Ce qu’ils se doivent

Ecrit par PELLE Lisa (3 ème, Collège Victor Hugo de Volvic)

Ce qu’ils se doivent

A quelle tribu appartenait celle-ci ? Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

« Excuse-moi, où est le centre médical ? demanda le jeune homme.

  • Suis-moi, lui dit-elle en le prenant par la main.
    Jason rentra dans le cœur de « la jungle ». Il n’apercevait toujours pas de végétation. Ils passèrent entres les tentes mais il ne pouvait pas les compter, elles étaient si nombreuses. Il y avait autant de tentes que d’arbres dans la jungle. Les déchets recouvraient le sol boueux. Il observa autour de lui, des hommes, des femmes, des enfants qui le fixaient des yeux. Leurs regards se croisèrent, chacun se demandant qui était l’autre. Qui étaient ces personnes ? D’où venaient-elles ? Puis la fillette se retourna vers lui :
  • C’est dans cette tente.
    Il voulut entrer dans celle-ci, mais il entendit un cri par derrière qui le fit se retourner. Une femme était au milieu de l’allée, elle était en train d’accoucher seule dans la boue puisque le médecin débordé n’avait pas pu la prendre à temps. Elle devait attendre son tour devant la tente mais elle ne pouvait plus patienter, l’enfant devait sortir. La femme hurlait en s’accroupissant dans la boue. Cette femme accouchait seule avec ses propres mains, comme une femelle dans la nature. Un homme robuste vêtu d’une blouse blanche sortit de la tente, il prit le bras de la jeune femme et le mit autour de son cou. Il l’aida à marcher. Le médecin se tourna vers Jason :
  • Aidez-moi !
    Ils portèrent à deux la femme épuisée. Ils rentrèrent dans la tente et la posèrent sur le lit avec difficulté. Cette tente lui paraissait vide, une table était mise au milieu de la pièce, quelques instruments de médecines posés dessus et un lit placé à côté de la table. La petite fille était toujours derrière Jason, elle le suivait. La fillette donna sa petite main à la jeune femme, la
  • Vous n’avez pas à me remercier, répliqua Jason. Vous êtes Jean Martin, le médecin en chef ?
  • Oui, je m’excuse de ne pas m’être présenté avant. Et vous ?
  • Je m’appelle Jason Val, je suis en 5ème année de médecine, je me suis porté volontaire pour vous aider !
  • C’est bien, on a besoin de monde !
  • Vous voulez que j’aille chercher le père du bébé ?
  • Non, l’enfant n’a pas de père !
    Jason ne comprenait pas. Jean lui expliqua.
  • Oui, elle a été violée par un homme du camp, ça arrive souvent ici !
    Jason sortit de cette jungle exténué. Il repensa à sa journée, aux conditions de vies inhumaines et surtout aux paroles du médecin : « elle a été violée par un homme du camp, ça arrive souvent ici », souvent…

Il y retourna le lendemain. Il marcha dans le camp. Soudain, un rat puis cinq autres passèrent devant lui. Ils étaient énormes. La fillette que Jason avait rencontrée la veille surgit de nulle part.

  • Tu es perdu ? demanda-t-elle.
  • Un peu… Tu me raccompagnes au centre médical ?
  • Pas de soucis. Moi aussi en arrivant ici, j’étais un peu perdue, c’est si grand ! Mais ne t’inquiète pas, on se
    repère vite à force de tourner en rond, je le connais par cœur le camp !
  • Depuis combien de temps es-tu ici ?
  • Depuis 1 an, dit-elle avec tristesse. Au fait, je m’appelle Aliaa !
  • C’est joli !
  • Aliaa signifie la joie en Arabe ! Voilà tu es arrivé !
    Elle s’arrêta devant la tente. Aliaa lui sourit, même dans la misère, cette petite fille arrivait à transmettre du bonheur. Une joie de vivre qui se reflétait aussi bien dans son sourire que dans ses yeux.
  • Merci, dit-il reconnaissant.
    Jason entra dans la tente. Une jeune femme attira son regard. Ses yeux verts étaient étincelants. Cette femme avait des cheveux noirs, ondulés, tenus en arrière par un bandeau vert. Sa couleur de peau ne ressemblait ni à la couleur du corbeau, ni à la couleur des nuages. Elle était de petite taille, très maigre, elle paraissait épuisée. Elle portait une blouse blanche, elle avait un tee-shirt noir, un pantalon marron qui dépassait de sa blouse. Jean était au fond de la salle avec un blessé. Il lui fit signe de venir les aider. Ils soignèrent des patients toute la matinée, sans interruption. Plusieurs d’entre eux avaient une jambe ou un bras cassé. Ils étaient tombés en essayant de monter dans des camions qui allaient en direction du port pour l’Angleterre. Ils voulaient à tout prix fuir leur misère, recommencer une nouvelle vie dans un pays en paix. Jean demanda à la jeune femme habillée en blouse blanche de lui passer une compresse. Elle ne répondit pas, elle s’appuyait à la table, elle n’arrivait plus à se tenir. Il se retourna.
  • Jason, raccompagnez-la chez elle s’il vous plait, elle doit se reposer.
    Jason mit le bras de la jeune femme à bout de force autour de son cou et sortit de la tente en la soutenant comme il pouvait.
  • Où se trouve votre tente ? l’interrogea-t-il.
  • Continue d’avancer, on n’est pas loin, murmura-t-elle faiblement.
    En marchant, Jason vit une femme laver son linge dans les flaques d’eau, une autre se brosser les dents dedans.
  • C’est là, chuchota-t-elle.
    Ils entrèrent sous la tente. Une petite fille était là, elle jouait avec une poupée. Quand elle se retourna, jason la reconnut, c’était Aliaa.
  • Qu’est-ce que tu as Esma ? interrogea Aliaa. Jason, pourquoi l’aides-tu à marcher ?
  • Tout va bien, ne t’inquiète pas. J’ai juste besoin de me reposer ! dit Esma
    Elle s’allongea sur une couverture à moitié trempée.
  • Peux-tu aller me chercher de l’eau ? demanda-t-elle.
  • Oui, répondit la fillette.

Elle sortit en courant de la tente.

  • Je vois, que tu connais ma petite sœur ! dit Esma.
  • Oui, c’est la première personne que j’ai rencontrée au camp, confirma Jason. Comment se fait-il que tu es aussi fatiguée ?
  • J’ai faim, on a tous faim ici ! s’indigna-t-elle. Toute la journée notre estomac pousse des cris, même quand
    nous mangeons, la douleur ne veut pas partir. Tu l’entends mon ventre, crier ?
    Jason vit dans ses yeux, la haine qu’Esma contenait.
  • C’est dur d’aider le médecin le ventre vide, explique-t-elle. J’étais sage-femme dans mon pays.
  • De quels pays venez-vous, toi et ta sœur ?
  • De Syrie, répondit-elle.
    Jason se souvenait des reportages qu’il avait vu à la télévision sur la guerre en Syrie. Il regardait ces documentaires comme spectateur, il était dans son canapé pendant que les bombes tuaient. Il rentre chez lui songeur. Il avait honte d’être en France et de voir que des personnes vivaient dans ces conditions si obscènes à côté de chez lui, dans l’un des pays les plus prospère du monde. Et que personne ne voulait en assumer la responsabilité. Le lendemain, ils soignèrent encore plus de personnes. Il y avait plusieurs cas de gale. Esma sortit de la tente pour aller chercher de l’eau. Elle ne revenait pas. Jason s’inquiéta puis il partit à sa recherche. Elle était au point d’eau en train de remplir sa bouteille. Elle se retourna, soudain un homme la plaqua contre le mur. Elle prit la fuite en courant. Il la pourchassa, comme une bête qui chassait sa proie. Il la rattrapa, la serra contre lui. La peur envahit Esma, elle se débattit de toutes ses forces mais il était plus fort qu’elle. Elle cria. Pour la faire cesser, l’homme la gifla. Jason entendu ses cris, il courut. Au fond de lui, il savait que c’était elle. En voyant Jason, l’agresseur prit fuite. Esma tomba en sanglots dans les bras de Jason, ses larmes ne pouvaient plus s’arrêter. Jason sentait les battements vifs du cœur d’Esma sur sa poitrine. Ils survivaient comme des animaux sauvages. Les plus vulnérables étaient persécutés par les autres. Il trouva une place à Esma et Aliaa à Jules ferry, un centre d’accueil de Calais pour les enfants et les femmes.
  • Vous serez mieux ici ! annonça Jason.
  • Merci, remercia Aliaa. J’ai moins froid ici !
  • Comment se fait-il que toi et Esma parliez aussi bien le français ?
  • C’est notre père qui nous l’a enseigné. Il était professeur de français dans une grande université ! dit-elle avec admiration. En Syrie, mon père était un intellectuel comme disait ma mère, raconta-elle. Mais je ne les ai pas revus depuis 1 an, 8 mois et 3 jours. Je compte chaque jour qui me sépare d’eux.
    Une bénévole s’approcha d’eux et proposa à Aliaa d’aller se doucher, elle la suivit toute contente. Esma rejoignit Jason.
  • Aliaa vient de me parler de vos parents. Où sont-ils ?
  • Au ciel, dit-elle avec émotion. Quand je ferme les yeux, explique-t-elle en le faisant. Je les vois, ils se chamaillent comme d’habitude mais se réconcilient toujours de la même manière, en s’embrassant. Si tu pouvais voir comme ils sont beaux, tous les deux ! Ma mère et mon père sont morts pendant notre passage en Turquie. Ma sœur et moi étions dans un camion surchargé et mon grand-frère, ma mère et mon père étaient d’en un autre. Nous étions tous collés, nous manquions d’air. Nous étions comme des bêtes entassées dans le véhicule. A l’arrivée, on attendait le poids lourds où le reste de notre famille était mais il n’est jamais arrivé. J’ai appris plus tard que le camion s’était fait arrêter par la police. Un ami que j’ai retrouvé par hasard sur la route des Balkans, qui était dans ce véhicule, m’a raconté qu’ils avaient tous essayé de fuir. Mon grand-frère avait réussi à partir mais on ne l’a jamais retrouvé. Je pense qu’il a pu rejoindre l’Angleterre. Mais quinze personnes ont été écrasées dont mon père et ma mère. Il les a vus écraser, tu entends ? Il m’a tout raconté !

Elle pleura dans les bras de Jason. Des bénévoles arrivèrent avec la nourriture. Les migrants coururent vers eux, ils se poussaient tous, chacun pour sa peau. Leur instinct animal prenait le dessus, ils ne pensèrent plus qu’à se nourrir. Ils firent tomber une bénévole au sol, ils lui marchèrent dessus sans s’en rendre compte. Après cet accident, Jason soigna la bénévole. Plusieurs réfugiés, après avoir mangé, vinrent s’excuser de leur comportement auprès de la blessée.

  • Ne vous en excusez pas, n’importe quels humains mis dans des conditions réagiraient pareil, répondit-elle.
    Peu après, les bénévoles apprirent que les réfugiés évacueraient le bidonville demain vers des centres d’accueil. Jason était content pour eux, il pensa qu’ils seraient dans de meilleures conditions de vies .Mais égoïstement, il était triste car il ne reverrait plus Esma et Aliaa. En peu de temps, il s’était attaché à elles .Il apprit la nouvelle à la plus grande.
  • Vous partez demain, annonça-t-il.
  • Où partons-nous ? demande Esma.
  • Vous allez être réparties dans des centres d’accueils en France.
  • On sera encore plus loin de l’Angleterre ! affirma-t-elle. On reste ici !
  • Vous serez dans de meilleures conditions de vies là-bas !
  • Peu importe dans quels conditions nous vivions si nous retrouvons notre frère !
    Jason rentra chez lui préoccupé. Comment les aider ? Il n’arrivait pas à dormir. En pleine nuit, il se leva, pris son manteau et sortit de chez lui. Il rentra dans le bidonville discrètement puis chercha la tente d’Esma et Aliaa. Quand il la trouva, il rentra dedans sans faire de bruit pour ne pas réveiller les autres habitants. Il les réveilla.
  • Ne posez pas de questions et suivez-moi ! recommanda Jason.
    Les deux sœurs le suivirent. Ils marchèrent sans faire de bruit dans le camp. Un grincement les fit sursauter. Jason donna la main à Aliaa. Il sentait son pou s’accélérer. Ils réussirent à sortir du camp puis coururent jusqu’à la voiture de Jason. Il ouvrit le coffre de sa voiture.
  • Je suis désolé le voyage ne sera pas confortable ! dit-il.
  • Où va-t-on ? interrogea Aliaa.
  • En Angleterre ! répondit Jason.
  • C’est vrai ? s’exclama de joie Esma. Tu ne devrais pas Jason, tu risques d’être emprisonné si quelqu’un découvre ce que tu as fait, continua-t-elle soucieuse.
  • Je ne risque rien, ne t’inquiète pas dit Jason.
    Jason sentit le soulagement d’Esma et Aliaa à travers leur respiration. Elles se glissèrent dans le coffre. Il démarra la voiture. Jason avait menti si la voiture était contrôlée, il risquait la prison. Il avait peur mais rien ne pouvait l’arrêter. Il était prêt à tout pour elles. Des heures passèrent, puis ils arrivèrent à un contrôle. Le cœur de Jason se serra, sa respiration s’accéléra, son front était trempé. Il ne voyait aucun agent de police, il reprit ses esprits. Tout d’un coup, trois policiers sortirent de leurs abris. Ils le fixèrent et lui firent signe de s’arrêter. Il écouta les ordres, ils s’approchèrent de l’automobile. Un policier lui demanda de sortir du véhicule. Le jeune homme le fit, il essayait de cacher son angoisse. L’autre agent lui imposa d’ouvrir son coffre. Jason ne réagit pas, il était paralysé par la peur, il arrivait à peine à respirer. Le policier lui redemanda. Il devait obéir, pour lui c’était trahir Esma et Aliaa mais il n’avait pas le choix. Le coffre s’ouvrit, ils découvrirent les deux filles pétrifiées par la peur. Un des trois policiers l’emmena dans sa voiture. Les dernières paroles que Jason entendit d’elles, étaient des hurlements. Ils rentrèrent dans le commissariat. On l’interrogea : « Tu leur as demandé combien pour le voyage ? Espèce de salaud ! » Il ne les écoutait même plus, il pensait à Aliaa et à Esma. Où sont-elles ? Sont-elles retournées dans la jungle ? Ils lui demandèrent plusieurs fois pourquoi il avait fait cela et il répondit à chaque fois par la même phrase : « Parce que je suis un être humain. »