Cauchemar

Robin WEIERSMULLER, en 3ème au collège A. Daudet, Ales (30), classé 3ème de l’académie de Montpellier

CAUCHEMAR

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »
« Chut. Regarde. »
La silhouette désigna le ciel. En haut, les rêves fusionnaient en une flaque pourpre qui scintillait de mille lumières. Victor dégagea son regard du phénomène, et examina l’étranger. Il portait une sacoche brune, en cuir, à la taille, il était vêtu d’habits légers en laine de couleur brune, et d’une paire de bottes en cuir noir. Le regard de Victor s’arrêta, il venait de voir le grand filet plié sur l’épaule de l’individu. La sacoche, le filet, les habits légers parfaits pour se mouvoir, cela ne faisait plus aucun doute, c’était un chasseur de rêves.
Voilà que Victor allait avoir de la concurrence !
« Moi, c’est Claire. Et toi t’es qui ? »
Victor aperçut son visage. Des traits fins, des yeux marron, des cheveux châtains, des joues roses. Une fille ! Elle devait avoir à peu près son âge.
« Hé ! Je te parle ! »
« Euh, oui, Victor, je m’appelle Victor. » Bredouilla-t-il.
La flaque de rêve disparut dans le ciel.
« Monsieur Paul m’a engagé pour attraper des rêves. Je vois que tu es aussi un chasseur de rêves, et je suppose que tu travailles aussi pour monsieur Paul. Alors voilà, c’est soit tu es contre moi, soit tu es avec moi. Que choisis-tu ? » dit-elle d’un ton ferme.
Voilà qu’elle essayait de l’intimider ! Victor réfléchit, s’il s’opposait à elle , il aurait moins de rêves surtout qu’en cette saison les rêves étaient moins présents (en effet nous sommes en début Juin, les nuits sont moins longues et les rêves n’aiment pas trop le jour et s’attardent moins) et qui sait de quoi elle est capable !
« Bon d’accord, je suis avec toi. »

« Super ! Bon c’est pas tout, mais on a déjà du retard, la majorité des rêves sont partis. Là-bas ! Un gros rêve rouge ! On y va ! »
Le rêve était d’une couleur rouge écarlate, il se déplaçait lentement sûrement à cause de sa taille imposante.
Quelques sauts plus tard, ils se retrouvèrent à quelques pas du rêve, ce-dernier effrayé accéléra.
« On ne le laisse pas partir ! »
Claire, rapide, dépassa le rêve, s’arrêta et se mit face au rêve. Elle se jeta dessus en brandissant son filet. Le filet s’enroula autour du pauvre rêve, il ne pouvait plus fuir. Puis elle ouvrit sa sacoche, et le rêve fut aspiré.
« Et voilà ! » s’exclama-t-elle.
Victor restait bouche bée, quelle redoutable chasseuse ! Elle avait une telle force, une telle vitesse et une telle beauté…
« Quatre heures du matin… Faut se bouger sinon on sera en retard au point de livraison. On a perdu beaucoup de temps, tu t’arrêtes toujours pour parler avec les inconnus ? » Elle étouffa un rire.
En plus elle avait de l’humour !
Une demi-heure plus tard, ils arrivèrent à l’endroit de la transaction. C’était dans un entrepôt laissé à l’abandon. Ils vidèrent leurs sacoches à rêves dans une boîte à chaussure, cette dernière servait de transporteur, les rêves étaient téléportés dans un lieu inconnu où monsieur Paul les récupéraient et alors apparaissait de l’argent en fonction des différents rêves rapportés (certains rêves valent plus cher que d’autres).
« Bon, ben à demain soir alors. »
« Oui, au revoir » dit Victor.
Sur le chemin du retour Victor repensa à sa drôle de coéquipière, elle l’impressionnait, autant par ses talents de chasseuse que par sa beauté. En face d’elle, il se sentait petit, en face d’elle, il perdait son assurance habituelle. Était-il amoureux ? Lui-même ne le savait pas. Il attendait le lendemain avec impatience.

Le lendemain soir.
« Salut ! » s’écria Claire.
« Bonsoir »
« Mettons-nous au travail ! »
« J’ai repéré un troupeau de rêves, plus au Sud », déclara fièrement Victor.
Ils partirent en direction du regroupement de rêves. Arrivés, ils virent un magnifique rêve, un rêve a l’éclat pur et vierge. Ce dernier scintillait et à côté tous les autres rêves semblaient ternes.
« Tu l’as vu ? Il doit valoir très cher ! » cria la vaillante chasseuse.
« Oui, il faut l’avoir ! »
S’ensuivit une folle poursuite à travers les toits. Le rêve était rapide, et les deux chasseurs également.
« Devant ! La flaque de rêve ! Il ne doit pas s’enfuir ! » s’exclama Victor.
Le rêve se rapprochait de plus en plus de la flaque s’il la rejoignait, il serait aspiré et disparaitrait pour toujours. Le rêve n’était plus qu’à quelques mètres quand soudain Claire parvint à l’agripper avec son filet, le rêve entrainé par son élan pénétra dans la flaque, entraînant Claire. Victor par un sprint, réussit à s’agripper à la cheville de Claire. Ils furent tous les deux engloutis par la flaque. Victor percuta un objet et perdit connaissance.
« Aïe, ma tête. Où suis-je ? Où est Claire ? »
Victor était enfermé dans une petite pièce, sauf que les barreaux, le sol, les murs étaient en nuage rigide ! Il se débattit, hurla, frappa, mais personne ne vint. Exténué, il s’assit à même le sol et réfléchit.
Où pouvait-il bien être ? Dans le ciel ? Cela expliquerait le matériau particulier de sa cellule.
« Debout, vermine ! »
Derrière les barreaux de la cellule se tenait un grand rêve vert. Mais les rêves ne parlent pas, pensa Victor, ce ne sont que des songes !
Le rêve ouvrit la porte, attrapa Victor, le jeta dehors.
« Avance ! »
« Où suis-je ? Répondez ! »
Le nuage resta muet. Il poussa Victor à travers des dédales, le chasseur continua sa réflexion : les rêves n’ont aucune consistance, ils ne peuvent toucher, attraper un objet, alors qu’il avait bien vu le rêve vert ouvrir la porte, en tenant une clé lumineuse.
« Les rêves ne sont pas conscients, ils ne vivent pas ! » bredouilla Victor.
Son geôlier ne répondit pas.
Ils arrivèrent dans une salle géante, composée de gradins. Sur les gradins, des milliers de rêves, verts, bleus, rouges… Les murs étaient encore en nuage, sauf qu’ils étaient ornés de fresques dorés représentant des batailles, des couronnements… mettant en scène toujours des rêves. Au centre de toutes les attentions, il reconnut Claire et devant elle, se tenait un trône, sur lequel était assis le rêve blanc, celui qu’ils avaient poursuivi.
Le rêve vert qui l’avait escorté jusqu’ici, le jeta à terre, à côté de Claire. Il lui sourit. Ils avaient tous les deux les mains attachées dans le dos.
« Claire et Victor, chasseurs de rêve, ici présents, êtes accusés de meurtre sur différents et nombreux rêves » déclara une voix venue de l’infini, qui résonnait dans la pièce.
« Quoi ? On a tué personne ! » cria Claire. Pour seule réponse, elle reçut une gifle.
« Tu parleras quand on t’autorisera à parler », interrompit un rêve.
La voix continua.
« Votre peine sera de deux cent trente quatre ans de travaux forcés dans les mines de pierre de lune. »
Victor comprenait de moins en moins, les rêves vivaient, les rêves l’avaient enfermé, les rêves l’accusaient de meurtre et maintenant les rêves le punissaient par deux cent trente quatre ans de travaux forcés dans des mines.
« Mais avant, nous allons lire dans vos mémoires pour avoir la preuve de ce que nous avançons. »
Un brouhaha s’éleva des gradins où siégeaient les milliers de rêves, une porte s’ouvrit de dessous les tribunes, et en sortirent deux formes noires. Victor les reconnut, des cauchemars. Les cauchemars sont connus pour avoir le don de lire dans les pensées de leurs victimes et de dévorer leur mémoire, leurs songes. Les choses difformes s’avancèrent et se placèrent derrière les chasseurs. Ils déplièrent de longs doigts qui se refermèrent sur leurs crânes. Victor sentit ces « doigts » pénétrer dans sa tête, il hurla de douleur, il entendit en même temps le cri de Claire. Le cauchemar entrait de plus en plus dans son crâne remuant chaque partie, fouillant chaque recoin. Victor se tortilla de douleur, sa tête était au bord de l’explosion, il hurla, se débattit, rien ni fit il ne pouvait plus bouger. C’était la fin, son corps entier le brûlait, par un effort surhumain, il réussit à bouger ses yeux et à les fixer sur Claire. Il aurait voulu la sauver. Il l’aimait.

Victor se réveilla en sursaut. Le front dégoulinant de sueur, il s’exclama :
« Un rêve ! Un petit rêve de rien du tout ! »
Il s’habilla puis parcourut les longs couloirs de l’orphelinat, il les connaissait par cœur. Il descendit dans la cour, s’assit sur un banc faisant face à la grande grille d’acier où il était pour la première fois entré ici il y a dix ans. Il respira profondément en repensant à son drôle de rêve, qui pourtant paraissait très réel. C’était tôt le matin, il n’y avait personne lorsqu’une voiture apparut dans l’ouverture de la grille, l’automobile se gara, une jeune fille en descendit. Il la reconnut, Claire.