Evelyne Trouillot

Evelyne Trouillot.

Laurent Delarue

No visa necessary

Il y a trois ans de cela j'étais invitée à un événement littéraire dans une grande capitale européenne. Près de deux cent écrivains venant de différentes régions du globe devaient y participer. L'atmosphère reflétait la diversité du groupe, les langues inconnues se croisaient, les sourires apportaient des effluves lointains qui renvoyaient à des espaces ignorés. Le chaos chantait la beauté de la diversité.

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A Port-au-Prince, cette édition de Etonnants Voyageurs a apporté une fois elle aussi, sur une plus petite échelle certes, ce fourmillement de pensées et d'images, cette rencontre d'univers différents, cette communion autour des mots et du monde. Avec des débats passionnés, des lectures intimes et des dialogues d'écrivains qui vont au-delà de l'horaire hallucinant du Festival.

Lors de ce festival mondial auquel j'avais participé, il y a trois ans, quelques notes discordantes avaient ombré l'atmosphère. La plupart des invités venus de la Caraïbe, de l'Afrique, de l'Amérique du sud avaient rencontré des difficultés énormes et dans certains cas, insurmontables pour obtenir le visa. Comme si quelque part les auteurs venus de certaines régions du globe se transformaient en de potentiels demandeurs d'asile, ou en d'éventuels immigrés illégaux. Après avoir rempli des pages et des pages d'un formulaire détestable, certains écrivains connus internationalement s'étaient retrouvés incapables de participer au festival, le visa leur ayant été refusé.

Au cours des préparatifs à la fois frustrants et exhilarants de cette 4ème édition haïtienne du Festival Etonnants Voyageurs, beaucoup de problèmes furent soulevés mais nulle mention ne fut faite de visas à obtenir. Du moins, du coté haïtien, nul n'y pensa. En effet, si un contrôle se fait à l'arrivée du voyageur, toutes nationalité confondues, aucun visa n'est réclamé par l'officier d'immigration. Les plus cyniques diront que c'est peut-être pour encourager les visiteurs réticents. Les moins naïfs diront sans doute que nous devrions penser sérieusement à restreindre les chasseurs de catastrophes et de profits à en tirer. La simple et belle vérité c'est que nous n'avons pas cette tradition de fermer la porte aux visiteurs. Et les voyageurs sont accueillis avec honneur et respect.

Au début de la semaine, à la télévision nationale je citais les noms des écrivains étrangers qui allaient participer à cette édition. Une sélection variée, avec des auteurs d'origine africaine, étasunienne, française bien sur, turque, mauricienne, martiniquaise, entre autres. Si je me suis souciée de savoir s'ils avaient bien voyagé, je n'ai pas pensé à leur demander s'ils avaient été retenus à l'immigration sous un quelconque prétexte. La République d'Haïti ne demande pas de visa, et ne refuse pas l'entrée sur le sol haïtien, sauf en de rares exceptions. Je m'en réjouis. Cela fait du bien de se sentir le bienvenu. Quelles bonnes prémices aux échanges et au partage!

Dans deux jours ou plus (!), j'oublierai le stress incontournable des préparatifs: les changements imprévus, les annulations de dernière minute, les itinéraires en déroute. A entendre la vitalité des échanges, à voir les yeux des collégiens et lycéens posant leurs questions, les yeux tout aussi avides des écrivains absorbant la réalité haïtienne dans toute sa bouleversante complexité, je me dis, une fois de plus, que cela valait bien le coup.

Et aussi, pensant à cette expérience d'il y a trois ans, je suis heureuse et fière qu'aucun parmi nos Etonnants Voyageurs, quelque soit son lieu de naissance et la couleur de son passeport, se soit vu refuser l'entrée dans mon pays.

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