Du roman-feuilleton à la série télé

La révolution du roman-feuilleton

« On ne lit plus, on dévore ! » se désolait le grand critique Alfred Nettement, devant le déferlement des romans-feuilletons dans les années 1840 — preuve, à ses yeux, qu’ils ne relevaient pas de la littérature. D’autres, après lui, diront les "Mystères de Paris" d’Eugène Sue responsables de la révolution de 1848. À juste titre : l’engouement suscité fut extraordinaire. Triomphe du roman « populaire » : parce que les simples gens, le lisant, s’y reconnaissent, se perçoivent pour la première fois comme peuple, être collectif.
Ce que l’on sait moins, c’est que le roman-feuilleton du même coup inventait le « grand roman » du XIXe siècle. Balzac, lisant Eugène Sue, entreprend La Comédie humaine, Hugo, les Misérables. C’est le roman-feuilleton qui invente alors les techniques nouvelles de narration : recours aux dialogues, suspense, découpage des scènes, nécessité, imposée par la publication quotidienne, pour « rebondir », d’un nombre impair de niveaux de narration. Et puis, surtout, qui impose de nouveaux personnages romanesques : la Ville et le Peuple.

Une belle rencontre autour des romans-feuilletons du XIXe siècle, à l’Auditorium, lundi à 14h, avec Jacques Baudou, Nathalie Beunat, Michel Le Bris et Pierre Dubois.

L’invention du roman noir

Dashiell Hammett

Il naît pile dans la crise de 29, avec La Moisson rouge de Dashiell Hammett et le Litte Caesar de W.R. Burnett. Une écriture hypertendue, où l’on dirait entendre le crépitement encore des machines à écrire pour dire toute la violence, le rythme, l’intensité de la ville des années 20. Ville-panthère d’Ed Mc Bain dans Le Sonneur, jungle d’asphalte pour Burnett dans La Femme à abattre, ville carnassière de Chester Himes dans La reine des pommes, ville tout à la fois fantastique et réaliste : le roman noir imposera de nouveaux modes de narration, inspirera durablement les littératures du monde entier. Et le cinéma.

Séries TV : le roman-feuilleton d’aujourd’hui

« Du roman feuilleton à la série télé », une rencontre, à l’Auditorium, lundi à 16h, avec Vincent Colonna, Anne-Marie Garrat, Jacques Baudou, Sylvain Laurent et Michel Le Bris.

« Et si la fiction était plus juste que les sciences sociales ? » interrogait Sylvie Laurent dans la revue Esprit, à propos de The Wire, (Sur écoute) la série culte de David Simon et Ralph Burn que nous avions programmée il y a deux ans, chronique hallucinée d’un Baltimore ravagé par la drogue et la corruption, qu’Atlantic Monthly a comparé au Londres de Dickens. Un phénomène qui n’a fait que s’amplifier, marqué par la prééminence des scénaristes-écrivains, comme Pellecanos, et qui fascine aujourd’hui de plus en plus d’écrivains. Comme si c’était là, désormais, que se donnait à voir le monde en train de naître. Sur un média touchant le plus grand nombre, comme hier, pour le feuilleton, la première presse industrielle. La série TV inventant de nouveaux modes de narration, qui demain – déjà aujourd’hui – irrigueront le roman du XXIe siècle ? Les nouvelles séries TV héritières en cela du roman-feuilleton du XIXe ? Après tout, les avant-gardes n’ont jamais inventé de nouveaux procédés narratifs. Au fil du temps elles n’auront jamais fait que reprendre les techniques du théâtre du boulevard du Crime, du roman-feuilleton, du roman noir, du cinéma. Tout simplement parce que pour être lu, il faut des codes narratifs partagés.

Séries américaines !

Nous avons été dans les premiers à nous passionner pour ces séries, elles seront présentes de nouveau, tout au long du festival, cette année encore. Avec en point d’orgue une nuit consacrée à Treme , la nouvelle série de David Simon, dont nous avions déjà programmé la série culte The Wire (Sur écoute), sur Baltimore : trois mois après le séisme, dans une Nouvelle Orléans aban- donnée de tous, le combat d’un quartier pour survivre. Avec l’ambition, pour un David Simon en colère, de proposer ainsi une « voie d’accès au réel ». Musique omniprésente, envoûtante : une réussite.

À découvrir : Boardwalk Empire , quand la ville américaine devenait, plus qu’un personnage, un mythe. Atlantic City, au temps de la prohibition, dans les années 1920. Avec Martin Scorcese aux commandes. Et les scénaristes des Sopranos...

Sans oublier deux épisodes de Showrunners, des documentaires exceptionnels sur ceux qui font le succès des séries US : les scénaristes David Simon (The Wire, etc.) et Alan Ball (Six feet under et True Blood).