L’ombre du malheur

Mais alors qu’ils s’arrêtaient à un jet de pierre, l’air défiant, il leur décocha son plus beau sourire.
« Ah ! Les gars ! Rugit-il. Ce que je suis content de vous voir ! »

Grigori expliqua aux cavaliers la situation. Ceux-ci se regardèrent et d’un commun accord, l’un dit :
« Nous avons à faire et nous espérons que quelqu’un vous vienne en aide. »
Sur ce, ils firent volte face et talonnant le flanc de leurs montures, ils repartirent.

Soudain, Grigori et son groupe entendirent au loin un grognement sauvage. Il venait du fond de la steppe. Les chevaux des Iakoutes prirent peur en entendant ce bruit féroce, et un à un, les cavaliers tombèrent de leur monture. Ils juraient en tombant et dès qu’ils se relevaient partaient à la poursuite de leurs chevaux. Ceci amusa Gregori un court instant. Il sentit une odeur de brûlé provenant de la forêt. Il regarda donc dans cette direction et vit avec effarement qu’elle était en feu.

C’était arrivé si vite. En clin d’œil la forêt si paisible était maintenant rongée par les flammes. Les hommes de Grigori regardaient ce spectacle, horrifiés. Seul Grigori avait l’esprit clair. Il réfléchissait à comment une telle chose avait pu arriver. Mais d’habitude ce n’était pas lui qui réfléchissait. Lui, Grigori Tikhonovitch Kozlov, était un homme d’action. Il préférait être sur le terrain que dans un bureau avec des papiers, des papiers et encore des papiers…. Mais pendant qu’il réfléchissait, un de ses amis, Igor, cria :
« Grigori ! Des gobelins nous foncent dessus !

  • Arrête de raconter des conneries, Igor, laisse-moi réfléchir !
  • Il a raison répliqua un de ses collègues, il y a vraiment des gobelins qui arrivent à toute allure vers nous ! »
    Grigori leva les yeux au ciel ne croyant toujours pas ses amis. Il décida tout de même de vérifier et malheureusement ils avaient raison. Des centaines, voire des milliers de formes vertes fonçaient vers eux. Grigori eut peur pour la première fois de sa vie et cria à pleins poumons :
    « Courrez ! »
    Les pompiers n’eurent pas besoin qu’on leur dise deux fois et coururent du mieux qu’ils purent, suivant les points noirs qu’étaient les Iakoutes sur l’horizon. Grigori était essoufflé mais il tenait le coup. Il regarda en arrière, pensant à ses camarades qui n’étaient pas aussi costauds que lui. Deux de ses amis le suivaient de près, mais les trois autres étaient à la traîne. Les gobelins se rapprochaient. Grigori aurait pu leur échapper mais il y avait ses amis. Ils avaient vécu tellement d’aventures ensemble. Alors Grigori fit demi-tour, se mit à leur niveau et, les soutenant d’un bras, dit :
    « Quand on sera rentrés, je vous offre un verre et même deux ! »
    Cela redonna le sourire aux pompiers et tous coururent un un peu plus vite.
    Les gobelins, eux, ne perdaient pas en vitesse et s’approchaient. Grigori put mieux les voir et vit qu’un bon nombre semblaient tristes. Il eut un élan d’empathie envers ces créatures. « Ils ont dû perdre leur maison et peut-être que des proches ou des amis ont péri dans l’incendie, » se dit-il.

La nuit était en train de tomber. Du moins, c’est ce que crut Grigori car le ciel s’était assombri et le soleil avait disparu.
« Ce n’est pourtant pas l’heure, pensa Grigori, il doit être vers 3h30 de l’après-midi ! » Il regarda le ciel. Il vit que la lune n’était pas là et que le ciel bougeait ! Ce fut très bref, comme une feuille agitée par une douce brise. Avant qu’il n’ait pu regarder plus attentivement, Igor l’interpella : « Grigori, arrête de regarder le ciel et cours ! Dois-je te rappeler qu’une horde de gobelins nous pourchasse ?! Allez, cours triple idiot ! »Grigori se rendit compte qu’il avait arrêté de courir pour contempler le ciel noir. Déjà, les gobelins les rattrapaient. Quelle ne fut pas leur surprise lorsque les monstres verts les dépassèrentsans un un regard dans leur direction ! Grigori s’arrêta stupéfait, croyant qu’ils allaient l’attaquer, lui et son groupe. Les autres l’imitèrent.

Mais l’écart se creusait entre les gobelins et les pompiers qui stoppèrent net. Un jet de flammes surgit du ciel obscure, transformant les gobelins en cendres. Tous levèrent la tête et découvrirent un gigantesque œil globuleux. Les pompiers émirent un cri de surprise et d’effroi. Grigori comprit que le bruissement dans le ciel était en réalité le battement d’aile régulier du dragon. Grigori paniqua. En dix minutes, il avait rencontré des gobelins et ceux-ci avaient été changé en cendres par une créature qui n’était autre qu’un dragon !
Pétrifiés, ils ne savaient où fuir lorsque des bruits de sabots leur annoncèrent le retour des Iakoutes qui avaient récupéré leurs montures. Ils étaient armés de lances et d’arcs. Sur le fer des lances, du sang noir avait séché. C’est alors qu’il comprit que ces hommes étaient des chasseurs de dragon.

Lançant un cri de guerre, leur chef leur intima l’ordre de viser la bête. Une volée d’épieux fusa vers le dragon et se plantèrent dans son flanc. Rugissant de rage, celui-ci souffla une gerbe de flammes vers les hommes qui esquivèrent de peu, bien que certains en ressortirent avec une barbe roussie. Une deuxième volée suivit. Puis une troisième, mais cette fois, la bête ne sembla pas y prêter attention. Elle venait d’apercevoir une autre créature du ciel, une créature qui osait la défier sur son propre territoire, dans les airs. Grigori remarqua alors un vrombissement lointain que le vacarme de la bataille avait couvert jusque là et comprit qu’il s’agissait de l’hélicoptère chargé de les ramener. Sur le coup Grigori fut pris d’une immense joie qui ne dura qu’un court instant car le dragon fonçait déjà droit sur leur seule chance de revenir à la civilisation.

Les Iakoutes mirent à profit ce moment d’inattention du dragon pour que leur archer le plus habile tire une flèche empoisonnée droit dans le cœur du monstre. Déstabilisé, le dragon perdit petit à petit de l’altitude pour enfin s’écraser dans la taïga. Les Iakoutes hurlèrent, en liesse, sauf leur chef qui savait par expérience que les dragons ne se laissaient pas terrasser aussi facilement. Il rappela à l’ordre ses hommes, leur ordonna d’encercler le dragon et de pointer leurs lances sur lui afin de prévenir toute contre-attaque pendant qu’il s’approchait pour tenter de lui trancher la tête. S’approchant lentement perché sur son cheval, il leva sa hache au-dessus de la tête du dragon, mais avant qu’il puisse la rabattre, la bête rua, le blessa et l’envoya voltiger à plusieurs mètres. Plusieurs Iakoutes se précipitèrent vers leur chef afin de s’assurer qu’il allait bien. Ce dernier les supplia de trancher au plus vite le cou du dragon car c’était leur seule chance de le vaincre, puis s’évanouit. Prenant de l’élan, Youri, son bras droit, saisit sa hallebarde et fonça sur le dragon. La bête le faucha d’un coup de queue. Pendant ce temps les autres Iakoutes avaient repris leurs positions et harponnèrent le dragon pour le maintenir en place. Grigori ramassa la hache du chef sans réfléchir. Il s’élança vers cet horrible monstre ailé, brandit la hache et l’abattit sur la tête écailleuse. La hache se teinta de noir et le dragon s’écroula dans un dernier mugissement.

Un bonheur intense envahit le groupe. Débarrassé de la menace reptilienne, l’hélicoptère put enfin se poser. Grigori était si content de voir l’hélico qu’il donna l’accolade à chaque passager. Cependant, plusieurs Iakoutes étaient encore agglutinés autour de leur chef, ce qui rappela à Grigori qu’il fallait le secourir de toute urgence. Le groupe de pompiers se fraya un chemin jusqu’au blessé. Ils pansèrent ses plaies, assurant aux Iakoutes qu’il serait très vite remis. Puis adressant un dernier au-revoir à la troupe, Grigori et ses compagnons montèrent dans l’hélico. C’est à la fois heureux d’être encore en vie après cette incroyable péripétie et soulagés de pouvoir enfin renter chez eux qu’il s’envolèrent.