Courrier International : la parole aux quotidiens haïtiens

Edito du numéro spécial Haïti de Courrier international daté du 4 février 2010

"La presse du monde entier a couvert le tremblement de terre qui a secoué le sud d’Haïti le 12 janvier dernier. Plusieurs écrivains locaux ont pu aussi témoigner des souffrances de leur peuple. Mais qu’en était-il des journalistes de Port-au-Prince ? Avec leurs bureaux détruits, leurs imprimeries hors d’usage et plusieurs employés blessés ou disparus, les deux quotidiens de la capitale, Le Matin et Le Nouvelliste, sont dans l’impossibilité de paraître. Nous leur avons donc proposé, ainsi qu’à l’hebdomadaire Haïti Liberté, publié à New York, de réaliser cette édition spéciale dans nos colonnes, qui se prolonge sur notre site. Nous remercions tous ceux qui nous ont aidés dans cette entreprise, et en premier lieu Daly Valet, le directeur du Matin, et Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste. Avec leurs collaborateurs, dans des conditions plus que difficiles, ils sont parvenus à tracer ce portrait d’Haïti – un pays qui, malgré son très grand malheur, veut continuer à vivre."

Avec un poignant reportage photo de Frédéric Sautereau.

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L’an 1 du nouvel Haïti
par Daly Valet du Matin
Il aura fallu ce séisme pour montrer au monde qu’Haïti n’existait pas. En moins d’une minute, ce mensonge vieux de deux siècles s’est dissipé. Port-au-Prince, cette ville arrogante et débonnaire, cette capitale accapareuse qui se prenait pour la République tout entière, est aujourd’hui réduite à l’état d’atome. Elle n’existe plus. Les statistiques officielles, comme d’habitude, restent encore très en deçà de l’ampleur des dégâts. Cent cinquante mille morts ? Quand même ! C’est toute une ville de plus de deux millions d’habitants qui vient de disparaître. Des milliers de cadavres gisent encore sous les décombres. La ville pue. De partout. Enfin, de tout ce qu’il lui reste de pores non obstrués par les débris. Combien de morts ? Dieu seul le sait ! Plus d’un tiers de la population ne disposait pas de pièce d’identité. Les recensements, quand l’Etat s’y résignait, relevaient de la farce. Cet Etat a toujours fonctionné envers le peuple haïtien à la lisière d’une indifférence criminelle. Après le séisme du 12 janvier, notre président de la République a attendu neuf jours avant de s’adresser officiellement au pays. Comme Godot, on l’attendait et on l’attend encore. Dans la frustration. Bien des urgences requièrent une présence haïtienne et l’affirmation d’une autorité en charge. On attend qu’il démontre enfin un minimum de leadership structuré et de compassion à l’endroit de ce peuple de sans-abri et de ces populations affamées.

Moins que des bâtiments en béton, c’est toute une histoire sanglante qui vient de s’effondrer dans le sang. Hélas, du sang, des cadavres, comme cette terre meurtrie et ce peuple martyr n’en ont jamais vu auparavant ! Nous continuerons à pleurer nos morts des années durant. Mais jamais nous ne pleurerons la disparition de cet appareil d’Etat corrompu et criminel, historiquement piloté par des profiteurs, des hommes sans grandeur qui n’ont pas su s’élever à la hauteur des défis et des aspirations profondes de cette nation traumatisée, encore en voie de formation. Le séisme a mis bas les masques. Il a fait tout sauter : des plans politiciens de confiscation astucieuse du pouvoir et de colonisation effrontée des institutions jusqu’aux lieux physiques où s’organisaient ­traditionnellement le viol des consciences et la déroute de la République. Dans les décennies à venir, il s’agira de reconstruire Haïti. Brique par brique. A pas mesurés et réfléchis. Sur de nouvelles bases. D’introduire – enfin ! – et de faire respecter des normes de construction parasismiques. Le grand saut. Une entrée certes violente et saccadée dans la modernité et la normalité du reste du monde, sous l’effet d’une forte secousse tellurique faucheuse de vies mais porteuse de leçons et de vertus, qu’il nous faudra dompter pour ne pas perdre dans notre désordre coutumier le sens des perspectives et des enjeux. Nous ne saurions procéder ni réussir en faisant l’économie d’un vrai dialogue social sur la refondation de l’Etat haïtien et des principes citoyens qui le gouverneront.


Partir à tout prix
par Samuel Baucicaut du Nouvelliste

Que faire lorsqu’on n’a plus ni toit ni moyens de subsistance ? Plus de 200 000 per sonnes ont pris la route pour se réfugier dans leur province d’origine ou même à l’étranger.

Le centre-ville détruit de Port-au-Prince, qui était jusqu’à présent le centre administratif et commercial de la capitale d’Haïti, est de moins en moins peuplé. Plus les jours passent, plus les gens délaissent la vieille ville. Quitter Port-au-Prince devient une idée fixe.

Pourquoi vouloir partir ? Selon les témoignages recueillis, les raisons sont diverses. “Parce que nous avons tout perdu en moins d’une minute.” “Parce que nous vivons sous la menace d’autres séismes encore plus puissants.” “Parce que les autorités communiquent et agissent trop lentement. ”

Les représentations diplomatiques à Port-au-Prince tentent de dissuader les centaines de candidats au voyage qui viennent tous les jours se planter devant leurs édifices en faisant passer des messages dans les quelques radios qui recommencent à émettre. Mais les personnes concernées, qui vivent souvent dans les rues, ne reçoivent pas forcément ces informations. Certaines radios de Port-au-Prince ont annoncé que le Bénin et le Sénégal seraient prêts à accueillir des réfugiés haïtiens – mais seulement des cadres. Cette information pourrait paraître secondaire, presque insolite, mais elle a pris une importance démesurée : une multitude de gens appellent les stations pour demander l’adresse des consulats de ces deux pays africains, qui ne sont d’ailleurs pas représentés en Haïti.

“Moi, je suis ingénieur civil et je suis prêt à leur apporter ma compétence et mon expérience. Car, de toute façon, je ne fous plus rien ici”, déclare Alain, un jeune ingénieur rencontré ce samedi.

A l’aéroport, les marines n’évacuent plus personne. Avant, ils procédaient à l’évacuation des étrangers et de certains rescapés, la priorité étant accordée aux ressortissants américains. En dépit de l’arrêt des évacuations, des gens espérant un miracle continuent à affluer dans les parages de l’aéroport de Port-au-Prince.

Dans les gares routières, à l’aéroport, sur la frontière que partage le pays avec la République dominicaine voisine, la foule est nombreuse. Jusqu’au week-end dernier, les gens se bousculaient pour trouver une place dans les autobus qui partent vers les villes de province. Les autobus à destination de la République dominicaine sont tout aussi remplis de voyageurs, qu’ils soient étrangers ou haïtiens.

Le gouvernement haïtien a mis des autobus à la disposition de tous ceux qui veulent se rendre dans les provinces. Bien avant cette mesure, beaucoup de personnes avaient décidé volontairement de quitter la capitale pour se réfugier dans leurs villages d’origine. Ceux qui n’ont pas où aller font le grand saut avec un voisin ou un ami.

Quant à ceux qui ont des parents à l’étranger, ils multiplient les démarches pour sortir du pays. “J’ai passé plusieurs nuits devant l’ambassade des Etats-Unis. Finalement, un agent est venu me dire que ceux qui ont un dossier en cours doivent encore attendre”, explique Mme Gaston, une femme d’une cinquantaine d’années.

Pour faciliter l’avancement du dossier, son mari, résident aux Etats-Unis, était rentré à Port-au-Prince, via la République dominicaine, comme d’autres compatriotes l’ont fait. Mais ses efforts sont restés vains. Il a dû repartir bredouille, incapable de sortir sa femme et ses deux enfants de cette situation. “Depuis la catastrophe, nous dormons comme tout le monde à la belle étoile, à la merci des moustiques.”

Junior, lui, est marié depuis cinq ans. Il vit en République dominicaine, mais sa femme et sa fille sont à Port-au-Prince. Depuis la catastrophe, il est rentré deux fois au pays, apportant de l’aide à sa famille proche. “Mais mes revenus là-bas ne me permettent pas encore de les rapprocher de moi”, dit le trentenaire, alors qu’il attend l’autobus qui doit le ramener à Saint-Domingue, où il travaille dans l’industrie touristique comme interprète.

Dans les zones situées dans les parages de Port-au-Prince, en province ou en République dominicaine, c’est la ruée vers l’inconnu. La ruée vers un ciel plus clément pour fuir une capitale devenue un grand cimetière d’où l’odeur des cadavres chasse les survivants.


La prière comme refuge
par Samuel Baucicaut du Nouvelliste

Le dimanche 31 janvier, trois semaines après la catastrophe, les rares édifices religieux encore debout – qu’ils soient de confession protestante ou catholique – étaient noirs de monde à l’heure des offices. Tout comme les nombreuses tentes de fortune qui ont été dressées dans les ruines pour permettre aux chrétiens de Port-au-Prince d’offrir un culte d’adoration à “Dieu qui les a rachetés du malheur”. Dans les différents endroits que nous avons visités, le moment était à la prière, à la méditation et à la consécration.

Endimanchés dans leurs plus beaux habits ou vêtus de ce qui restait de leur garde-robe, les participants ont montré une grande ferveur au cours des services religieux. Il s’agissait aussi d’une occasion de retrouvailles entre survivants. Chacun racontait à qui voulait l’entendre comment Dieu l’avait “miraculeusement sauvé”. Si la plupart des temples ont été détruits à Port-au-Prince, la foi se porte de mieux en mieux. Prédicateurs de la “bonne nouvelle” et évangélistes ont enregistré un nombre croissant de nouveaux convertis à la foi chrétienne depuis la catastrophe. C’est le cas pour la congrégation de l’Eglise baptiste de Côte-Plage, située dans la commune de Carrefour, au sud de la ville. “Depuis le séisme, nous avons enregistré plus de 400 nouveaux convertis. La catastrophe est très meurtrière, mais c’est aussi une porte ouverte à l’Evangile”, nous a déclaré le révérend Samsom Dorilas Dorélien, pasteur de cette congrégation, qui a perdu quarante-deux de ses membres pendant le tremblement de terre. Même constat pour le révérend Jean-Lyonel Chéry, qui appartient à l’Eglise de Dieu de la Prophétie, une mission internationale qui dispose d’une dizaine de temples dans différents quartiers de Port-au-Prince. “Rien que ce matin, le nombre de nouveaux convertis a triplé par rapport à la situation antérieure, nous a-t-il confié. La tendance est la même à chaque service. Dans mon quartier, presque chaque jour de nouvelles âmes viennent au Christ.”

Les deux religieux reconnaissent qu’il peut y avoir différentes explications à cette vague de conversions. “Certains cherchent peut-être une appartenance, d’autres des avantages ou un toit pour passer le mauvais moment. Mais Jésus seul peut séparer le bon grain de l’ivraie”, conclut le pasteur Chéry, l’air très satisfait d’avoir gagné “autant d’âmes pour le Christ en un rien de temps”.


Comment j’ai perdu mon fils
par Dolores Dominique-Neptune, Le Nouvelliste

Il est 16 h 53, je reviens de mon travail… Ma climatisation est à fond, ma radio branchée pour écouter les informations. Je suis dans un embouteillage. Mon mari vient de m’appeler, s’impatientant de ne pas me voir : nous avons rendez-vous pour préparer une salade niçoise dont j’ai pris la recette sur Internet. Il a tout pris au supermarché. Enfin… ce qu’il a pu trouver… Mon fils, dont c’est le premier jour au travail, l’a accompagné. Mais il veut que je revienne, et vite ! Je sens la voiture bouger et j’ai l’impression que quelqu’un est en train d’essayer de me kidnapper. Calmement, je verrouille les portes et regarde à côté, derrière, m’attendant à tout moment à voir un kidnappeur surgir. Non, il n’en est rien. A la radio, les nouvelles sont interrompues et j’entends l’annonceur au loin qui prie : “Jésus, Jésus…” Oui, je me suis toujours dit que ce monsieur était très pieux. Après chaque émission du vendredi après-midi, il recommande à ses auditeurs d’aller à la messe ou au temple.

Je commence à regarder autour de moi. Bizarre, un mur est tombé. Une colonne de fumée noire part de la gauche, à quelques centaines de mètres. Que peut-il bien se passer ? J’essaie de sortir de mon véhicule. Le monsieur dans la voiture devant moi me regarde et me dit que c’est un tremblement de terre. OK. Bon, cela n’a pas l’air si grave, non ? Si, madame, cela semble grave. Brusquement, je commence à voir des gens échevelés, pleins de poussière blanchâtre, une femme avec l’oreille ensanglantée. La station d’essence a explosé.

Mon Dieu, ma maison… Ma maison… Mon mari Jean-Claude… Je ne pense pas à mon fils : il est solide ! 1,85 m, 87 kilos, 24 ans. Il est beau. Il est jeune. Il est indestructible. Je dois m’en aller, ma maison est fragile et mon mari est à la maison. Naturellement, s’il y a un problème, mon fils est là, il peut prendre soin de lui, mais je dois aller trouver mon mari. Mais, madame, toutes les rues sont bloquées. Gravats, voitures. Impossible de s’y rendre… A moins d’y aller à pied. OK… J’enfile des ballerines : heureusement que j’ai toujours une paire de chaussures de rechange. Je n’aurais certainement pas pu marcher avec les stilettos que j’aime porter pour aller au travail. Je marche vers la maison. Combien de mè tres ? De centaines de mètres ? Je ne marche jamais et je ne sais pas combien de temps cela va me prendre pour y arriver. En route, je rencontre quelques amis, certains en voiture, d’autres à pied. Ils se dirigent vers leur maison ou vers celle de proches. A l’approche de la maison, une dame m’aborde, paniquée. Elle hurle : il faut sauver Madame Georges ! il faut sauver Monsieur Georges ! ils sont tous sous la dalle de béton chez Monsieur Philippe ! Je suis étrangement calme. La première maison, celle de mon beau-frère et de ma belle-sœur, Georges et Mireille, s’est effondrée. Elle a l’air d’un dessin, d’une caricature. Ecrabouillée. L’autre maison, celle de Philippe et Marilisse, je ne la vois pas.

Ah ! Soulagement. Mon mari, mon Jean-Claude, est debout près de la maison, près de notre maison. Il va bien. Mon amour, mon amour je… Où est tonton ? Où est Jon ? Où est mon fils ? La maison s’est effondrée. Mon mari me dit qu’il était dans sa chambre. Sur son lit. Je commence par l’appeler. Je commence par appeler Dieu pour lui demander, négocier avec lui. J’appelle les voisins. Quels voisins ? Toutes les maisons se sont effondrées et personne ne viendra. J’ap pelle tous les numéros sur mon portable. J’en trouve certains. Quel ques-uns. Tout le monde vit son drame personnel. Je me désespère et crie, et hurle, et crie encore. J’essaie de négocier avec Dieu. J’essaie de lui demander de me rendre mon bébé. Ce n’est plus un homme solide de 1,85 m, c’est mon bébé, mon tout petit bébé. Mon amour, ma vie.

Anne-Claude, ma cadette, appelle de France… Aide-moi, ma chérie. Je t’en prie, aide-moi. Jean-Olivier est sous la maison, enfoui sous le béton. Trouve de l’aide. Je ne trouve de l’aide nulle part. Je t’en prie, trouve de l’aide. Malou, Marilisse, la femme de Philippe arrive… Comment cela Phil ? Non ! Ce n’est pas possible. Elle court vers la maison. Frédéric arrive, leur fils arrive. Il hurle. Il essaie de soulever leur maison. Ensemble, nous sommes ensemble mais ne pouvons rien. Absolument rien. Nous sommes totalement impuissants. La nature a frappé. Et la maison protectrice s’est transformée en arme meurtrière. En arme de destruction massive.

Je parle à Jaka, mon aînée. Elle attend un bébé. Pour tout de suite. Je ne peux rien lui dire. Je parle à son mari. Il comprend. Il lui parle. Plus de communication. Les portables ne passent plus.

Mon bébé est là, sous cette dalle de malheur

Je serais prête à vendre mon âme au diable pour qu’il me rende Jean-Olivier. Mais je ne le connais pas. Je ne sais même pas comment l’appeler. Rendez-moi mon enfant. Trouvez-moi mon enfant. Je vous en prie.

19 heures. J’ai froid. J’ai très froid. Jean-Olivier a froid. Je vous en prie ; aidez-moi à le sortir. Je ne veux pas qu’il ait froid. Il a horreur du froid. Il a horreur de la chaleur aussi. C’est mon bébé. Je vous en prie, sauvez-le. Je vous en supplie.

22 heures. Frantz arrive à moto. Ce sont les seuls véhicules qui peuvent passer au travers des voitures abandonnées sur la route. Il est venu pour m’aider à soulever la dalle de béton. Il y va, il revient vers moi et me regarde les larmes aux yeux. Il est 23 heures. Non ! Il est bien. Il est bien. Il est solide. Il est jeune. Il a 24 ans.

23 h 45. Une autre secousse. Peut être que la dalle a glissé et qu’il peut maintenant sortir. Je me précipite vers la maison. Non, rien n’a bougé. Tout est à la même place. Et mon bébé est toujours là ! Sous cette dalle de malheur. Enfoui. Je ne peux rien faire. Je ne peux rien dire. Je ne peux pas pleurer. Je ne peux pas crier. La solidarité commence à s’exprimer. Katia, notre voisine, arrive. Junior est là, il n’est pas allé retrouver ses enfants et sa femme. Gaël est là. Celui-ci nous apporte de l’eau. Celle-là des couvertures. Et puis qui, encore ? Jean-Manuel. Mamie m’appelle, elle est là, elle comprend, elle sait. Ils arrivent… Il fait noir. Ils ne peuvent rien faire, il faut attendre le jour. Nous attendons dans une voiture, les heures s’égrènent. Lentement. Mon ami médecin m’appelle. Il est français. L’ambassade s’est effondrée elle aussi. Je ne peux rien faire, je n’ai pu trouver personne. Je suis désolée. Des voisins que je n’ai jamais salués, que je n’ai jamais pris la peine de connaître, arrivent. Guyzou, l’amie de mes enfants – que je n’ai pas vue depuis plus de dix ans –, me serre dans ses bras. Que fais-tu là ? Je viens de rentrer, j’emménage à peine, aujourd’hui en fait, et ma maison est fissurée… Mais je suis là, je suis venue t’aider.

5 h 45. Le jour se lève. Nous sortons. Nous allons sur la grand-route, vers Turgeau. Je suis horrifiée. Egoïstement, je me rends compte que je ne trouverai d’aide nulle part. Les secours étrangers n’arriveront jamais à temps pour sauver mon bébé. Mon petit garçon. Mon Dieu, que le malheur rend égoïste ! Je ne pense pas aux autres sous les maisons. Un groupe d’inconnus dort dans la rue. Je vous en supplie, mon fils, mon bébé est sous une maison, aidez-moi. Ils arrivent. Ils commencent à creuser. Ils s’arrêtent. Ils n’y croient plus. Ils n’y croient pas. Ils s’en vont. Gaël arrive avec ses bottes, ses piques, des masses. Jean-Claude les guide vers un espace, un endroit où il s’est peut-être réfugié. Un groupe d’hommes. Ils travaillent. Ils creusent. Ils trouvent un chemin. Ils ont un espoir. Ils sortent. Ils passent de l’autre côté. Ils creusent. Ils fouillent. Ils perdent espoir. Dans l’autre maison, Patou, Malou et Fred fouillent avec une autre équipe. Ils cherchent. Mais ils ont peu d’espoir. Trois étages de béton sont aplatis, transformant la maison en ignoble tombeau.

Je m’accroche. Les dames du quartier disent entendre un gémissement. Les sauveteurs improvisés sont encouragés. Ils redoublent d’efforts. Ils ne trouvent rien. Ils s’en vont. Je hurle. Je plaide. Je crie. Je demande. Un autre groupe arrive. Cyril, Bertrand, Peggy, Stanley. Ils y croient. Au bout de deux heures, ils trouvent. Jean-Olivier, tel un ange, la main gauche apparente, est sur le ventre, couché sur son lit. Mon fils est mort !

Des inconnus, des amis, des gens comme moi souvent sinistrés, m’ont aidée. Dans les villes touchées, des femmes et des hommes ont porté secours à des inconnus, à des amis, à des ennemis. Toutes les différences, tous les clivages sont tombés le 12 janvier 2010. La solidarité n’aura pas sauvé mon fils. Mais elle sauvera ce pays. Elle ne l’a pas sauvé, mais elle me permet de savoir. Merci à tous ceux qui ont pris le temps d’aider une mère, un père, des sœurs, toute une famille et toute une nation dans la douleur !