Historiens et écrivains face à la guerre

Avec Elizabeth Speller, Alan Hollinghurst, Marc Dugain, Pierre Schoentjes
Animé par Hubert Artus

Rude tâche, pour l’historien, de déchiffrer dans le chaos meurtrier de la Grande guerre l’ordre souterrain des raisons supposées lui donner sens. Mais « raison », encore, quand un monde pris de vertige s’autodétruit, avec une rage aveugle, jusqu’à ne plus rien laisser de lui, ni du plus intime de chacun ? Comment réduire encore cette guerre à des « conflits d’intérêts », calculs de politiques ou de marchands de canons ? Comment ne pas voir que « quelque chose d’autre » a surgi, au coeur de ce chaos, s’est emparé de tous et a tout emporté, à commencer par les calculs des fins stratèges ? « Quelque chose d’autre » a surgi dans le monde – et en soi. Espace halluciné que pressentent ou explorent artistes et écrivains, quand c’est l’homme lui-même qui devient un continent inconnu, Conrad au coeur des ténèbres, Junger, Céline, Breton résumant l’acte surréaliste le plus authentique au fait de descendre dans la rue et de tirer dans la foule au hasard. Ici, plus d’ordre, secret ou explicite, de « raisons » à la guerre, plus de « raison de la guerre », mais un puits noir sans fond au coeur du monde – et au plus profond de soi. « Ce soir… j’ai vu les bords de l’humanité – j’ai aperçu le noir et le vide autour de la terre » écrit Teilhard de Chardin au front, que cite André Glucksmann en ouverture du texte de Junger, La guerre comme expérience intérieure. « Ce puits sans fond » : ici, nous sommes au coeur même des enjeux de la littérature, bien loin des postures vaines, des modes et des bavardages mondains. Où l’historien et l’écrivain se retrouvent face à face.