Sous le soleil de Saint-Malo: l'édition 2014 du festival Etonnants Voyageurs, ici à l'abri des remparts, était décidément bénie des dieux.

Sous le soleil de Saint-Malo: l'édition 2014 du festival Etonnants Voyageurs, ici à l'abri des remparts, était décidément bénie des dieux.

Marianne Payot/L'Express

Samedi 7 juin

8 heures, gare Montparnasse. Le train spécial Festival Etonnants Voyageurs en direction de Saint-Malo ne part que dans 38 minutes mais la plupart des festivaliers sont déjà à quai. Histoire de respecter les horaires de la convocation - l'écrivain se révèle globalement discipliné - ou (et) de se réserver les meilleures places dans le TGV, qui dispose de plus de rames de seconde classe que de première. La crise aidant, pas de distribution de café et de viennoiseries cette année sur le quai par l'équipe du créateur du salon malouin, Michel Le Bris.

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8 h 38: Le train spécial, véritable tour de Babel sur rail, s'ébranle. Parmi les quelque 200 écrivains et artistes, outre les Anglo-Saxons, Africains et Haïtiens, coutumiers des Etonnants Voyageurs, on note, en cette 24e édition, la présence de nombreux Brésiliens et Chinois (50e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises oblige). Une tour de Babel plutôt calme, le temps de franchir le cap des 10 heures et du café-croissant.

11 h 50: L'arrivée à Saint-Malo se déroule sous le soleil - la nouvelle municipalité (l'ancien adjoint au maire, Claude Renoult, a détrôné le maire, René Couanau, multirécidiviste) ayant sagement décommandé la pluie. Les cars se remplissent pour se désemplir devant le superbe Hôtel de ville de la cité corsaire. Brève allocution du premier magistrat puis de Michel Le Bris avant l'abordage du buffet - les voyages donnent faim, et soif. Les huîtres trouvent - très - facilement preneurs, ce qui pousse quelques ventres affamés et moins alertes à alller se restaurer au Chateaubriand, l'un des hauts lieux de rencontre informels du Festival intra-muros.

14 h 15: Café littéraire du Palais du Grand Large. D'un café à l'autre. Pour les plus courageux, rendez-vous au Palais en présence du jury des nouveaux prix AFD-Littérature-Monde (Michel Le Bris, Paule Constant, Atiq Rahimi, Dany Laferrière, Jean Rouaud). A l'honneur, une Carole Zalberg rayonnante, distinguée pour Feu pour feu, publié par Actes-Sud, et Joseph Boyden, l'un des invités phare du Festival, couronné pour Dans le cercle du monde, chez Albin Michel. En Monsieur Loyal, Dany Laferrière fait le show, muni de son iPad. Le romancier canadien, vêtu d'un T-shirt noir orné d'une tête d'Indien, sait aussi se faire facétieux. Après avoir vendu tous ses livres, lundi, il fera la réclame de ceux de son confrère irlandais Paul Lynch, jusqu'à ce que les derniers exemplaires d'Un ciel rouge, le matin soient écoulés.

15 heures: Les hostilités peuvent commencer... Dans une quinzaine de lieux, tables rondes et rencontres s'enchaînent, car, contrairement aux apparences et malgré la superbe plage, gouffre de tentation, de Saint-Malo, les invités de la famille Le Bris (Mélanie, fille de son père, a repris les rênes de la programmation) ne chôment guère en ce week-end de l'Ascension. Chaque écrivain est sollicité trois à quatre fois, voire plus, sans compter les dédicaces qu'il se doit d'effectuer au salon du livre proprement dit (sous une immense tente dressée au bord du quai). Même notre prix Nobel, le grand JMG Le Clézio, se plie à cette ardente obligation.

19 h 30: Les rencontres font toujours le plein. A l'auditorium du Grand Palais, on continue de refuser du monde, cette fois pour la projection du Voyage de Kgonta Bo, le chaman, de Kate Thompson-Gorry! Il est vrai que c'est Jacques Higelin qui fait la voix off et qu'il est là en chair et en os.

20 h 30: Le vent est tombé, l'océan se fait lac, la chaleur demeure, fin de journée magique à Saint-Malo. Mais il est temps de s'attabler. Et comme les éditeurs ont horreur de l'imprévu (et souhaitent cocooner leurs auteurs, notamment les étrangers), ils ont réservé bien à l'avance leur table. Pour Actes Sud, pas de prise de tête, cela fait vingt ans qu'ils trustent une salle dans le délicieux restaurant Saint-Pierre. Mathias Enard, Lola Lafon, Carole Zalberg, Raphaël Jérusalmy, Benny Ziffer... la brochette est belle. Bonheur de découvrir l'Israëlien Ziffer, à qui l'on remettra le lendemain matin le prix Nicolas Bouvier. C'est dans un français parfait que l'auteur d'Entre nous, les Levantins, par ailleurs chroniqueur littéraire du quotidien Haaretz, nous conte son enfance de petit francophone à Tel-Aviv.

Minuit: Il fait toujours aussi doux derrière les remparts de Vauban. Au Châteaubriand et à l'Univers, vers lesquels convergent les convives disséminés, de nouvelles fratries se constituent. Sylvain Tesson, très en forme sous sa casquette, arrose la compagnie. Le sage Jean-Marie Gustave est parti se coucher depuis longtemps, Marc Dugain ne va pas tarder. Reste...

Dimanche 8 juin

10 heures: Les dieux sont malouins. La marée a balayé les nuages, place au soleil.

12 h 30: Remise du prix Ouest-France-Etonnants Voyageurs. Avec les dix jeunes jurés, et les présences (muettes, comme l'exige le règlement) de Sorj Chalandon, Léonora Miano, Sami Tchak, Yahia Belaskri, Jean Rouaud et Carole Martinez. Cette dernière relit, un rien angoissée, le passage qu'elle a choisi de La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon. Etonnante Lola Lafon qui, dit-on, est tombée en larmes lorsqu'elle a appris la bonne nouvelle. La voilà, encore émue par ce prix remis par de jeunes esprits à son roman qui célèbre un jeune corps... Son gros chèque de 10 000 euros sous le coude, la blonde romancière est aux anges.

14 h 45: Franck Bourgeron, le fondateur de La revue dessinée, tacle Finkielkraut devant une assemblée qui l'applaudit, rappelant que Finki avait déclaré que la BD était un art mineur. Un quart d'heure plus tard, sans y voir de cause à effet, Colum McCann se jette à l'eau - comme il l'avait déjà fait la veille - il est vrai que la température s'élève à 15 degrés, une bouilloire pour un Irlandais...

15 heures: On aperçoit Teresa Cremisi, la grande patronne de Flammarion, s'attabler avec l'agent François Samuelson au Chateaubriand. Un petit tour pour saluer son lauréat du prix Joseph Kessel (les prix pleuvent à Saint-Malo),Thomas B. Réverdy pour Les Revenants et, qui sait? dire bonjour à Olivier Adam, le local de la gente littéraire, qui publie à la rentrée mais qui ne sort jamais de chez lui lors du Festival.

15 h 45: "Oser penser une France multiculturelle", un débat comme les aime Michel Le Bris. Tout le monde est d'accord et le dit à sa manière. Sur le plateau, Le Clézio, Didier Daeninckx, Michel Agier, Elisabeth Leuvrey et un très convaincant Pascal Blanchard, l'historien maître d'oeuvre de La France arabo-orientale, 13 siècles de présences, à La Découverte.

17 h 30: "Rwanda, 20 ans après". Patrick de Saint-Exupéry, Wojciech Tochman et Hippolyte en seront encore émus le soir. Scholastique Mukasonga (prix Renaudot pour Notre-Dame du Nil, Gallimard) se livre comme jamais dans un monologue habité. Dans l'auditoire, on entend quelques pleurs.

18 h 45: Décidemment, les Anglo-saxons ont l'esprit malicieux. Pour mettre en difficulté son interprète, qu'il juge trop brillante, Colum McCann se met à parler en gaélique.

19 h 30: Fortes de ses trois lauréats (Carole Zalberg, Benny Ziffet et Lola Lafon), les éditions Actes Sud offrent un verre sur leur stand. Le tire-bouchon travaille sec.

21 heures: A chacun son restaurant. Le groupe Libella, emmené par sa patronne, Vera Michalski, reçoit dans les formes aux Embruns. Françoise Cloarec, Eric Plamondon, Cédric Gras, Hippolyte, le Slovène Drago Jancar et bien d'autres lèvent leur verre en son honneur.

Non loin de là, sont gaiment attablés les auteurs d'Albin Michel entourant le boss, Francis Geffard. Joseph Boyden et Paul Lynch jugent que Ron Rash fait de si beau discours qu'il a l'air d'être en campagne politique. Ils ont un slogan pour commencer à lever des fonds: "Cash for Rash"!

Lundi 9 juin

10 h 45: L'auditorium (1030 places) fait encore le plein. Pour voir le film d'Antoine de Gaudemar sur JMG Le Clézio, entre les mondes, suivi d'une rencontre avec les deux hommes, il ne fallait pas faire la grasse matinée. Au premier rang, Jemia, la femme de JMG, commente, amusée, les propos de son époux.

16 h10: Le Bris appelle désespérément ses interprètes pour trouver quelqu'un de libre - il en manque un à l'auditorium pour assurer la traduction du photographe John Morris, sur le plateau de "Reporters de guerre" en compagnie d'Olivier Weber.

16 h 15: Une de ces belles conférences de presse comme seul Michel Le Bris sait les mener. Traduisez, l'homme parle de tout: de la Bretagne, de la France multiculturelle, des Brésiliens et des Chinois réunis dans de mêmes problématiques, de King Kong (sur lequel il prépare un roman), de Tolkien, de 1914... Les vieux briscards sont habitués, les nouveaux sont légèrement étonnés et vont même, courageusement, poser quelques questions pratico-pratiques. La fréquentation? "A priori, comme l'année dernière, de l'ordre de 60 000 visiteurs". La gratuité? "Il n'en est pas question, les choses ont une valeur, la création se paye." Fin de partie, un dernier cocktail attend les intrépides festivaliers.

18 h 30: Lent acheminement vers la gare. Là, douche froide: le train (les travaux de rénovation n'étant malencontreusement pas achevés) aura un minimum d'une heure trente de retard. Pour calmer les esprits, les attachés de presse dévalisent la buvette et le buffet de la gare.

Minuit 15: Arrivée à Montparnasse. Tempête, il pleut dans la gare, fin de la parenthèse enchantée.


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