La belle aventure, Souvenirs d’Ousmane Diarra à Bamako

Je m’en souviens encore ! Comme si c’était hier ! Étonnants Voyageurs Afrique ! Étonnants Voyageurs-Bamako ! La belle et inoubliable aventure. Jeunes et moins jeunes de Bamako en demandent encore. Certains écrivains, débutants à l’époque, sont devenus écrivains confirmés. Au Mali.
Bien sûr que je connaissais déjà Moussa Konaté. « Moussa le taciturne » de Tous les moutons du monde, le personnage principal d’une de mes nouvelles. Depuis mon poste de bibliothécaire, je l’observais de loin. La passion des lettres nous rapprochera davantage, au point de devenir des amis très proches. Proche par nos idées, proches par nos prises de position. C’était le grand frère spirituel, lointain, aérien, détaché de tout sauf de ses idées.

Cette année-là donc, en 2001, depuis trois jours, je vois les trois compères ensemble : Michel Le Bris, Yves de la Croix et Moussa Konaté. Yves finit par confier qu’ils veulent organiser une rencontre littéraire autour du thème du voyageur. La mobilisation du public, en partie, me revient. Une grande rencontre dans la salle de conférences du CCF de Bamako donc, autour de la littérature voyageuse. « C’est quoi encore, la littérature voyageuse ? » se demandent quelques journalistes maliens prompts à la suspicion.

Il y a, bien sûr, dans la salle le gratin des intellectuels et journalistes maliens. Les débats sont houleux. La démocratie malienne était alors en marche. Les Maliens avaient la parole libre, l’esprit ouvert et réceptif.

Un événement culturel et intellectuel venait de voir le jour, événement majeur au Mali, dans la sous-région, et sur le continent africain. C’était un cadeau du ciel pour la jeune démocratie malienne. D’ailleurs, la première édition officielle qui suivra verra Alpha Omar Konaré, alors président de la République du Mali, participer à une rencontre littéraire sur le plateau de la télévision nationale, avec Bernard Pivot, Moussa Konaté, Aïcha Fofana et le cinéaste Adama Drabo. C’était du jamais vu, un chef d’État parler de littérature, de culture, d’art ! Avec des écrivains ! Avec des artistes ! Autour de la même table ! Comme c’était beau à voir, et prometteur pour le Mali, pour sa culture et pour sa jeune démocratie !

Bamako était devenu l’épicentre intellectuel de toute l’Afrique. Comme Tombouctou au XVe siècle. Les idées fleurissaient, bouillonnaient dans tous les sens. Tout le monde parlait d’Étonnants Voyageurs Bamako. Tout le monde voulait venir à Bamako. Jeunes et moins jeunes, tout le monde à Bamako, comme dans les autres capitales régionales du Mali, réclamait et continue de réclamer Étonnants Voyageurs. Les Maliens avaient pris goût aux débats d’idées, aux débats contradictoires. Des vocations sont nées et se sont développées dans la jeunesse malienne, africaine.

Personnellement, j’avais déjà publié des nouvelles, de la poésie et de la littérature jeunesse, mais grâce à Étonnants Voyageurs j’ai eu le courage de me lancer dans le roman. Je sais que je ne suis pas le seul. Car ce festival a donné une visibilité mondiale à la littérature africaine, a permis l’émergence de jeunes talents jusque-là restés dans l’ombre.

Il y a eu des difficultés par la suite, des incompréhensions. Inhérentes à toute entreprise humaine, surtout couronnée de succès. Il faut savoir les dépasser. Le festival, ce joyau intellectuel, culturel, ce merveilleux outil de la promotion de la diversité culturelle, de la diversité d’opinions, on me le réclame de nos jours encore, jusque sur le plateau de la télévision nationale.

D’ailleurs, est-ce un hasard si le chaos politique, au Mali et dans le Sahel, a progressivement succédé au départ du festival Étonnants Voyageurs Afrique ? Je continue de m’interroger. Car ceux qui sèment aujourd’hui la terreur auraient difficilement eu voix au chapitre auprès des jeunes si les écrivains continuaient de leur ouvrir le ciel. Mais peut-être que je rêve.