Coups de cœur Télérama : Arturo Pérez-Reverte

Espagne

En exergue du premier chapitre, cette phrase de Herman Melville : « J’ai navigué par les océans et les bibliothèques. » Dans son sillage, le dernier roman de Pérez-Reverte, auteur espagnol au succès mondial, nous convie à partager ses deux passions : les livres et la mer. La littérature, Pérez-Reverte la fête depuis qu’il a embrassé la carrière d’écrivain après celle de reporter : son Club Dumas notamment rendait hommage à notre Alexandre en passe d’être panthéonisé. Ici, c’est de Stevenson, de Melville et de Conrad qu’il s’agit, trois capitaines barrant le bateau d’une vie. Cette vie est un peu la sienne : ces auteurs qui ont balisé le parcours de son héros, Coy, marin débarqué, marin embarqué par une énigmatique sirène à la recherche d’un trésor englouti, sont ceux sans doute qui l’accompagnent aujourd’hui encore à son bord.
Car Pérez-Reverte est un navigateur. Cela se sent à sa manière de parler de la mer, en peu de mots, des mots rudes pour cette "vieille garce" qui berce, bouscule et submerge une vie entière jusqu’à la mort parfois - et mieux vaut mourir au large que pourrir sur le rivage. Incarnation de la vieille garce, une belle garce érudite, armée d’une carte du XVIIIe siècle, qui entraîne un Coy lucide et las sur la route d’un navire affrété il y a deux siècles par les jésuites… Coy à terre écoute du jazz comme à bord il écoute la mer, celle d’hier autant que celle d’aujourd’hui, salie par les chaluts industriels, livrée aux prédateurs victorieux des Tabarly. Elle inspire ici encore de grandes pages qu’aimeront les solitaires, les voyageurs, ceux qui vouent leur vie aux livres et au large.
Anne-Marie Paquotte


Le cimetière des bateaux sans nom, traduit de l’espagnol par François Maspéro (Editions du Seuil, 2001)