Apparences

Écrit par CREPIN Lisa (3 ème, Collège Piarres Larzabal de Ciboure)

APPARENCES

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Lola claqua la porte derrière elle, espérant mettre le plus de distance possible entre elle et ce monstre aux yeux démoniaques. Une fois seule dans le couloir, elle accéléra la cadence. Soudain, la sonnerie qui signalait la fin de la journée retentit ce qui la fit sursauter.
Lola n’avait pas eu le temps de retrouver les documents qu’elle cherchait. Elle était sortie du CDI. Étant la plus fidèle lectrice de la documentaliste du lycée, cette dernière la laissait découper les journaux des mois précédents pour son petit frère qu’elle qualifiait d’adorable. Passionné d’astronomie, celui-ci gardait précieusement une boîte à chaussure contenant des articles consacrés à l’espace. Sa soeur essayait de lui en apporter le plus souvent possible mais ce regard sauvage lui avait glacé le sang et elle avait dû abandonner ses découpages.
Toutes les portes s’ouvrirent et Lola se fit bousculer à plusieurs reprises, pourtant elle ne bougeait pas. Ses yeux marquaient de discrets mouvements de droite à gauche. Elle observait les élèves : un jeune seconde pressé d’aller aux toilettes, un terminale avec sa petite amie beaucoup plus jeune que lui, une bande de filles en première que les autres surnommaient « les pimbêches » et enfin, une jeune fille blonde, complètement recroquevillée sur elle-même, quelques cahiers sous le bras. Lola avança de quelques pas et arriva devant cette adolescente. C’était sa meilleure amie depuis le primaire : Morgane. Lola s’apprêtait à lui raconter ce qu’elle avait vu quand elle remarqua le même changement de luminosité. Terrorisée, elle se tourna vers la fenêtre de la classe d’où sortait Morgane. L’animal était là, essayant de s’introduire dans l’établissement. Dotée d’une force surhumaine provoquée par la peur, Lola claqua la porte, attrapa le bras de son amie et se mit à courir plus vite que jamais. Morgane lui criait de s’arrêter, de la lâcher mais Lola n’écoutait pas. Sorties du lycée, les deux jeunes filles se regardèrent hébétée et essoufflée. Morgane, ayant repris ses esprits, releva la tête avant de se mettre à hurler :
« - Mais enfin qu’est-ce qu’il t’a pris de courir comme ça ! Tu sais bien que je fais de l’asthme ! Tu es vraiment inconsciente Lola, vraiment ! Tu ne te rends pas compte...

  • Morgane, la coupa Lola, toujours essoufflée, Morgane, ufff ufff, il y a, ufff ufff, une bête, ufff, qui me suit, ufff, depuis tout à l’heure. Ufff, ufff. Elle est horrible et elle a voulu entrer dans la classe, ufff ufff, c’est pour ça, ufff que je t’ai fait courir tout ce chemin, ufff ufff... »
    Morgane fronça les sourcils : elle ne croyait pas son amie. Lola scrutait le visage de Morgane quand soudain elle remarqua avec effroi que ses pupilles se dilataient à leur tour. Lola tourna la tête, presque sûre de ce qu’elle allait voir, et elle l’aperçut, juste en face d’elle, derrière le portail, dans le lycée. Les deux filles se remirent à courir. Morgane n’en croyait pas ses yeux : elle s’imaginait faire partie d’un roman d’ Harry Potter ou de Tara Duncan. Lola, elle, pensait à son frère. Ils vivaient seuls dans la maison familiale depuis qu’elle avait fêté ses 18 ans, il y a maintenant 9 mois. Lola s’en était toujours occupée. Depuis la mort de leurs parents, ils étaient passés de foyers en foyers sans jamais se sentir à leur place. Elle devait le protéger de cette créature.
    La pluie avait cessé et la nuit s’installait déjà en ce début de mois de Novembre. Les filles allaient là où leurs jambes les portaient. Elles se précipitaient vers la maison de Morgane sans même s’en rendre compte. Elles poussèrent la porte si violemment que les meubles du salon tremblèrent. Morgane interdit à son amie d’allumer la lumière de peur de se faire repérer par le géant. Elles s’assirent dans le noir sur le canapé moelleux. Morgane ferma les yeux, tout en réfléchissant. Soudain, sans dire un mot, elle se leva et chercha son téléphone fixe à tâtons.
    « - Morgane, qu’est-ce que tu fais ?, chuchota Lola »
    Malgré ses apparences de fille timide, Morgane était très vive et avait hérité du caractère bien trempé de sa mère.
    « - Lola nous sommes poursuivies par un énorme monstre alors ne me demande pas ce que je fais mais réfléchis bon sang ! J’appelle la police bien sûr !

1

  • Non ! Stop ! Morgane repose ce téléphone ! Morgane j’ai dit stop ! »
    Lola se leva à son tour et arracha le combiné des mains de son amie. Certes, elles étaient très proches, mais chacune avait un défaut qui agaçait l’autre plus que tout. Lola avait pris l’habitude de porter le fardeau de la terre entière sur ses épaules. Voulant toujours sauver le monde, elle se sentait investie de missions plus délirantes les unes que les autres. Au contraire, Morgane, fille unique et ayant grandi dans un milieu familial aisé, avait une fâcheuse tendance à être plus centrée sur elle-même et à se désintéresser des autres.
    Elles se dévisagèrent, encore haletantes d’avoir autant couru. Lola baissa la voix, de manière à ce que rien ni personne ne les entende :
    « - Morgane, même si on a vraiment vu ce qu’on a vu, personne ne nous croira jamais !
  • Si ?!? Tu as dis « si » ?!? Tu crois qu’on a rêvé ? Tu n’as pas remarqué que cette bête nous pourchassait ?!?
  • Morgane, nous ne sommes pas sûres de ce que nous avons vu, nous sommes fatiguées et stressées à cause du bac. Je pense que nous avons juste aperçu un homme plus grand que la moyenne. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. S’il te plaît Morgane, n’appelle pas la police pour ça... »
  • Un homme plus grand que la moyenne ? UN HOMME PLUS GRAND QUE LA MOYENNE ? Mais Lola, tu l’as vu comme moi ! C’est un monstre ! Un énorme ogre terrifiant !
  • Morgane s’il te plaît ! Attends d’en être sûre avant d’affirmer des choses comme ça ! Je vais aller chercher Enzo et après je vais rentrer à la maison, d’accord ? Tu verras, rien ne m’arrivera, ne t’inquiète pas. Je te téléphone dès que je suis rentrée. »
    Lola reposa le fixe à sa place, serra Morgane dans ses bras et se dirigea vers la porte espérant avoir convaincu son amie. À vrai dire, elle était elle-même peu persuadée par la version qu’elle venait de proposer à Morgane.
    Elle ouvrit la porte, regarda à droite, à gauche puis se décida à partir.
    Il faisait nuit à présent et Lola serait bien restée à admirer les étoiles avec Enzo qui lui aurait raconté une multitude d’anecdotes sur Vénus ou l’étoile du berger, néanmoins, elle n’en avait vraiment pas le temps. Tout en se rongeant les ongles, elle ne cessait de tourner la tête scrutant les environs pour être sûre de ne pas mettre son petit frère en danger. Arrivée à l’école, elle demanda poliment à la surveillante de chercher son frère. Lola tapait des pieds nerveusement. À peine Enzo l’eut-il aperçue qu’il fonça vers elle :
    « - Lolaaaaaaaa ! Tu m’as trop manqué !! Tu as des articles pour moi ??
  • Non, je suis désolée Enzo... Je te raconterai à la maison mais il faut y aller là !
  • Mais, tu m’avais promis qu’on irait manger une gaufre...
  • Oui, je sais, mais ça ne va pas être possible, répondit Lola de plus en plus inquiète, il faut y aller maintenant ! »
    Sur ce, elle attrapa son petit frère par le poignet et l’entraîna avec elle.
    Ils marchaient vite. Soudain, à l’angle d’une rue, Lola reconnut l’ombre colossale qui se dressait quelques mètres plus loin. Horrifiée, elle fit signe à son frère de se taire et de faire marche arrière tout doucement. Malheureusement, c’était trop tard, l’immense monstre les avait entendus. Prise de panique, Lola se rua dans une petite rue latérale, le poignet d’Enzo bien serré entre ses cinq doigts. Ils couraient à en perdre haleine. Enzo suppliait sa soeur de s’arrêter, mais elle ne l’écoutait guère. Arrivée devant la porte d’entrée, Lola inséra la clé précipitamment dans la serrure, rentra avec son frère et claqua la porte derrière eux. Lola s’asseyait sur le fauteuil reprenant son souffle quand Enzo prit la parole :
    « - Lola, qu’est-ce qu’il t’a pris ?!?
  • Mais tu es miro ma parole ! Tu n’as pas vu le monstre devant nous ?!? - Si, mais je n’ai pas vu un monstre moi !

2

  • Tu as vu quoi alors ? Une licorne et des paillettes multicolores ?!? demanda-t-elle sur un ton sarcastique.
  • Non. J’ai vu une personne, juste une personne. Un peu grande, impressionnante, d’accord, mais j’ai vu une personne. En plus, il m’a semblé qu’elle essayait de te parler. Et toi, à la place de suivre tous les conseils casse-pieds que tu me donnes sur la politesse, tu es partie en courant et en hurlant.
  • Enzo, tu as vu ses yeux ?!? Je t’assure que ce n’est pas une personne ça !!
  • Mais si ! Tu n’as pas bien regardé ! Je te dis que c’est quelqu’...
  • ENZO, CETTE CHOSE N’EST PAS HUMAINE ! C’EST UN MONSTRE ET JE NE SAIS PAS CE QU’IL VEUT DONC POUR L’INSTANT TU M’OBÉIS, C’EST CLAIR ?!? »
    Enzo fit un petit signe de la tête, tout penaud, et Lola l’envoya se doucher. Pendant ce temps, elle pris grand soin de fermer chaque porte, fenêtre, volet et même rideau, à tel point qu’elle était plongée dans le noir le plus complet. Assise sur le fauteuil, elle se mit à réfléchir. Il était vrai que concrètement, la chose n’avait rien fait. Combien de fois avait-elle déjà croisé des gens au physique disgracieux ? Lola se rendit compte qu’elle avait peut-être jugé le géant un peu vite...
    Elle attrapa son portable et téléphona à Morgane comme promis. Celle-ci semblait très agitée et Lola comprit qu’elle lui cachait quelque chose. Quelques instants plus tard, Lola raccrocha épouvantée : Morgane avait appelé la police. Abasourdie, elle alluma la télévision. Morgane n’avait pas été la seule à apercevoir cette chose et elle n’avait pas non plus été la seule à témoigner. Une chasse à l’homme débutait dans la ville, d’après le journal local.
    Les paroles naïves d’Enzo lui trottaient dans la tête...
    À peine le garçon fut-il descendu qu’elle lui annonça qu’elle sortait. Elle lui fit promettre d’être sage et de bien fermer la porte à double tour après son départ. Elle saisit sa veste, et retourna dans la rue. Elle parcourut rapidement le chemin jusqu’au lycée en sens inverse. Elle en fit le tour, et aperçut une silhouette massive au loin. Il était là. Son ventre se serra : son frère avait beau lui dire tout et n’importe quoi sur l’humanité de ce géant, Lola n’était pas rassurée. Elle s’avança sur la pointe des pieds. Plus elle se rapprochait, plus la silhouette grandissait. Il se retourna et posa son regard terrifiant sur Lola. Celle-ci s’arrêta net. Il la fixa quelques secondes puis détourna la tête. Lola continua pourtant d’avancer, curieuse. Elle alla se poster face à lui. Elle observait son visage tandis qu’il regardait le sol : il avait un long et gros nez, une bouche allongée et des lèvres épaisses. Ses yeux étaient d’un jaune brillant et terrifiant. Ses épaules étaient larges et ses bras monstrueux. Elle baissa les yeux pour apercevoir ses mains quand elle se rendit compte qu’il saignait. Elle s’approcha doucement, et tenta de le toucher. Lola fit glisser ses petits doigts sur le bras de l’ogre jusqu’à la plaie. Elle observa la blessure attentivement. Elle regarda l’homme dans les yeux et lui demanda :
    « - Qui vous a tiré dessus ? »
    L’homme ne répondit pas.
    « - Vous parlez notre langue ? »
    L’homme grogna en guise d’acquiescement.
    « - Il faut désinfecter la plaie, affirma-t-elle se rappelant de son stage dans la pharmacie de la ville, je vais aller chercher de quoi vous soigner. En attendant, vous devez appuyer sur la blessure, d’accord ? Elle attrapa ses grandes mains et les posa sur le trou béant, coooomme çaaa, voilà. »
    Lola se leva et partit en courant, les mains tachées de sang.
    De plus en plus de gens se regroupaient dans les rues et Lola commençait à s’inquiéter du sort de son nouveau protégé. Elle entra dans la pharmacie et sortit de sa poche les pièces qu’elle réservait pour les gaufres. Elle salua les employées avec lesquelles elle avait passé une semaine et leur demanda la liste des produits dont elle pourrait avoir besoin tout en essayant de dissimuler ses mains écarlates. Devant le regard inquisiteur de son ancienne tutrice, elle ajouta :
    « - Le chien du voisin s’est battu et il saigne, je dois lui faire un bandage. Vous n’auriez pas quelques conseils à me donner ? »
    Elle sembla convaincue, et Lola sortit de la pharmacie, un sachet à la main.

3
Elle se remit à courir pour la troisième fois de la journée. Bizarrement, les rues étaient désertes à présent. Où était passée la foule de tout à l’heure ? Elle continua son chemin : ils étaient tous là, autour du géant. Lola lâcha ses affaires, pétrifiée : le blessé se faisait rouer de coups, battre à mort par deux villageois en furie. Elle se précipita vers lui, prête à foncer dans la mêlée s’il le fallait. L’homme poussait des grognements de douleurs, mais ses soupirs n’étaient pas perceptibles tant les habitants rugissaient. Lola tentait de se frayer un chemin dans la foule lorsqu’un policier la saisit par le bras et l’écarta :
« - Ce n’est pas un endroit pour toi gamine. Va-t-en !
Mais que faites-vous ! Il est blessé ! Il a besoin d’aide ! Pourquoi faites-vous ça ? Il ne vous a rien fait !! »
Le visage du représentant de l’ordre s’élargit, laissant place à une expression mi-amusée, mi-apeurée. Il serra la main de la jeune fille de plus belle, contourna la foule et s’approcha le plus près possible du géant meurtri. D’un signe de la main, il réclama le silence. Les coups s’arrêtèrent et le gendarme se mit à parler :
« - Vous ne devinerez jamais ce que cette gamine vient de me dire. Elle prétend que cette chose ne nous a rien fait ! Que nous n’avons aucune raison de la frapper ! »
Une petite femme intervint : « Il a voulu rentrer chez moi ! ». Une autre rajouta « Il s’est approché de mon enfant ! », puis les reproches fusèrent de partout : « Il a essayé de m’enlever après m’avoir couru après ! », « Il a saccagé mon beau jardin ! », « Il a égratigné ma voiture ! ». Soudain, l’un des hommes qui frappait le géant s’avança d’un air méprisant :
« - Tu sais ce que c’est, ça ? C’est un monstre ! Une bête sauvage incontrôlable ! Tu as vu ces yeux ? Ce n’est pas humain ça ! C’est un démon, une chose gigantesque et horrible ! Il ne mérite pas de vivre »
L’homme saisit son fusil et appuya sur la gâchette. Le géant plongea un dernier regard doux, reconnaissant et empreint d’une humanité inouïe dans les yeux de Lola. Les oreilles de celle-ci se mirent à bourdonner et elle hurla. Elle hurla de douleur en voyant le corps déchiqueté de cet homme tomber et s’immobiliser à jamais.
Les oreilles bouchées, elle s’agenouilla par terre, toujours entre les griffes du policier. Lola se mit à pleurer. La première fois depuis que ses parents étaient partis. De grosses larmes gorgées de regrets et de tristesse. Ces grosses larmes qui auraient dû couler depuis longtemps ruisselaient sur le visage de Lola.
Soudain, une vague de colère envahit la jeune fille. Les larmes laissèrent place à la rage incontrôlable d’une adolescente profondément blessée. Elle se releva, la tête haute et les yeux rouges et elle se mit à crier :
« - Vous disiez que c’était un monstre ? Une bête féroce ? Mais vous êtes-vous regardés ? Condamner quelqu’un simplement à cause de ses différences, quelle honte ! »
Elle dégagea son bras de l’emprise de l’agent. Elle parla encore plus fort :
« - Vous le traitiez de démon ? D’animal ? Mais c’est vous qui êtes des monstres, des bêtes et des démons ! Vous êtes tous des meurtriers, TOUS ! »
Elle cracha par terre, pour leur afficher son mépris et s’en alla en courant.
Dans les rues désertes de sa ville, Lola ne pleurait plus : elle regrettait. Elle regrettait d’avoir tout raconté à Morgane, elle regrettait d’avoir fui, elle regrettait de ne pas avoir fait confiance à l’instinct enfantin de son petit frère.
Elle ne pouvait accepter ce que tous ces gens avaient fait, ce que Morgane avait fait. Ces gens qu’elle avait fréquentés au quotidien, manipulés par la peur de l’inconnu, s’étaient unis dans cette traque déloyale, chassant en meute, pensant que leur union leur donnait tous les droits. Ils avaient assassiné un innocent.
Elle se sentait triste. Elle se sentait folle de rage. Elle se sentait trahie.