jeune ethnologue, est envoyé à Berkeley dans les années 1980 pour enquêter sur l’“écologie humaine”.
À la suite de Henry David Thoreau et de Henry Miller, il vit dans une communauté de Big Sur des aventures tendres et cocasses que le regard aigu de l’ethnologue et son écriture curieuse et amusée transforment en une sorte de fable écologique.
On se laisse emporter avec bonheur par cette relecture de nous-mêmes où l’on retrouve à la fois nos inquiétudes, notre modernité et nos espoirs. Sortant de cet ouvrage éminemment humain et politique, on se demande surtout pourquoi on n’a pas écouté ni pris au sérieux ces “rêveurs d’avenir” qui, il y a quarante ans de cela, nous avertissaient déjà de l’état catastrophique dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui.
Un récit candide et vif sur un essai de construction d’un monde plus vivable et respectueux de la nature, un texte en résonance avec les débats actuels.


 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Conrad : La vie à la mer

La Table Ronde - 2014

Fin 1874, un orphelin de seize ans débarque à Marseille, résolu à devenir marin. Grâce à une lettre de recommandation, il prend très vite la mer à bord du Mont-Blanc, un trois-mâts barque de la compagnie Delestang et fils. Quatre années durant, Marseille demeurera son port d’attache. Né russe dans l’Ukraine colonisée, c’est en France que le futur Joseph Conrad achève son adolescence et entre dans l’âge adulte.
Alors que ses biographes polonais ou anglo-saxons ont négligé les années françaises, Alain Dugrand revient à la source. Son équipée sur les pas de l’écrivain part du Vieux-Port et du golfe d’Hyères pour se poursuivre à
Singapour et au Congo. Une évocation au grand large.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

« Speak white ! » Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?

Gallimard - 2021

Les langues savent sur nous des choses que nous ignorons. Elles diffèrent non par les mots, qui voyagent et s’échangent par familles, mais par leurs idéalisations collectives, logées dans leur morphologie. Aujourd’hui, la langue française est en passe de s’effondrer en une sorte de dialecte de l’empire anglo-saxon — ce qui implique un autre Réel, autant qu’un infléchissement collectif des visions du monde et des relations humaines, dont aucun politique, semble-t-il, n’a la première idée. « Speak white ! », partout résonne l’injonction de parler la langue du maître : nous soumettrons-nous ? Mais pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Le choix de Martin Brenner

Grasset - 2020

À la mort de sa mère Maria, Martin Brenner ressent certes de la douleur mais s’interroge aussi : il ne s’est jamais vraiment senti très proche d’elle. Il procède à la dispersion des cendres en suivant ses dernières volontés, met sa maison en vente, puis il compte reprendre le cours de sa vie, entouré par son épouse Cristina et sa fille Sara. Brenner est généticien et directeur d’un laboratoire, un homme discret et plutôt solitaire. Il s’estime heureux dans la vie.

Mais lorsqu’un avocat l’appelle pour lui annoncer que sa mère était juive et survivante des camps, sa vie prend un tournant imprévu. Petit à petit, les révélations contenues dans une lettre laissée par sa mère et les informations que lui fournissent l’avocat et le rabbin de la ville où il habite le poussent à faire des recherches sur l’identité juive. Il croise ses lectures personnelles sur le sujet avec les recherches en génétique qu’il mène – touchant à la question de l’appartenance religieuse et ethnique, vue par la science. Il décide de n’en parler à personne – pas même à son épouse – avant de parvenir à une décision quant à sa judéité : il refuse l’idée qu’il doive assumer le fait d’être juif seulement parce que sa mère l’avait été. Mais lors d’un colloque scientifique à Montréal, il est pris à parti dans un débat et alors qu’on l’accuse d’antisémitisme, il révèle sa judéité… Le piège s’est renfermé sur lui, et le château de cartes qu’était devenu sa vie s’effondre : sa femme Cristina, ignorant tout de sa réflexion, se sent trahie, puis quand lui et sa fille deviennent la cible d’ignobles attaques antisémites, son épouse le quitte. Il perd son travail, son meilleur ami se détourne de lui, seul le rabbin Golder maintient le contact. Il fait alors appel à un écrivain célèbre et lui demande de raconter son histoire…

Le choix de Martin Brenner nous fait vivre de l’intérieur la descente aux enfers d’un homme aux prises avec la question identitaire. Le roman nous propose ainsi une interrogation sur le libre-arbitre. Comment savoir qui nous voulons être dans notre vie intime et aux yeux de la société ? Comment rester libre dans ce choix ?

Traduit du suédois par Hélène Hervieu

 

DERNIER OUVRAGE

 
Beaux livres

Atlas des paradis perdus

Arthaud - 2017

Rares sont les réussites. Pourtant, faute de savoir édifier des paradis doués d’une éternelle espérance de vie, les civilisations ont parfois réussi à manufacturer des petits bouts d’édens, des olympes provisoires capables de luire quelques jours ou quelques siècles à l’horizon de nos mélancolies. Des jardins d’Eden à la nouvelle Cythère de Bougainville, aux paradis de l’enfance de Walt Disney : voyage au cœur des paradis terrestres…

Revue de presse

"L’humanité a tendance à se bâtir des eldorados, réels ou imaginaires. Gilles Lapouge en dresse un inventaire érudit et joyeux dans cet ouvrage joliment illustré." (Bernard Lehut, RTL)

"Voyageur de toujours, Gilles Lapouge établit la carte des paradis perdus, réels ou imaginaires." (Un livre un jour, France TV)