House

Ecrit par Maëlle Nouaille (2nde, Lycée Charles De Gaulle de Vannes), sujet 1. Publié en l’état.

To be or not to be ?
Cette fois, la bonne formule serait plutôt : Sois une autre. Et fais face.
Une seconde plus tard, une vive lumière l’éblouit.

[…]

On la secoue violemment et elle sent ses membres claquer contre le mur. Elle papillonne des paupières et c’est comme si un océan de noirceur lui tombait dessus.
Il fait si sombre.
On continue de la secouer. Sa tête cogne.
« Allez, réveille-toi ! Réveille-toi, merde ! On n’a pas le temps ! »
Elle finit par ouvrir les yeux, carrément, comme s’ils allaient sortir de ses orbites tandis qu’une inspiration sifflante entre dans sa gorge.
Il y a une fille devant elle, le visage ombré par la lueur d’une bougie. Elle a des cheveux noirs, un peu violacés, des yeux durs et gris, en amande, et deux grandes cicatrices qui lui barrent la moitié du visage.
« C’est bon ? Mets-toi debout, on y va ! »
Alicia se relève et tangue, dans une pièce aux murs nus auxquels restent accroché quelques bouts de tapisserie. Les poutres sont apparentes et il n’y a que la bougie de la fille qui projette un halo autour d’elle. Alicia avale sa salive et essaye de parler. Elle sent comme une constellation de douleur à l’intérieur de sa tête.

« - Qu’est-ce qui … Je … Qu’est-ce …

- On s’en fout, on doit partir !

La fille l’attrape par le poignet et se met à courir, en l’entraînant dans son sillage. Alicia trébuche et manque de s’écraser sur le parquet de lattes sales, se relève puis la suit, les pas à moitié à côté de sa trajectoire.

« - Attends, je ne te comprends pas … Qu’est-ce qui se passe ? 

La fille court rapidement, sans répondre, et Alicia renonce à parler.
Elles enchaînent les couloirs sombres. La bougie, soufflée par l’accélération, n’éclaire plus rien et parfois elles sont illuminées par des flaques de lumière se déversant de lampes à gaz solitaires. Elles croisent d’autres portes, et Alicia aperçoit dans leurs interstices des lits, des baignoires craquelées et des miroirs cassés. Leurs pas claquent contre le plancher, le carrelage, ou la moquette, selon le sol qui s’étend. Le silence est tellement oppressant qu’il semble étouffer le bruit de leur course. L’endroit semble interminable, surtout qu’Alicia croit apercevoir un ou deux escaliers.
Les couloirs défilent.
Un.
Deux.
Trois.
La fille lui souffle « Accélère ». Les couloirs continuent de défiler.
Elles finissent par s’arrêter, et la fille passe une porte, Alicia derrière elle. Elles sont dans une bibliothèque, poussiéreuse et remplie de toiles d’araignée. Il n’y a même pas de livres sur les étagères, à part deux ou trois abandonnés, rongés par des rats. Une vieille lampe, à huile cette fois, balance sa lumière sale à travers la pièce. La fille se tourne vers Alicia, ses deux marques ressortent comme si elles avaient été faites à la mine de plomb.

« - Je m’appelle Saleena.

Elle la dévisage, comme pour la jauger. Alicia retrouve sa langue, et sa respiration. Elle a peur, un peu, et elle l’enfouit sous ses côtes.

- Où est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais là ? J’étais à une audition pour un film, pour jouer une enquêtrice galactique et … Attends, c’est ça l’audition ? C’est virtuel ?

- Non, ce n’est pas l’audition. Et ce n’est pas virtuel.

- Alors je suis où ? Je suis où ? Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?

Elle sent son cœur qui bat, fort, dans sa poitrine. Et elle se contrôle, car dans un lieu inconnu et sombre, avec une fille défigurée qui vous observe, elle sait qu’on ne se laisse pas aller.

- Moi j’étais à une compétition de natation quand c’est arrivé, dit Saleena. On m’a dit, plonge dans l’eau, c’est maintenant ou jamais si tu veux être prise en équipe nationale. J’ai plongé. Et je suis arrivée ici.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu ne sais pas ce qui se passe ?

- Je ne sais pas pourquoi je suis là, ni comment j’y suis arrivée mais je sais ce qui s’y passe.
Et avec la peur qui galope sous sa colonne, Alicia commence à la détester, cette fille et ses mystères.

  • C’est quoi, alors !?

Saleena se redresse, sort un peu de l’ombre, et ses yeux sont comme deux armes blanches.

- Nous sommes dans la maison. Les nuisibles ici, ce ne sont pas les rats, c’est nous. Il y a des monstres dans les couloirs. Et nous sommes les proies.

- Des monstres ?

Alicia a presque envie de rire, même si elle n’arrive pas à savoir si ce serait un rire nerveux ou un rire moqueur. Probablement les deux.

- Tu ne me crois pas, n’est-ce pas ?

Et avant qu’Alicia ne puisse répliquer, elle l’entraîne par le poignet et se remet à courir.

***

Alicia a envie de vomir.
Le cadavre est étendu devant elle, blanc, presque transparent, et à moitié pourri. En fait, il ne ressemble plus qu’à une bouillie sanglante séchée. Les yeux de Saleena la fixe, la défiant presque de vaciller.
Des monstres. Elle est enfermée dans une maison infinie pleine de monstres.
Au-dessus du cadavre, quelqu’un a marqué « la chasse est ouverte », en lettres de sang. Elle a d’abord cru que c’était la chose qui avait bouffé le garçon à ses pieds qui l’avait écrit, mais Saleena l’avait détrompée. Il y en avait plusieurs comme elles dans cette maison apparemment, tous cachés entres les ombres et la poussière, claquant des dents à l’idée de ce qui se trouvait entre ces murs.
Et tout le monde finissait par péter les plombs.
Elle a d’ailleurs l’impression que ça ne va pas tarder à être son cas. Elle sent la peur s’enrouler autour de ses os, comme du lierre autour d’un tronc. Elle inspire un peu, le temps de s’y habituer, de lui faire une place puis de l’écraser. Et elle se tourne vers Saleena.

« - On les évite comment ces monstres ?

- Tu cours. Et tu ne te fais pas choper. »

Alors elles courent. Encore et encore.

***

Elles passent de couloirs en portes, d’escaliers en corridors.
Alicia a le souffle court et a l’impression de devoir arracher chaque inspiration à ses poumons. A certains moments, il lui semble apercevoir des ombres, cachées dans les recoins. Elle les ignore. Elle préfère fuir ce qui est caché hors de la lumière.
Saleena a dit qu’elle les conduisait à une planque, une pièce de la maison qu’elle a réussi à fortifier et qui lui sert de point de repos, même si elle ne peut jamais y rester longtemps. Quand Alicia lui demande quelles sont les limites de la maison, elle répond que personne ne les a jamais atteintes. Elles croisent de nouveau un ou deux cadavres, et leurs traces macabres accrochées à la tapisserie.
Elles courent, elles courent, et soudain Alicia se sent projetée contre un mur. Elle s’écrase avec la grâce d’un boulet de canon. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, un garçon la tient par les épaules, et lui les serre tellement fort qu’elle entend ses os gémir. Il a des yeux bruns, immenses, la pupille dilatée par la peur et la folie. Il lui crie dessus.
« C’est faux ! Tout est faux ! Tout est complètement faux ! Tu comprends ?! C’est faux ! »
Il continue de la secouer, jusqu’à ce que Saleena l’attrape et qu’après lui avoir mis un coup derrière les genoux, le balance contre la porte d’en face. Cette dernière laisse s’échapper une bouffée de poussière sans pour autant céder.
Les yeux du garçon roulent dans leurs orbites, et il respire par à-coups, comme une machine aux rouages cassés. Saleena, ouvre la bouche, probablement pour l’invectiver quand un grondement résonne près d’eux, juste au tournant du couloir. Et tandis qu’Alicia se pétrifie une demi-seconde à la pensée du monstre tout proche, le garçon se relève aussi vite qu’un éclair, saisit son bras et celui de Saleena dans une prise d’acier et les entraîne derrière lui.

***

La porte claque brutalement.
Le garçon les a entraînées dans une pièce à verrous, qu’il ferme avec précipitation. Alicia reprend son souffle et jette un regard à Saleena. Elle ne la voit que de profil et sans ses cicatrices, son visage est plus doux. Mais ses yeux sont toujours aussi durs. Elle apostrophe le garçon.
« - Où est-ce que tu nous as emmenées ?
Et à la pointe de nervosité dans sa voix, Alicia comprend qu’elle ne sait pas du tout où ils sont.
Le garçon ne répond pas.

- Alors ? On est où ?

Il fixe quelque chose au centre de la pièce. Alicia s’approche et remarque une sorte de machine, plutôt petite, rectangulaire. Le garçon la fixe avec terreur, ses mains tremblent, se crispent sur son pantalon déchiré. Il se met à murmurer.

- Tout est faux, faux, faux, faux …

Il essaye de s’arracher les cheveux, et au moment où une touffe tombe par terre, Saleena lui attrape l’avant-bras et se met à lui crier dessus, tout en chuchotant.

- Arrête ! On est où ?! C’est quoi cet endroit ? Qu’est-ce qui est faux ?

Le garçon lui lance un regard tremblotant, et se libère précipitamment de sa prise pour se jeter sur la machine. Il appuie sur une sorte de bouton à demi caché et elle se met à ronronner. Saleena se jette sur lui, et pour la première fois depuis le début, Alicia voit la peur la submerger.

- Qu’est-ce que t’as fait ?! Qu’est-ce que t’as fait ?!

Mais avant qu’il ne puisse répondre, une image apparaît sur le mur d’en face.

***

L’image est d’abord noire, puis remplie de neige. Enfin un homme apparaît. Et commence à parler.

« Je suis le professeur Ethan O ’Callaghan. Nous sommes le 23 mars 2895. Et pratiquement la totalité de l’humanité est décédée.
Il y a deux ans, un virus à commencer à se développer. Il s’est propagé doucement, tellement doucement d’ailleurs que personne ne l’a remarqué. Puis il a commencé à faire des victimes, et le temps que nous y prêtions attention, trop d’individus étaient infectés pour que l’épidémie soit endiguée. Les morts ont commencé à s’empiler. Le virus se transmettait tellement vite, et surtout mutait tellement rapidement que nous n’avons pas eu le temps de mettre au point un remède.
Néanmoins, nous avons trouvé ce que nous pourrions appeler un système de survie de l’espèce, basée sur deux observations : le virus ne touchait que les individus ayant atteint leur maturité de croissance, et il était ralenti par une hormone secrétée par la peur.
A l’heure où je vous parle, il n’y a aucun moyen d’empêcher la destruction de l’humanité. Juste de la repousser. C’est ce en quoi le projet House consiste.
Nous avons mis en stase nos enfants et adolescents, puis avons bâti une simulation, appelée
La Maison ou House, où ils seraient soumis à une situation de stress intense sans
interruption, afin de les garder en vie le plus longtemps possible.
Je suis probablement mort à l’heure qu’il est, comme tous les adultes. Vous, les enfants, qui regardez cet enregistrement, vous êtes le projet House.
Il n’y a pas de monstres.
Il n’y a pas de maison.
Il n’y a pas d’issue.
J’espère de tout cœur que vous trouverez une solution, quelle qu’elle soit.
N’oubliez pas.
C’est la peur qui vous garde en vie. »

***
Alicia a l’impression d’imploser. Ou de s’écrouler.
Elle ne peut plus respirer.
Elle ne pourra pas sortir. Elle ne pourra pas retrouver le monde, car le monde n’est plus là.
Elle n’est même pas là.
Il n’y a pas d’issue. Pas de réalité. Pas de monstres.
Pas de monstres.
Pas de raison d’avoir peur.
Elle n’a plus de raison d’avoir peur.
Et c’est comme si elle sentait le souffle chaud du virus par-dessus son épaule.

Fin