28 juin 1914 ou le jour où le sort de l’humanité reposa entre les mains d’un homme ordinaire

Écrit par Giacomo Bretel, incipit 1, en 3ème à la Cité Scolaire Internationale à Lyon (69). Publié en l’état.

Le jeune homme tremble. Son nom est Gavrilo Princip et dans sa poche il tient un revolver. Il essaye de se frayer un chemin dans la foule en ce matin ensoleillé de juin. Ce jour-là, quasiment toute la population de Sarajevo est présente. « Ils veulent tous voir ce traître de François Ferdinand », se dit Gavrilo. Pourtant, lui, ne veut pas le voir. Pas vivant. Et c’est pour ça qu’il est là.
Il réussit enfin à rejoindre le bord de la route, là où doit passer sa cible dans une dizaine de minutes. Autour de lui, plusieurs personnes discutent de manière animée. Une femme dit « Notre futur empereur nous fait un grand honneur. Ce n’est pas tous les jours qu’une personnalité aussi importante vient jusqu’à Sarajevo pour nous rendre visite ». Il y a un murmure d’approbation.
Gavrilo est désespéré. Comment les gens peuvent-ils apprécier un dirigeant qui gouverne un pays où il n’a aucune légitimité, qui ne lui appartient pas, qui soumet ses habitants, réduit un à une simple province d’un empire ? Il s’éloigne de cette femme et sonde les environs à la recherche d’un lieu stratégique d’où il pourra facilement tuer ce traître d’héritier du royaume austro-hongrois.
Evidemment, la Jeune Bosnie aurait pu trouver avant l’endroit idéal, grâce à des cartes précises de Sarajevo ainsi que des informations détaillées sur l’itinéraire du carrosse de la cible. Mais étant donné que cet assassinat a été planifié au dernier moment, on n’a pas eu le temps de l’organiser correctement. Le chef du mouvement a simplement désigné un homme parmi tant d’autres qui veulent tuer François Ferdinand, lui a remis un revolver, un billet de train pour Sarajevo, un peu d’argent et le programme de la visite de l’archiduc accompagnés d’une seule instruction : tue-le. Sur le moment, Gavrilo a été très fier, mais au moment de l’acte, il perd confiance et tremble de peur.
Enfin, il voit le pont. La construction se situe à quelques centaines de mètres, sur la rivière Miljacka. Notre homme se dirige vers le pont en ravi : une fois dessus, l’archiduc n’aura pas d’échappatoire. Il a trouvé le lieu idéal. Le jeune homme se place sur le côté droit du pont et essaye de se vider l’esprit. L’unique chose à laquelle il doit penser est sa cible. Qui ne tarde pas à être en vue.
En effet, il entend des gens qui acclament le défilé de six voitures qui avancent lentement en vrombissant. Et la première voiture est en vue. Elle est conduite par un général de l’armée de Bosnie-Herzégovine derrière lequel siègent trois capitaines. L’unique arme qu’ils ont sur eux est leur sabre. Puis suit une voiture conduite par un autre général dont les passagers sont le président du pays et le maire de Sarajevo. Ils lèvent les mains au ciel en signe de salut à la foule. La troisième voiture est la plus importante : ses passagers sont François Ferdinand et sa femme. Ils saluent également la foule en délire. S’ils savaient que dans deux minutes tout au plus ils seront morts !

Le cortège se rapproche :
Trois cents mètres ; Gavrilo est pris d’une secousse de peur : il voit le visage de celui qu’il va tuer et cela le terrorise, il voit bien que l’attention du public est centrée sur le prince et que, s’il le tue, il aura peu de chance d’échapper à la justice.
Deux cents mètres ; maintenant, Gavrilo sait qu’il ne lui reste que très peu de temps à vivre en tant qu’homme libre et il réalise que ses convictions politiques risquent de lui coûter la vie. Il frémit de nouveau…mais il est trop tard pour renoncer. L’indépendance de son pays est dans ses mains. Et s’il se décourage maintenant, ratant une occasion unique de tuer l’archiduc, les membres de la Jeune Bosnie ou de la Main Noire le retrouveront et il n’ose même pas penser à ce qu’ils lui feraient. Non, il est décidément trop tard.
Cents mètres ; Gavrilo doit maintenant se préparer pour l’acte. Il vérifie que le pistolet contient bien les six balles qu’il a insérées le matin même, puis charge son arme. Il sent bien le contact de l’acier froid contre son corps, et cette sensation ne fait que renforcer son appréhension. Son corps se met à trembler sans qu’il s’en rende vraiment compte. La tension est à son paroxysme.
Le convoi n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres quand Gavrilo se met à réfléchir aux conséquences que peut avoir son acte sur la société. Il se dit qu’une fois que le seul héritier du trône austro-hongrois sera mort, le chaos va tomber sur l’empire et se répercutera sur l’Europe entière, voire dans le monde. Sans dirigeant, l’empire le plus puissant de la planète aura du mal à rester soudé, et cela aura des répercussions évidentes sur les autres états…
Quand le convoi passe à la hauteur de Gavrilo, un des hommes qui acclament l’archiduc est parti. Cet homme est Gavrilo. En effet, après avoir réfléchi pendant les quelques dizaines de secondes qui lui restaient, il a décidé de ne pas tuer l’archiduc François Ferdinand. Il a pensé que cela ne valait pas la peine de tuer un homme innocent ; il se serait lui-même fait arrêter et sûrement condamné à mort ; il aurait probablement déclenché un conflit dont les conséquences auraient dépassé tout l’imaginable…Il a donc décidé qu’il ne tuerait jamais cet homme : il disparaîtrait pour quelques années, puis organiserait clandestinement une révolution qui rendrait son indépendance à la Serbie.
Il n’y eut aucun mort ce jour-là à Sarajevo. Mais dans plusieurs villes du globe, les responsables des usines d’armes furent pris d’une rage terrible en lisant le journal. Ils avaient déjà lancé la production de tanks, d’obus et de fusils en grande quantité. Ils s’étaient fiés à la Main Noire qui leur avait promis une guerre mondiale, voire totale, qui allait leur permettre de gagner une fortune. Ils avaient déjà préparé des contrats d’armement pour qu’ils soient signés au commencement même de la guerre. Ils étaient ruinés.
C’est ainsi que l’Empire austro-hongrois, ne trouvant pas de successeur légitime au trône, se démantela en une série d’états indépendants qui adoptèrent tous la démocratie.
C’est ainsi que l’empire allemand signa un pacte de non-agression avec la France, l’Angleterre et l’Italie.
C’est ainsi que l’union européenne naquit en 1915, l’ONU en 1917 après l’abdication des tsars en Russie, suite à une révolution non violente qui donna suite à une monarchie constitutionnelle.
C’est ainsi que des millions de vies furent épargnées, que les villes ne subirent aucun bombardement, que l’économie mondiale prospéra grâce aux liens commerciaux, sociaux, économiques qui devenaient de plus en plus forts.
C’est ainsi qu’il n’y eut jamais de régime totalitaire, ni de guerre mondiale, on entendit jamais parler de Staline, ni d’Adolf Hitler, la paix prospéra en Europe et dans le monde et l’humanité continua d’évoluer de de se développer sans encombre.
Tout ceci était dû à un seul homme qui avait su faire le bon choix et sans qui le destin du monde aurait pu être tout autre. Cet homme fut inconnu de tous, mais fut aussi sans aucun doute l’homme le plus important du XXème siècle, qui fit basculer le sort de l’humanité. C’est pour cela que le préposé à la billetterie de la gare de Sarajevo, fut heureux de sourire à l’homme frêle mais joyeux qui se présenta à lui le 28 juin 1914 à 10 heures du matin pour lui demander un billet de train pour Belgrade.
Cet homme était Gavrilo Princip et, dans sa poche, il ne tenait plus de revolver.