Fausse note

écrit par Hugo Carrière, élève de 5ème au collège Jean Rostand à Valence d’Agen (académie de Toulouse)

Corentin s’étonne de n’être pas plus impressionné. Remarquez, il ne s’est jamais évanoui de sa vie. Mais il n’a jamais rencontré de cadavre non plus. Monsieur Mouron est étendu dans toute sa rondeur. Il porte son
costume trois pièces et son éternel nœud papillon. Ce gros dandy cachait ses bourrelets sous des vêtements impeccables. Par terre, tas flasque comme une flaque de boue, il a l’air paisible. Son rictus s’est transformé
en sourire d’ange grassouillet. Chacune de ses cuisses est un tronc d’arbre Cette masse est couverte d’un sang qui coule encore. Une aiguille de métronome en plein coeur, quelle fin horrible pour un prof de solfège.
Corentin n’est pas attendri par cet ancien ennemi qui ne respire plus, mais s’il l’a maintes fois maudit il na jamais souhaité sa mort. M.Mouron abusait de son pouvoir et se servait du solfège comme d’un instrument
de torture. Mais qui en voulait à ce point au prof sadique ? Combien de fois a-t-il poussé Célia la violoncelliste aux larmes ? Et la petite Natacha, n’a-t-elle pas juré que si elle le rencontrait une nuit de pleine lune elle lui enfoncerait sa flûte dans la gorge ? Et Guillaume, si sublime au piano, garçon massif et fort qui s’est écroulé après avoir raté l’examen de fin d’année en hurlant : "Qu’il crève !". Mouron était aussi détesté par ses collègues du conservatoire. Mais nul ne le haïssait autant que la belle directrice, Madame Van den Blois, qui n’attendait que la retraite de ce croque-note. L’a-t-elle hâtée ? Et si oui pourquoi ? Personne ne connaît le moindre détail de sa vie, mais avec l’arrivée de la police, on ne va pas tarder à être servi.

Les sirènes retentissent autour du conservatoire : les premiers secours arrivent en même temps que la voiture de police conduite par le commissaire Duflair.
Son assistant Jean Quête descend le premier, suivi de près par son supérieur. Ils traversent alors la foule de badauds composée des élèves et des professeurs, agglutinés devant la porte de la salle d’audition, transformée pour l’occasion en lieu du crime…
Au moment où ils pénètrent dans la pièce, Amédée Pheun, médecin légiste, s’affaire autour du cadavre : énorme masse gélatineuse, sorte de jelly parfum cerise (à cause du sang) engoncée dans le fameux costume trois pièces qui ne le quittait jamais…
M.Mouron est mort la veille aux alentours de minuit : c’est ce qu’affirme le réputé Amédée Pheun, aux vues des premières constatations… « Minuit ! L’heure du crime », pense alors Jean Quête.

Après que les divers enquêteurs aient effectué les prélèvements d’usage sur le corps, ce cher M.Mouron est transporté (tant bien que mal… son embonpoint ne facilitant pas la tâche des brancardiers !) vers la morgue de l’hôpital, où il sera soigneusement rangé dans une boîte à sa taille. Attendant peut-être que quelqu’un vienne reconnaître le corps : chose improbable, pensa le commissaire Duflair, car ce type là semblait bien seul au monde… Pas de famille, pas d’amis, aucune relation extérieure, pas même avec ses collègues… L’enquête s’annonce difficile, vu que le bonhomme était détesté de tous ! Justement, vu la situation, il fallait s’y mettre et vite ! Jean Quête et le commissaire Duflair commencent les premiers interrogatoires.

Le premier à se présenter est le prof de percussions, Jonathan Bourg. C’est un jeune homme BCBG, assez timide, qui rougit dès qu’il prend la parole…
A la question d’usage posée par le commissaire : « Où étiez-vous hier soir aux alentours de minuit ? », le jeune homme s’agite bizarrement sur sa chaise, devient écarlate et balbutie des mots inintelligibles.

« Eh bien, monsieur Bourg, ne parlez-vous pas notre langue ? » interrogea Duflair.

« Si, bien sûr, mais voyez-vous, c’est un peu gênant… Et ce que je faisais hier soir relève du domaine très très privé et… »

« Ecoutez, le coupa Jean Quête, le crime commis, lui, relève d’une enquête bien publique, et en tant que membre de ce conservatoire, vous faites partie des gens qui doivent être interrogés, la procédure veut… »

« C’est bon ! Ne t’étale pas là, » dit Duflair…

« Pardon patron… Alors, où étiez-vous hier soir Monsieur Bourg ?

« Eh bien, j’étais avec l’élue de mon cœur et nous passions une soirée en amoureux, dîner aux chandelles et puis… bref, vous devinez la suite… »

« Je vois, et qui est cette dame ? questionna Jean Quête.

« Je ne puis vous le dire, c’est très gênant, car en fait, cette personne n’est pas tout à fait libre, voyez-vous, son mari n’apprécierait pas… »

« Vous n’avez pas le choix cher monsieur ! »

Aussi rouge et luisant qu’une boule de noël, Jonathan Bourg avoue enfin :
« C’est avec Mme Van den Blois, la directrice, que j’ai passé la soirée et toute la nuit. Elle n’a quitté mon appartement qu’à l’aube… »

Ravalant leurs sourires, Duflair et Jean Quête remercient le prof de percussions et appellent dans la foulée la directrice. Celle-ci sans aucune hésitation, reconnaît sa nuit d’amour avec son jeune collègue, plutôt ravie d’étaler sa vie privée.
Ces deux-là ont donc un alibi en béton : un couple d’amoureux hors du commun, certes, mais innocents tous les deux (sur le plan du crime, entre nous soit dit, car la question de l’adultère commis par la directrice fera plus tard l’objet d’une autre enquête, menée cette fois par le mari jaloux !).

Les prochains à être interrogés seront Célia la violoncelliste, Natacha la flûtiste et Corentin, qui avait découvert le corps. Ils reconnaîtront tour à tour leur haine vis-à-vis de leur prof de solfège, mais ils diront aussi être bien incapables de faire du mal à la moindre fourmi . De plus, Corentin ayant organisé une fête chez lui le soir du meurtre, la présence de ses invités sur le lieu du crime semble bien improbable. Les parents de Corentin témoigneront d’ailleurs qu’aucun des camarades n’a quitté la fête avant 3 heures du matin… Voulant éclaircir certains points avec Corentin, Duflair et Jean Quête continuent de le questionner.

« Pourquoi n’avez-vous pas invité votre camarade Guillaume à votre petite fiesta ? Etes-vous brouillés ? »

« Non, pas du tout, mais celui-ci n’avait pas digéré son échec à son examen… Nous, nous étions réunis pour fêter notre succès à ce concours de fin d’année. Alors quand il a refusé, j’ai bien compris qu’il n’avait pas le cœur à s’amuser… »

Oui, plutôt le cœur à tuer… pense Duflair.
« Bien sûr, bien sûr », répète Jean Quête.

« Cependant, j’aurais bien aimé qu’il vienne, ça lui aurait changé les idées… plutôt que de vouloir encore réviser ses accords de piano : il a dû bûcher toute la nuit ! Il m’a même emprunté mon métronome pour vérifier les réglages du sien… »

« Votre métronome, dites-vous ? » demande Duflair.

« Oui, nous avons chacun le nôtre, c’est la même marque... Ah non, je n’en ai pas besoin, moi je suis en vacances et… Oh mais pardon messieurs, vous ne croyez quand même pas que… »

« Nous ne croyons rien, jeune homme, nous enquêtons ! »

« Euh… Je ne sais pas si c’est important mais mon métronome a cependant un signe particulier… Voyez-vous, je suis très croyant et depuis le décès de mon père, il y a deux ans, j’ai fait graver la croix du christ sur l’aiguille… »

« Quelqu’un connaît-il l’existence de ce signe ? » demande Duflair

« Oui, ma mère le sait et… »

« Et ??? »

« Je pense l’avoir dit un jour à Guillaume et… »

Corentin s’arrête net de parler, devient livide comme un cadavre (encore un, mais bien vivant !) et se met à transpirer à grosses gouttes…

« Vous ne vous sentez pas bien ? » interroge Duflair

« Je suis un peu fatigué c’est tout… »

« Guillaume est bien votre meilleur ami, n’est-ce pas ? » questionne Jean Quête.

« Oui »

« Dans votre intérêt jeune homme, il est évident que si vous savez quelque chose, vous devez nous le dire, même si cela met en cause votre meilleur ami… » rajoute Duflair.

Corentin se met alors à raconter aux enquêteurs que le jour où Guillaume avait appris l’existence de la croix sur le métronome, il avait ri et avait dit : « Mouron est le diable en personne, on devrait le piquer avec l’aiguille de ton métronome pour l’exorciser ! Tu sais, comme pour les vampires qui ont peur des croix !!! »
Corentin cesse alors de parler, plus blanc que jamais et se met à pleurer… C’est lui qui a trouvé le coupable, lui qui adore lire les romans policiers et s’amuse à élucider les énigmes… Il devrait être fier ! Fier d’avoir livré des clés de l’énigme qui allaient amener les enquêteurs à arrêter son meilleur ami !!! Fier n’est pas vraiment le mot adéquat. Corentin est confus, honteux et jure d’ici là qu’on ne l’y reprendra plus… C’est fini, ses affaires, il ne les prête plus… à personne et surtout pas à son meilleur ami : tu penses ! Pour que ça devienne l’arme d’un crime !!!