LE BRIS Michel

France

11 mars 2019.

Né en Bretagne en 1944, il est romancier, essayiste, éditeur. Directeur de La Cause du peuple, il participe à la création du quotidien Libération et crée avec Jean-Paul Sartre la collection « La France Sauvage ». Pour défendre l’idée d’une littérature “ouverte sur le monde, soucieuse de le dire”, il fonde en 1990 le festival Étonnants Voyageurs et lance en 1993 l’idée de « Littérature-monde ». Parmi ses publications, on peut noter une monumentale biographie de Stevenson, son roman La beauté du Monde (finaliste du prix Goncourt en 2008), une autobiographie Nous ne sommes pas d’ici et un Dictionnaire amoureux des explorateurs, un inédit de Stevenson qu’il a découvert et dont il imagine la fin manquante, La malle en cuir ou La société idéale (Gallimard, 2011), un manifeste Nous sommes plus grands que nous paru dans le « 1 » et son dernier roman Kong (2017). En 2019, il signe un nouvel essai, Pour l’amour des livres (Grasset), dans lequel il livre une véritable déclaration d’amour à la littérature. Éléments indispensables à la construction d’un homme et de son identité, les mots ont le pouvoir d’animer et de faire grandir ce feu magique qui anime nos vie. En 2019, l’Académie française lui remet Le Grand Prix de Littérature Henri Gal pour l’ensemble de son œuvre. Michel nous a quitté en janvier 2021.

 

Écrivain, romancier, philosophe et éditeur, Michel Le Bris est le directeur du festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs. 
Né dans la baie de Morlaix en 1944, il est resté extrêmement attaché à ses terrains d’enfance qu’il évoque longuement dans le très personnel Un hiver en Bretagne (Nil éditions, 1996, Points Seuil) et vit encore aujourd’hui dans la région. Nécessaire enracinement pour un grand voyageur, et besoin de mer aussi : « Je suis né au bord de la mer, et je n’en aurai jamais fini avec elle. »

Parallèlement à des études d’économie (HEC), Michel Le Bris poursuit à Nanterre des études de philosophie, grâce auxquelles il rencontre Emmanuel Levinas, qui, avec Henry Corbin un peu plus tard, aura une grande influence sur l’évolution de sa réflexion. En 1967, il participe à la naissance du Magazine Littéraire, dans l’équipe rassemblée par Jean-Jacques Brochier, qui comprend également André Glucksmann et Raymond Bellour et prend la direction du mensuel Jazz Hot, qui jouera un rôle actif dans l’introduction du « free jazz » en France. Dans l’équipe qu’il rassemble alors : Patrice Blanc-Francard, rendu célèbre par les Enfants du rock, Philippe Constantin aujourd’hui disparu, grand directeur artistique (Jacques Higelin, Manset, les Rita Mitsouko, etc.) dont un prix Constantin de la chanson prolonge la mémoire, Daniel Caux, l’écrivain Yves Buin, Daniel Berger, Guy Kopelovici, ainsi que les photographes Philippe Gras et Horace.

Mai 1968 joue dans sa vie un rôle déterminant. Directeur du journal de la Gauche prolétarienne La Cause du Peuple il est incarcéré, condamné à huit mois de prison. Jean-Paul Sartre prend sa suite et l’affaire devient alors internationale : on ne peut pas incarcérer Sartre ! À sa sortie, il prend en main le journal J’Accuse lancé par la Gauche prolétarienne et un regroupement d’intellectuels. Dans le comité de rédaction : Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Maurice Clavel, Jean-Luc Godard, André Glucksmann, Jacques-Alain Miller, Jean-Claude Milner, Christian Jambet, Françis Bueb… S’il quitte rapidement le mouvement mao pour s’installer avec sa femme Eliane en Languedoc, il reste étroitement lié avec Maurice Clavel et Jean-Paul Sartre. Il crée avec ce dernier la collection La France Sauvage chez Gallimard, participe activement aux réflexions sur le totalitarisme alors engagées autour de Clavel, de Sartre et de Foucault.

Il participe à la création du quotidien Libération en 1973. S’il a déjà publié plusieurs livres (un Levi Strauss aux Editions Universitaires en 1970 sous le pseudonyme de Pierre Cressant, et quelques ouvrages dans la collection La France Sauvage, dont Les fous du Larzac en 1975) il fait paraître ce qu’il considère comme son premier vrai livre, L’homme aux semelles de vent, en 1977, premier manifeste pour une littérature aventureuse, qui propose une interprétation radicalement nouvelle du romantisme allemand — réflexion qu’il approfondira dans Le Paradis perdu (Grasset, 1981) et le Journal du romantisme (Skira, 1981) ce dernier ouvrage traduit en cinq langues, couronné par de nombreux prix. Une édition augmentée et intitulée Le défi romantique est parue en 2002 chez Flammarion.

Grand connaisseur de l’histoire de la conquête de l’Ouest, et de l’histoire de l’Amérique en général, Michel Le Bris y a consacré plusieurs ouvrages : un roman, Les flibustiers de la Sonore (Flammarion, J’ai lu, 1998), un récit de voyage, La Porte d’Or (Grasset, 1986) un essai historique, Quand la Californie était française (Le Pré aux clercs, 1999) un Gallimard-Découvertes, La fièvre de l’or, en 1988 et un récit de voyage dans les parcs naturels américains (L’Ouest américain, territoire sauvage, Le Chêne, 2005)... Il est également l’auteur, au côté de nombreuses éditions d’œuvres rares, de l’édition probablement la plus complète des journaux de Lewis et de Clarke (2 volumes : La Piste de l’Ouest, Le grand retour, Phébus, 1993)

Spécialiste de Stevenson, il lui a consacré une monumentale biographie (Les années bohémiennes, NiL éditions, 1994) un essai (Pour saluer Stevenson, Flammarion, 2000) et a édité chez divers éditeurs la quasi-totalité de son œuvre (dont de nombreux inédits en langue anglaise !) et notamment ses Essais sur l’art de la fiction (Payot Poche, 1992) ainsi qu’une édition de sa correspondance avec Henry James (Une amitié littéraire, Payot Poche, 1994).

Éditeur aux éditions Phébus de la quasi-totalité des grands classiques de la flibuste, il a publié aux éditions Hachette littérature le premier tome de son histoire de la flibuste : D’or, de rêves et de sang (nouvelle édition revue et corrigée en Hachette Pluriel, 2004.) Il a également consacré plusieurs ouvrages à la Bretagne.

Directeur de l’Abbaye de Daoulas de 2000 à 2006, il y organisera de grandes expositions accompagnées d’albums-catalogues publiés aux éditions Hoëbeke : Indiens des plaines, Pirates et flibustiers des Caraïbes, Les mondes Dogon, Fées, elfes, dragons et autres créatures des mondes de féerie, Vaudou, L’Europe des Vikings, Rêves d’Amazonie, Visages des dieux, visages des hommes : masques d’Asie...

En 1990, exaspéré par les modes littéraires occupant alors le devant de la scène en France, décidé à défendre l’idée d’une littérature résolument « aventureuse, voyageuse, ouverte sur le monde, soucieuse de le dire » il crée la revue trimestrielle Gulliver, mobilise ses amis écrivains français et étrangers, multiplie les collections (Phébus, Payot, la Table Ronde) lance en France le mouvement des « écrivains voyageurs », propose en 1992 le terme de « littérature-monde », fait découvrir Nicolas Bouvier, dont il devient l’éditeur, mais aussi Redmond O’Hanlon, Anita Conti, Ella Maillart, Patrick Leigh Fermor, Norman Lewis, Jonathan Raban, Colin Thubron, Edward Abbey, Peter Matthiessen, des dizaines d’autres — plus de 400 ouvrages édités en l’espace de 15 années ! Il crée cette même année (avec Christian Rolland, Maëtte Chantrel et Jean-Claude Izzo qui sera pendant des années l’attaché de presse de la manifestation) le festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. Plusieurs éditions du festival se font par la suite lancées à l’étranger : à Missoula (Montana, USA), Dublin, Sarajevo (avec le Centre André Malraux), Bamako, Port-au-Prince (Haïti), Haïfa, Brazzaville, Rabat.

En 2007, dans le droit fil de l’idée de la littérature défendue par Étonnants Voyageurs, il est, avec Jean Rouaud, Anna Moï, Alain Mabanckou, et Abdourahmane Waberi, à l’initiative du « Manifeste pour une Littérature-Monde » réunissant quarante-quatre écrivains du monde entier écrivant dans une même langue : le français. Il dirige avec Jean Rouaud la publication de Pour une Littérature-Monde chez Gallimard regroupant vingt-cinq textes qui prolongent le débat engagé avec le Manifeste.


En septembre 2008, Michel Le Bris publie aux éditions Grasset un roman sur les cinéastes-aventuriers Martin et Osa Johnson, stars des années folles à la poursuite de La beauté du monde, qui est finaliste du prix Goncourt. S’en suit en 2008 un album riche de 140 reproductions, N.C. Wyeth, l’esprit d’aventure, consacré à celui qu’il tient pour le plus grand artiste de l’histoire de l’illustration, puis en 2009 Nous ne sommes pas d’ici (Grasset) en forme « d’autobiographie intellectuelle », en 2010 un Dictionnaires amoureux des explorateurs (Plon) et, à la suite d’une série de 25 émissions dans l’été sur France-Culture, menées avec Patrice Blanc-Francard, un ouvrage chez Naïve sur les années 1920 et la folle liberté qui emporta le pays dans un tourbillon de musique et de danse : Les Années jungle.

En mai 2011, il publie chez Gallimard le premier roman qu’écrivit Robert Louis Stevenson, La Malle en cuir ou La Société idéale, resté jusqu’à ce jour à l’état de manuscrit et qu’il avait découvert dans une bibliothèque californienne. Manquaient les derniers chapitres, que Michel Le Bris, en forme de jeu et d’hommage, s’amuse à prolonger. Après ce retour à ses premiers amours littéraires, Michel Le Bris livre à la fin de 2011 un nouvel ouvrage, Rêveur de confins,(André Versaille éditeur) où il fait l’inventaire de ses passions, du jazz à la recette du cul de veau à l’angevine, de sa Bretagne natale à ses amis : un ensemble de fragments sur lequel s’est construit l’écrivain.

Auteur en 2017 du manifeste « Nous sommes plus grands que nous » paru dans le « 1 » d’Eric Fottorino et signé par 60 écrivains, il revient avec Kong, un grand roman d’aventure et de passion qui nous livre une gigantesque fresque sur l’entre-deux guerre et le cinéma où l’on croise Roosevelt, Lindbergh, les frères Warner et une foule d’inconnus pittoresques et attachants.

Avec Pour l’amour des livres, Michel Le Bris se confie sur ce qui fait toute la beauté des mots. Cette ode à la littérature est un acte de remerciement, une façon de faire honneur à tous les livres qui, d’une façon ou d’une autre, se sont immiscés dans nos vies pour finalement faire partie de nous. Animé par une véritable "rage de lire", l’auteur insiste sur le caractère vital et salvateur de la littérature.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

Pour l’amour des livres

Grasset - 2019

« Nous naissons, nous grandissons, le plus souvent sans même en prendre la mesure, dans le bruissement des milliers de récits, de romans, de poèmes, qui nous ont précédés. Sans eux, sans leur musique en nous pour nous guider, nous resterions tels des enfants perdus dans les forêts obscures. N’étaient-ils pas déjà là qui nous attendaient, jalons laissés par d’autres en chemin, dessinant peu à peu un visage à l’inconnu du monde, jusqu’à le rendre habitable  ? Ils nous sont, si l’on y réfléchit, notre première et notre véritable demeure. Notre miroir, aussi. Car dans le foisonnement de ces histoires, il en est une, à nous seuls destinée, de cela, nous serions prêt à en jurer dans l’instant où nous nous y sommes reconnus – et c’était comme si, par privilège, s’ouvrait alors la porte des merveilles.

Pour moi, ce fut la Guerre du feu, « roman des âges farouches  » aujourd’hui quelque peu oublié. En récompense de mon examen réussi d’entrée en sixième ma mère m’avait promis un livre. Que nous étions allés choisir solennellement à Morlaix. Pourquoi celui-là  ? La couverture en était plutôt laide, qui montrait un homme aux traits simiesques fuyant, une torche à la main. Mais dès la première page tournée… Je fus comme foudroyé. Un monde s’ouvrait devant moi…

Mon enfance fut pauvre et solitaire entre deux hameaux du Finistère, même si ma mère sut faire de notre maison sans eau ni électricité un paradis, à force de tendresse et de travail. J’y ai découvert la puissance de libération des livres, par la grâce d’une rencontre miraculeuse avec un instituteur, engagé, sensible, qui m’ouvrit sans retenue sa bibliothèque.

J’ai voulu ce livre comme un acte de remerciement. Pour dire simplement ce que je dois au livre. Ce que, tous, nous devons au livre. Plus nécessaire que jamais, face au brouhaha du monde, au temps chaque jour un peu plus refusé, à l’oubli de soi, et des autres. Pour le plus précieux des messages, dans le temps silencieux de la lecture  : qu’il est en chacun de nous un royaume, une dimension d’éternité, qui nous fait humains et libres. »