Averses

Ce fut au moment où la coque basculait que Simon comprit qu’il n’irait pas pêcher ce jour-là, pas plus que les jours suivants.

L’OPJ Alexandre Millet était seul chez lui. Quand il reçut l’appel, il décrocha, hocha la tête de nombreuses fois, et nota quelques informations sur un vieux ticket de caisse qui traînait, puis il raccrocha sans un mot. Millet était un homme seul, il appréciait la compagnie de l’Homme, tant que celle-ci était brève ou purement professionnelle. Il était passionné, et cela depuis toujours, par les enquêtes et la photographie et ses deux passions occupaient tout son temps. Les seuls contacts qu’il avait avec les autres, se résumaient à ses clichés pris au détour d’une rue, ses photos d’inconnus qu’il collectionnait avec passion. Soucieux de mettre en lumière les détails qui se fondaient dans le décor, ceux qui passaient inaperçus aux yeux de tous, mais qui se révélaient si facilement aux siens. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il se rêvait policier. Toute son adolescence, il l’avait passé à regarder des vieux polars, à visionner des reportages sombres sur des enquêtes policières ou à lire des livres d’aventures enfermé dans sa chambre. A l’âge adulte, il était devenu brigadier-chef et avait travaillé très dur pour passer la sélection d’OPJ, et bien évidemment il avait réussi avec succès. Ce n’était pas un bel homme, ou du moins, il ne possédait pas suffisamment de charme pour qu’on le qualifie de beau. Les traits du visage tirés par la fatigue, il enfila son manteau et ses chaussures encore humides, attrapa ses clés de voiture et quitta avec hâte son domicile. Une fois sur le péron, il leva les yeux vers le ciel et se fit la réflexion que le soleil était enfin apparu, après plusieurs jours de pluie. Cette fois-ci, il était appelé pour une noyade, dans la rivière du village. Elle se trouvait à un petit kilomètre de chez lui. Celle-ci était très prisée des pêcheurs, mais déserte à cette époque de l’année.

L’enquêteur arriva sur les lieux où une équipe de policiers était déjà arrivée. Un homme était allongé dans la boue, la moitié du corps sorti de l’eau, le visage à découvert. Il semblait perdre des couleurs au fur à mesure que les minutes s’écoulaient. Comme frappé par la mort. Son panier et sa canne à pêche étaient posés sur la rive. Quelques mètres plus loin, il aperçut Léa Paquet, sa binôme. Elle était arrivée en avance, comme toujours, sûrement déposée par un autre Policier. C’était une jeune femme brillante sortie Major de promotion de l’école nationale de police de Nîmes, où elle avait passé une formation d’OPJ. Millet avait beaucoup d’affection pour elle. Elle ne tenait pas en place, se rendait disponible à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et, malgré des horaires de travail difficiles, personne ne l’avait jamais entendu se plaindre. Celle-ci fit un signe à Millet et s’empressa de lui expliquer la situation :

  • Simon Perriet, 29 ans, a été retrouvé par un homme qui se promenait avec son chien. Il l’a sorti de l’eau et a tenté un massage cardiaque, sans résultat. Les pompiers sont arrivés avant nous mais eux non plus, n’ont rien pu faire. Il vient de s’installer avec sa compagne, il y a seulement quelques mois. On a interrogé le témoin, il était sous le choc, et sans l’heure du décès, on ne peut rien affirmer. J’ai pu avertir sa compagne, lança Léa .
  • Tu as trouvé ses papiers ? marmonna Millet sans même lever la tête. 
  • Tout était dans le panier, s’exclama Léa en désignant le panier du regard. Le légiste est en chemin.

Millet hocha la tête satisfait, et enfila une paire de gants avant d’en donner une à Léa puis ils s’approchèrent du corps. Il le retourna, et l’examina. Ils ne trouvèrent qu’une légère bosse à l’arrière de son crâne. Mais rien de plus. Pas un seul hématome, aucune plaie à se mettre sous la dent. 

  • Incroyable ! Il n’a rien. Pas une seule égratignure, ça ne serait donc qu’une noyade ?

Le ton qu’employa Léa, lui fit bien sentir qu’elle était déçue. Elle était jeune, et passait son temps à essayer de se faire accepter et apprécier par ses supérieurs. Et quoi de mieux qu’un meurtre dans un petit village perdu, pour faire ses preuves ?

  • Probablement oui. En attendant les résultats du légiste, on va interroger le témoin, sa famille, ses amis et bien sûr sa compagne. On en saura déjà plus, et on pourra écarter quelques pistes, expliqua calmement Millet .
  • Très bien. Mais ça risque de ne pas être simple. Avec la pluie qu’il y a eu, tout a été lavé, le sol est boueux et la moindre empreinte à probablement disparu...

L’inspecteur acquiesça et observa la rivière en silence. Un bruit de voiture l’extirpa de ses pensées, le légiste était arrivé. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, avec un léger embonpoint et une démarche mal assurée. Il vivait dans un village voisin, avec sa femme et ses deux enfants et s’était toujours débrouillé pour travailler en accord avec la Police. Cela faisait maintenant plus de 6 ans qu’il côtoyait Millet. Celui-ci salua les deux policiers et débuta une série d’examens sur le corps de Simon. Il vint interrompre les deux OPJ après quelques minutes :

  • Je dirais qu’il est mort il y a 4 ou 5 heures, soit très tôt dans la matinée. Je vais avoir besoin d’examens complémentaires pour vous en dire plus. L’équipe d’identité judiciaire peut débuter les prélèvements. 
  • Vous pensez donc que c’est un meurtre ? questionna Léa avec une excitation à peine dissimulée. 

Le médecin haussa les épaules et se dépêcha de rejoindre sa voiture.

Millet retira ses gants avec des gestes lents pendant que l’équipe d’identité judiciaire prenait place et commençait à faire les premiers prélèvements. Il les observait, fasciné par leur mouvements mécaniques, leurs rôles bien définis et la facilité avec laquelle tout cela s’orchestrait. Puis il salua tout le monde, sauta avec Léa dans sa vieille voiture pleine de boue et ils se mirent en route pour le premier interrogatoire :

  • Que savons-nous d’Anna Perriet ? questionna Millet 
  • A vrai dire pas grand chose, elle n’a pas de casier judiciaire ,et elle a rejoint Simon au village . Elle a 26 ans et travaille en ville comme sage femme. Vous la connaissez probablement.

Millet plissa les yeux, pour mieux réfléchir, s’éclaircit la voix et lui répondit 

  • Non, je ne crois pas. Je ne sors pas vraiment en dehors du boulot.

Le ton qu’il avait employé signifiait que la discussion était close. Et Léa n’insista pas. Mais peu importe car ils étaient arrivés.

Millet se gara devant une très jolie petite maison. La façade était blanche et les volets bleus. Ils traversèrent en silence le jardin en fleurs et Léa frappa à la porte. Une très jolie jeune femme leur ouvrit. Elle avait de long cheveux roux qui tombait en cascade sur son dos et de jolies tâches de rousseur. Elle arborait habituellement un magnifique sourire mais qui en ce triste jour se montrait timide. Ses yeux étaient rouges et légèrement enflés. Une chose était sûre, elle avait beaucoup pleuré. Elle pivota sur elle -même pour laisser entrer les deux policiers et leur désigna le canapé. Puis elle s’affala dans un vieux fauteuil usé, en rabattant sur un côté de son visage sa magnifique chevelure rousse.

  • Bonjour et merci de nous recevoir, je suis l’enquêteur Millet et voici Léa Paquet ma collègue OPJ. Vous l’avez eue au téléphone tout à l’heure. Nous sommes en charge de l’enquête sur la mort de votre Mari. Pour commencer, toutes nos condoléances. Nous savons à quelle point c’est difficile de perdre un proche et d’autant plus dans une situation comme la vôtre. Mais nous avons besoin de vous poser quelques questions sur la mort de Simon. Vous comprenez ? demanda Millet avec une voix rassurante.

Elle hocha la tête puis il fit signe à Léa de prendre le relais :

  • Quand avez-vous vu Simon pour la dernière fois ? Questionna Léa 
  • Hier soir. Quand nous nous sommes couchés. Nous n’avons pas dormi ensemble cette nuit. Ce matin à mon réveil il n’était plus là .
  • Excusez-moi cette question quelque peu indiscrète mais ,pourquoi n’étiez vous pas dans le même lit ?
  • On s’était disputés. Il a dormi sur le canapé, là où vous êtes assis .
  • Vous vous êtes disputés ? À quelle sujet ? demanda Millet 
  • Rien de méchant. J’en avais simplement marre qu’il parte pêcher. Il passait son temps là-bas. Et ce soir-là, il avait fait allusion au beau temps qui revenait et à la possibilité d’aller ...une nouvelle fois à la rivière murmura-t-elle en baissant les yeux .
  • Vous ne vous êtes pas inquiétée qu’il ne soit pas là à votre réveil ?
  • Non, j’étais sûre qu’il était parti pêcher .
  • Vous l’accompagniez à la rivière ?
  • Au début de notre relation, oui. Mais je m’en suis vite lassée. Il y va ...il y allait seul depuis quelques temps .dit-elle en essuyant ses larmes d’un revers de manche.

Léa nota toutes les réponses d’Anna quand soudain son téléphone sonna :

  • Excusez-moi Mme Perriet, je dois prendre cet appel .

Anna cligna des yeux en signe d’approbation et Léa sortit téléphoner dans le jardin.

  • Pensez-vous que Simon avait des ennemis ? Poursuivit Millet 

Anna se prit la tête entre les mains et se mit à réfléchir. Elle pensait à Simon, à toutes les bêtises qu’ils s’étaient dites ,à son rire, fort et communicatif, à ses cheveux qu’il recoiffait sans arrêt,à sa collection impressionnante de DVD, à sa façon si particulière qu’il avait de la regarder.

Elle se dit que non. Ce n’était pas possible, Simon n’était pas du genre à avoir des ennemis .

  • Non je ne crois pas. Il était très apprécié au village. dit-elle en reniflant 
  • Où étiez-vous ce matin entre 6 heures et 8 heures ?
  • Ici. Et personne ne ne peut le confirmer, dit-elle en baissant les yeux .
  • Vous ne pensez à rien d’autre ? Quelque chose qui sortait de l’habituel ? Un comportement étrange de la part de Simon ?
  • Il a dû partir avec notre chien ce matin.Tommy, c’est un épagneul. Il connaît le chemin de la maison ,mais il n’est pas rentré. Vous ne l’avez pas trouvé ?
  • Tommy ...Non pas à ma connaissance , je vous le ferai savoir si on l’aperçoit. Merci pour le temps que vous nous avez accordé. Nous vous tiendrons au courant. En attendant, reposez-vous bien et prenez soin de vous.

Léa fit irruption dans le salon, elle s’excusa d’avoir dû partir en plein milieu de l’entretien mais assura que c’était dans le cadre de l’enquête, elle présenta une nouvelle fois ses condoléances et quelques formules de politesse plus tard, ils étaient dans la voiture :

  • Alors ce coup de téléphone ? Dis-moi que tu as appris quelque chose, s’exclama Millet .
  • Le témoin qui a sortit Simon de l’eau, n’est pas notre coupable. Il fêtait son anniversaire avec toute sa famille , il n’a pas quitté la fête avant de sortir son chien. Soit plusieurs heures après le décès de Simon.
  • Très bien. Tu vois la liste des suspects diminue déjà ..Qu’as-tu pensé de l’entretien avec Mme Perriet ?
  • Elle avait l’air bouleversée, et il y avait des photos d’elle et Simon partout dans la maison. J’ai l’impression qu’ils s’aimaient ...
  • Cependant ,personne ne peut affirmer quelle était bien chez elle, pendant le meurtre de Simon. Elle savait ou il allait, c’est le crime parfait ...Facile de jouer la pauvre veuve inconsolable, tu ne crois pas ?
  • Non je ne crois pas. Il est tard nous devrions rentrer, tu peux me déposer ?

Millet fit oui de la tête et après avoir ramené Léa en ville, rentra chez lui. Il était épuisé, mais il ne prit pas le temps de se dévêtir. Il mourrait de faim. Il se fit alors réchauffer un reste de poulet rôti et s’attabla sans réfléchir. Une fois son repas terminé, il se dirigea dans son jardin, vers la petite cabane en bois qui lui servait de garage et ouvrit la porte :

  • Alors toi ? Désolé de t’avoir laissé là mais c’est ma seule option pour l’instant. Tiens regarde je t’ai ramené du poulet rôti pour me faire pardonner.Tu as faim j’espère ?

Il caressa lentement la tête du chien en murmurant :

  • Tommy …