Bleu comme saphir, vert comme émeraude

Nouvelle écrite par Andrea Baroni, en 3 ème à l’ Institut Saint Dominique de Rome (Italie) (NDLR : établissement français rattaché au centre d’examen de Grenoble)

Bleu comme saphir, vert comme émeraude

J’ai dévalé le grand escalator qui traversait la verrière du centre commercial des Trois Platanes, dans le clignotement des sapins de Noël, avec l’intention de m’approcher le plus possible pour trouver de nouvelles idées pour les vêtements de mes miniatures. Les reflets colorés que les vitrines miroitaient autour de la jeune fille indienne me donnait l’impression d’être à un bal. Le silence complet n’était troublé que par le murmure de mon souffle, les palpitements de mon cœur, et le retentir de mes pas. Ce n’était pas l’étrangère qui était au mauvais endroit, mais les clients du centre commercial, eux, étaient dans un monde qui ne leur appartenait pas. Les spectateurs étaient paralysés, leur souffle coupé. Je les regardai alarmé par leur immobilité. Leur chair était d’un blanc couleur marbre tel une statue de l’époque romaine et leurs habits étaient soulevés par un courant d’air imperceptible. Je m’approchai d’une femme aux yeux écarquillés et à la bouche entrouverte en un cri insonore et lui effleurai du bout de mes doigts sa joue marbrée. Elle était froide et dure. Je retirais ma main avec effroi. A pas mal assurés, je me dirigeai vers le corps de la fillette sans quitter du regard les statues humaines. Mon pied heurta un petit objet qui roula jusqu’à la base d’une colonne. C’était une petite bille transparente. La suivant du regard, je m’aperçus qu’un homme était caché derrière le pilastre. Je levais le regard m’attendant à un visage inconnu et mauvais comme celui d’un assassin. Mais la surprise me laissa bouche bée. Devant moi à quelques mètres de distance, monsieur Bazir me fixait derrière ses lunettes à la monture fine et raffinée. Et il respirait ! Je me mis, donc, à regarder la femme qui criait silencieusement, l’homme qui se penchait de la rempart du deuxième étage, le petit garçon qui tirait la manche de sa mère et qui pointait le doigt sur le corps étendu sur le carrelage, pour voir si l’enchantement s’était brisé, mais les statues étaient encore là. Alors je me retournais avec un regard interrogatif vers mon professeur. Il avait disparu. Espérant qu’il s’était déplacé pour mettre entre nous la colonne je courus voir s’il s’était mieux caché. Je ne trouvai rien si ce n’est la petite bille que je ramassai. C’est à ce moment là que j’entendis une plainte. Je me retournai. La jeune fille de la cour de Pandajar avait bougé. Après m’être approché d’elle, j’examinai son visage. Elle avait une peau couleur caramel, des pommettes légèrement plus rouges qui devaient s’accentuer quand elle était embarrassée, une bouche avec des lèvres légèrement pulpeuses pareilles à une cerise, des cils longs et noirs qui charmaient les gens quand elle battait des paupières et… deux yeux me fixaient sans expression, un œil bleu comme un saphir et l’autre vert comme une émeraude. Ses lèvres s’entrouvrirent laissant sortir des sons qu’au début je ne réussis à distinguer. Petit à petit des mots, et par la suite des phrases, se firent place dans mon cerveau.
« Bienvenu dans la cour de Pandajar ». Sur le coup, je pensais que la fille délirait, mais avant que je ne puisse lui parler la musique envahit mes oreilles et des odeurs d’épice et de fleur, mon nez. Des voiles et des turbans tourbillonnaient autour de moi. Les tissus étaient des couleurs les plus diverses et de toutes les tonalités. Les filles de la cour dansaient au rythme de la musique et faisaient teinter leurs grelots argentés. Un banquet était étalé sur une table richement dressée. Les plus étranges plats indiens aromatisés aux épices les plus variées y étaient présentés. La fille à la robe écarlate se leva. D’un coup de main, elle retira les plis de son voile et de sa robe. Moi, je ne pouvais qu’admirer sa beauté, agenouillé à ses pieds. Elle me tendit sa main, que je remarquais tatouée de drôles de desseins, je mis quelques secondes pour comprendre qu’elle voulait m’aider à me lever. Quand je tendis ma main pour attraper la sienne, quelqu’un me prit par le derrière du col de la chemise. L’indienne me regarda affolée, attrapa ma main pour la laisser tout de suite, après y avoir déposé un petit bout de papier froissé. « Que fait un pauvre garçon dans la cour de Pandajar durant la fête de l’été ? » Un garde de Pandajar, gros et costaud, me regardait du haut de ses deux mètres. Un bain de transpiration me couvrit le corps. Ce n’était pas le soleil qui tapait haut, fort dans le ciel qui me causait cette réaction, mais la peur et l’inquiétude de ce qui allait m’arriver.
Dans un des nombreux livres du royaume de Pandajar que monsieur Bazir avait dans sa bibliothèque réservée pour son atelier, j’avais lu l’histoire d’un pauvre homme qui avait été pris à une des fêtes des saisons réservées à la noblesse. Il y était allé car sa famille mourait de faim et voulait prendre de la nourriture au banquet. Quand les gardes le surprirent, ils le jetèrent dans un trou humide et odorant de décomposition creusé dans une salle et le laissèrent pourrir dans le noir complet. L’homme passait ses journées à penser à sa famille qui ne savait pas où il était et à attendre impatient que la mort l’atteigne.
Le garde me souleva pour me mettre debout. Mes jambes de gélatine faillirent flancher mais avant de toucher terre le géant me prit par le bras et me traîna vers un arc sculpté qui portait dans une salle majestueuse avec les parois couvertes d’or et les colonnes de marbre parsemées de pierres précieuses de toutes les couleurs. Au fond s’élevait un trône en pierre d’améthyste. Sur ce trône, un homme, couvert de tissu de haute manufacture, de prix exorbitant, et de bijoux d’or et d’argent, me regardait comme si j’étais le plus petit grain de sable du désert. Le garde me jeta à terre et me donna un coup de pied dans les côtes. J’étouffai un cri. L’homme s’approcha du trône et, après s’être prosterné, parla avec le maharadja. Ce dernier lui répondit et fit un signe nonchalant de la main vers moi, sans daigner m’adresser un regard.
On me jeta dans un cachot. Comme une furie je me jetai sur la porte et y battait des poings. « Faites moi sortir ! » Je criais, donnait des coups de pied, je me défoulais comme je pouvais. Je n’arrivais pas à me calmer. La rage m’avait atteint. De grosses larmes que j’essuyais en permanence avec de brusque mouvement, me coulaient sur les joues et me troublaient la vue. Je m’assis sur le sol et commençai à avoir des tremblements et des secousses dans tout le corps. Les nœuds des poings étaient douloureux et écorchés. J’ouvris mes mains pour les décontracter. La feuille de papier que j’avais depuis ma capture, dans le poing gauche et la bille dans le poing droit tombèrent à terre. Je les ramassai avec un sens d’euphorie. Avec empressement mes doigts déplièrent mon unique chance de survie. Quand je lus les mots qui y étaient inscrits, ma déception fut tellement forte à me donner des crampes au ventre. Ecrit en une petite écriture penchée l’indienne avait inscrit : “Pour que tout redevienne normal la terre et le ciel doivent s’échanger de place.” Un petit rire nerveux me sortit de la gorge. Comment étais-je arrivé dans ce délire ? De derrière la grosse porte en fer munie d’une petite fenêtre que l’on ne pouvait ouvrir que par l’extérieur, une faible et douce voix féminine me fit sortir de mes pensées : « Ta nourriture. » La petite fenêtre s’ouvrit laissant passer une assiette avec une tranche de pain, portée par une petite et fine main décorée de desseins illustrant le soleil, la lune et les étoiles avec de la peinture brune et dorée. De l’extérieur je ne pus qu’entrevoir un tissu rouge vif et entendre le petit tintillement. L’ouverture se referma me relaissant seul avec moi même et ma dépression. Je donnai un coup de pied dans la gamelle qui l’envoya sur une planche en bois, où de la paille était posée. Je ne pu m’empêcher d’imaginer les petites bêtes qui y vivaient.
Par un trou dans le mur au fond du cachot, les raillons du soleil qui s’insinuaient à l’intérieur, étaient la seule source de lumière. Le sol était couvert de vieux carreaux poussiéreux. Dans chaque angle de la salle des araignées avaient tissé de grandes et fines toiles. Après cette longue inspection du lieu je m’endormis. Les rêves ne furent pas des plus joyeux. Je voyais un homme jeté dans un trou, une jeune fille indienne entourée de voiles rouges écarlates qui dansait et qui tombait par terre les yeux écarquillés et vides, deux épées qui s’affrontaient en un duel mortel…
Un ronchonnement me réveilla. Les yeux ouverts, un nouveau garde prenait toute la visuelle. Il me parlait avec accent particulier et incompréhensible. Mais par ses brusques mouvements je compris qu’il voulait que je me lève. Mon corps était tout douloureux. Le position dans laquelle je m’était endormi n’était pas une des meilleures. Un second garde entra dans le cachot, ce qui accentua la petite taille de l’endroit où nous nous trouvions. Il donna des habits au premier et, avec une voie à la tonalité grave il m’annonça que j’allais participer à une “Ladai” avec un certain Asha. Puis il se mit à rire menaçant. Je fronçais les sourcils prêt à affronté quoi que soit une “ladai” et qui que soit Asha.
Après m’être débattu pendant que le garde avec un drôle d’accent, m’habillait d’un tissu beige et qui se révéla irritant pour la peau par la suite, on me traina par la force dans une salle remplie d’armes. A ma droite, des sabres bien aiguisés étaient exposés accrochés sur la paroi. Et du coté opposé une file de lances et d’aches étaient alignées. Le garde m’ordonna de choisir un de ces objets. Je ne m’y connaissais pas en épées, je pris donc un sabre quelconque avec un manche en argent et un saphir encastré. Cette pierre, j’avais lu dans un magazine, était symbole d’immortalité et de pureté. « Alors ? Tu te décide à sortir ? » Il m’indiqua une petite porte, cachée dans l’obscurité que je n’avais pas vu. Etant donné que je ne me décidais pas à bouger, le garde me poussa brusquement et me jeta de l’autre coté de l’ouverture.
Je m’attendais à tout sauf à ça ! Je me trouvai en plein milieu d’une arène. La foule criait, s’agitait… et au centre de tout cela : il y avait la fille aux yeux saphir et émeraude. Elle avait changé d’habit. Elle ne portait plus sa belle robe, mais une tunique marron et une ceinture auquel était attaché un sabre orné d’une émeraude symbole de force et vitalité cosmique.
Une corne sonna. Silence. « Voici l’individu qui a violé la loi. Le maharadja a décrété qu’il doit participer à une ladai, un combat, contre Asha, première femme maître danseuse de l’art du sabre. » Les voix des personnes du publique s’élevèrent comme une seule et unique. Je devais combattre contre un génie du sabre ? Avant que je puisse répliquer, Asha se jeta sur moi en murmurant quelque chose :« Je suis désolée, je voulais t’aider mais là il est question de vie ou de mort. Défend toi ! » Une lame me passa tout près de la tête. J’allais mourir ? Un autre fendant dans l’aire. Quelque chose me transperça le buste. Asha me regardait avec une pointe de compassion et une larme tomba de ses longs cils noirs. Puis elle se pencha vers moi.
Chaud et froid se mélangèrent. Mes perceptions se brouillèrent. Mon corps tomba lourdement à terre. Le sol était froid… ou chaud ? La petite bille me roula près du visage. Et tout s’éclaircit dans mon esprit. Regardant à travers la boule de verre, le monde était vu à l’envers. Le ciel était en bas et la terre en haut. Un sourire résigné apparut sur mes lèvres, c’était trop tard. Le noir m’enveloppa comme une douce couverture et le silence me cajola comme une berceuse. Des images défilèrent sous mes yeux. Entre elles, il y avait une fille qui ressemblait beaucoup à Asha. Elle riait, pleurait criait, je connaissais toute ses expressions par cœur comme si je l’avais déjà connue. Un flache me fit rappeler de mon enfance d’une fille que quand j’étais petit jouait toujours avac moi et elle s’appelait… « Sébastien, Sébastien. » La tête me faisait mal, le sang me battait dans les tempes. Mes paupières s’ouvrirent lentement. La lumière artificielle des néons m’éblouit. Un homme aux lunettes raffinées était penché vers moi et me regardait inquiet. « Monsieur Bazir… » murmurais-je. J’étais étalé sur le sol du centre commercial. Les passants me regardaient curieux comme si j’étais une bête de cirque. Je portais mes mains au visage pour me frotter les yeux irrités. Et je m’aperçus qu’elles n’étaient pas vides. Dans la droite, une petite bille transparente me faisait voir le monde à l’envers et dans la gauche, j’avais une petite miniature d’une fille à la robe écarlate, à la peau couleur caramel et avec un œil vert comme une émeraude et un œil bleu comme un saphir.