30 auteurs pour dire la ville-monde


Suketu Mehta, Stéphane Fière

La ville comme personnage

Quand la ville devient le personnage principal du roman : la formidable biographie de Bombay signée Suketu Mehta, foisonnant témoignage entre récit et reportage, des bas-fonds à Bollywood, qui donne à voir les métamorphoses de la mégapole (Bombay maximum city, Buchet-Chastel) ; l’Alexandrie de Dimitri Stefanakis, carrefour des civilisations, comme « apocalypse » de son inspiration (Jours d’Alexandrie, Viviane Hamy Editions) ; comme l’est sur l’autre rive de la Méditerranée la ville du Turc Mario Levi, auteur de Istanbul était un conte (Sabine Wespieser), ville palimpseste où s’écrit le monde. Le Caire de Khaled Al Khamissi vu par la mozaïque de 58 conversations avec des chauffeurs de taxi qui arpentent la ville en racontant à leur manière la misère, la corruption et la crise, qui traverse leur pays (Taxi, Actes Sud). Et quand les villes de l’autre bout du monde, fantasmées et magnifiées depuis l’étranger, deviennent le sujet réaliste d’auteurs français : le Shanghai des milieux diplomatiques de Stéphane Fière (Double bonheur, Anne-Marie Métailié) et Vladivostok dans le récit de Cédric Gras (Vladivostok, neiges et moussons, Phébus).


Nick Stone, Tarquin Hall

Ville-Polar, le coeur du roman noir

La ville et ses marges ont toujours été le lieu d’épanouissement du roman noir. La ville pas seulement comme décor, mais comme matrice des com- portements sociaux et des trajets de vie. Seront là pour en parler : Nick Stone et son Voodoo Land (Gallimard) ; François Arango, un Français aux trousses du Jaguar sur les toits (Métailié), meurtrier adepte du sacrifice aztèque pour une enquête pleine d’effroi dans un Mexico grouillant ; Andrew Taylor, maître du polar anglo-saxon pour qui le Diable danse à Bleeding Heart Square (Cherche Midi Éditeur) ; Jérôme Nouhouaï, jeune auteur Béninois, qui signe deux romans très noirs, rythmés et foisonnants, dans une mégapole d’Afrique subsaharienne rongée par la misère, le racisme, la répression, la mort... (Le Piment des plus beaux jours, au Serpent à plumes et La Mort du lendemain chez Présence africaine) ; l’Anglais Tarquin Hall aux commandes d’une enquête au cœur de la fièvre de New Delhi dans Le Chasseur de gourou (10-18) ; l’Italienne Gilda Piersanti dans les méandres de la ville éternelle, Rome, et un nouveau défi pour l’inspecteur Mariella De Luca (Roma Enigma : Un printemps meurtrier, Le Passage). Et enfin le Gabonais Janis Otsiemi pour une rapsodie sur fond de corruption dans un Libreville explosif (La Bouche qui mange ne parle pas, Jigal). Sans oublier Nathalie Beunat qui rassemble une anthologie de Dashiel Hammett, ou comment, en 1929, le roman noir descendit dans la rue.


Brando Skyhorse, Brian CHikwava

Ville-cratère, Ville-frontière

La ville des migrations, des exils et des diasporas, la ville des frontières, où les langues se mêlent, s’imprègnent, et où nait la représentation d’un univers composite, hybride. Un portrait urbain et charnel, jazzy et léger des Afropéens de Paris par Léonora Miano (Blues pour Élise, Plon) ; les rêves et le rythme de la communauté mexicaine d’un quartier de L.A. dont les rues couvertes de graffitis ont l’énergie vitale des personnages qui les traversent chez les Madones d’Echo Park (L’Olivier) de Brando Skyhorse ; une chronique acide de la débrouille du Londres afro-caribéen dans une langue bâtarde entre spoken english et argot zimbabwéen par Brian Chikwava (Harare Nord, Zoé Editions) ; le regard candide et drôle d’un jeune immigré serbe dans un Dublin morose par l’Irlandais Hugo Hamilton (Je ne suis pas d’ici, Phébus).


Charles Robinson, Insa Sane

De l’autre côté du périph’

Que se passe-t-il, en France comme ailleurs, quand les auteurs de la périphérie prennent la parole ? Quand les cités et leurs langages entrent en scène ? Cela ne nous amène-t-il pas à repenser la problématique identitaire et à redéfinir le champ littéraire tout entier ? Embarquement de l’autre côté du périph, Dans les cités de Charles Robinson (Le Seuil) qui explore la banlieue comme territoire mental de ses habitants ; dans la riche énergie insufflée par le rap, la danse et la boxe thaï des Anges s’habillent en caillera (Moisson Rouge) de Rachid Santaki ou encore dans une enquête sur fond d’émeutes urbaines et de guerres de quartiers avec Insa Sane (Daddy est mort... retour à Sarcelles, Sarbacane). Et s’il fallait encore prouver que le hip hop peut receler des pépites textuelles, le recueil d’Oxmo Puccino, Mines de Cristal (Au Diable Vauvert) en serait la meilleure pièce à conviction.


Laird Hunt, Marvin Victor

Villes de l’errance

Pourquoi la ville appelle-t-elle l’errance ? Comment la marche urbaine rythme, « bous- cule et oriente les pensées, les structure, les déstructure et les restructure simultanément, et comment un être peut ingérer un paysage jusqu’à s’y dissoudre » ? L’errance de Marvin Victor, rythmée et foisonnante d’images, entê- tante, au cœur d’un Port-au-Prince post-séisme (Corps mêlés, Gallimard) ; la quête angoissante à la David Lynch dans le New-York déréglé de l’après 11-Septembre de Laird Hunt (New-York No2, Actes Sud) ou la déambulation, au cœur de Montréal, d’un homme doté de facultés extraordinaires chez Stanley Péan dans Bizango (Les Allusifs).


Jonathan Stroud, Ian Mac Donald

Ville Fantastique

L’univers urbain théâtre du plus fou des fan- tasmes et des imaginaires : celui du premier ro- man de David S. Khara où l’inspecteur Werner Von Lowinsky se lie d’amitié avec un vampire, sur fond de meurtres à Manhattan (Les Vestiges de l’Aube (Black Coat Press) ; New York encore chez Fabrice Colin et son étourdissant Bal de givre (Albin Michel) entre roman fantastique et conte de fées moderne, où les traumatismes du 11-Sep- tembre questionnent notre rapport au monde ; New York toujours, celui de la fin du rêve américain et des super-héros de l’Italien Marco Man- cassola (La Vie sexuelle des super-héros (Gal- limard). Un Londres fantastique du XXIe siècle, devenu ville des magiciens et des sorciers chez Jonathan Stroud qui y trame une intrigue poli- cière à l’humour caustique (la trilogie Bartimeus, Albin Michel Jeunesse) ou un Paris du futur où les êtres dotés de pouvoirs surnaturels sont placés dans des réserves à la périphérie de la ville, chez Jeanne-A Debats (Plaguers, L’Atalante).


Jonas T Bengsston, Richard Lange

Bas-Fonds des villes

Personnages en rupture de ban, symboles d’une population urbaine en déchéance dont les rêves pour la plupart s’effondrent... Le roman urbain comme diagnostic politique d’une société et des cités en crise ? Le Fort-de-France borderline d’Alfred Alexandre (Les Villes assassines, Écritures) ; le chaos humain de la plèbe de Los Angeles dans la langue âpre et désabusée de l’Américain Richard Lange (Ce Monde cruel, Albin Michel) ; Les Immortelles, prostituées de Port-au-Prince du jeune poète Makenzy Orcel (Mémoires d’encrier) ; les proscrits de la société de Copenhague avec Jonas T. Bengtsson (Submarino, Denoël) ; ou le Miami des années 1980 gangrené par les « cocaïne cow-boys » cubains chez le Britannique Nick Stone (Voodoo Land, Gallimard).