La cité des étoiles

Mathilde COCHEPIN, en 1ère au lycée Louis Pasteur, Besançon (25), classée 1ère de l’académie de Besançon

La cité des étoiles

Louise poussa un grognement.
Elle avait retardé tant qu’elle avait pu le moment de se mettre au boulot, espérant jusqu’à la dernière minute qu’un miracle la sauverait mais là, le dernier jour, à onze heures du soir, soit neuf petites heures avant le cours fatidique, elle était coincée. D’autant plus coincée que madame Agay était connue pour la sévérité avec laquelle elle traitait les élèves qui ne rendaient pas leur travail dans les délais impartis.
Pour la dixième fois de la soirée et la centième depuis une semaine que madame Agay leur avait donné ce fichu devoir, elle lut le sujet :
« Baba Yaga est une figure centrale des légendes russes. Vous utiliserez le conte étudié en classe et les résultats de vos recherches personnelles pour rédiger un texte de quatre pages dans lequel Baba Yaga jouera un rôle essentiel. »
Le conte étudié en classe ? Louise en gardait un souvenir si vague qu’elle en était venue à se demander si elle n’était pas absente le jour où la prof l’avait présenté. Vos recherches personnelles ? Il ne fallait quand même pas rigoler !
Bon d’accord, elle n’avait rien fichu, rien écouté, rien préparé et, demain, elle allait se faire trépaner par madame Agay. Et tout ça à cause de cette…
« Maudite Baba Yaga ! » cracha-t-elle.
Comme un écho à son juron, un claquement sec retentit dans le couloir, suivi du bruit d’un corps lourd se traînant vers sa chambre.
Louise se figea. Si elle avait réveillé ses parents, que l’un d’eux entrait et la surprenait en train de … de ne pas travailler au lieu de dormir, madame Agay n’aurait plus rien à massacrer demain.
Elle se précipitait vers son lit lorsqu’une grosse enveloppe fut glissée sous sa porte. Louise qui s’était avachie précipitamment sur son lit se releva et s’assit, se demandant qui pouvait lui écrire. A cette heure tardive ses parents dormaient habituellement devant la télévision et le facteur était déjà passé ce matin. Trop curieuse, elle s’approcha de la porte et observa l’enveloppe sans la ramasser. Celle-ci était en tissu bleu avec une étoile jaune dans laquelle son adresse figurait :
Merces Louise
410.bis rue trépollières
93000 Besontio- France- Terre.
« Terre » ?? s’interrogea Louise dont le détail la troublait. Doucement elle ouvrit la porte. Le couloir était noir de silence et, au milieu de ce pesant silence, un petit cadeau étouffé par du bolduc. Après l’avoir ramassé, elle vérifia que ses parents dormaient puis remonta dans sa chambre. Ce n’était pas eux... et donc quelqu’un s’était introduit dans sa maison... super rassurant comme déduction ! Louise découpa d’abord l’enveloppe car elle était cousue puis lut tout bas :
« Louise, je sais que tu es très feignante et que tu n’as pas fait ton boulot pour demain. Je propose de t’aider en échange de souvenirs uniques d’une aventure que personne n’a encore réalisée ! Je promets que ton travail sera réussi et t’assure une bonne note. Pour cela rejoins-moi dans le monde d’à côté... ce n’est pas très loin, fais vite. N’oublie pas ton sujet ainsi qu’une montre. Ah oui, j’oubliais... habille-toi chaudement surtout ! A tout de suite. B.Y. »
Là, Louise ne savait que faire, ni quoi penser. Oui, elle aurait aimé qu’on l’aide à faire ce maudit devoir qui l’ennuyait plus que tout ! C’est le miracle qu’elle attendait, ce courrier. Mais là elle ne connaissait ni l’auteur de cette plaisanterie si cela en était une, ni l’adresse où elle devait se rendre. Louise fit une brève récapitulation : « Terre », « le monde d’à côté », « B.Y ».
Pendant que ces indices se bousculaient dans sa tête, elle déballa tout de même le petit paquet dans lequel un morceau de tissu en boule dormait profondément. Surprise, Louise ironisa :
« Ok, super, un chiffon qui ressemble à une culotte pas rangée... pour être polie. Nan mais c’est quoi ce délire là ! En plus il sent pas bon ! »

« Bon alors c’est quoi ça ? Observa Louise avec une grimace, mmh ça ressemble à un... »
Un nuage de poussières vertes l’aveugla et, au bout de ses doigts « la culotte pas rangée » était devenue aussi lourde qu’un plaid en laine. Si lourde qu’elle lacha tout. Mais rien ne tomba.
« ...Un tapis volant » finit Louise en balbutiant ces derniers mots.
Il était super long et super beau. Et Louise n’en revenait pas.
« Oui mais ce que tu ne sais pas encore c’est que je suis super confortable. Ah oui, je me présente ; je suis un tapis volant comme tu l’as si bien remarqué et je m’appelle Ortimer mais c’est Tim pour les intimes . J’ai pour mission de t’emmener dans le monde d’à côté... »
Louise avait de plus en plus de mal à suivre ces paroles car il parlait de plus en plus vite. Il devait à peu près débiter huit mots à la seconde :
« ... Noussommestrèspressésmontevitesurmondosetfermelabouchetuvasgoberlesmouches. »
Louise hésita, puis comme attiré par l’envie de s’envoler loin, loin vers la gloire, vers les bonnes notes, elle courut maladroitement chercher son sujet et ... une montre. Mince Louise n’avait pas de montre. Très vite elle descendit décrocher la pendule de la cuisine... un peu encombrante.
Et Louise, les yeux pétillants d’aventure, les soucis ligotés dans un coin de sa tête, elle prit son élan et pouff, s’étala nonchalamment sur Ortimer, le fabuleux tapis volant.
Louise approuva. Celui-ci était incroyablement confortable. Comme un fougueux destrier, il se cabra en criant :
« Hiiiiaaaaa. Accrochez vos ceintures, ça va s’couer ! »
« Mais y’a pas de ceintuuuure ! » répondit Louise, paniquée, qui commençait à rouler. « Y’a pas de ceintuuuuureee ! »
« Haha.. et ben accrochez-vous aux pompons ! »
Louise n’en revenait pas. Il rigolait comme un tordu.
Le voyage se déroulait bien mais Louise commençait à avoir un peu froid. Mince ! Dans la précipitation elle avait oublié de prendre des vêtements chauds. C’est sûr qu’en pyjama à 100km/h il y a de quoi avoir froid. Tim qui commençait à prendre la fâcheuse habitude d’écouter dans les pensées de Louise, corrigea immédiatement :
« Non, nous volons exactement à 642km/h, récita t-il comme un robot, le vent est avec nous et sa vitesse est de 120km/h, de plus, nous montons à une altitude de 8653m. Si tu ne sens qu’une légère brise, c’est parce que tu es sur... »
« ...Sur un tapis volant qui ne peut s’empêcher de s’occuper de ses oignons ! » finit Louise.
« S’occuper de qui ? »
« De tes oignons. »
« C’est qui eux ? » demanda t-il, naïf.
Louise fit la moue. Les tapis volants sont un peu fâchés avec les expressions. Ça ne va pas être du gâteau.
Son réveil fut désagréable. Avec le froid, elle s’était endormi, et son estomac n’avait pas digéré le voyage express. Mais lorsqu’elle leva les yeux, elle crut perdre l’équilibre. Ce qui se dressait devant Louise la réduisait à la taille d’un plancton dans l’océan. Elle continuait à lever les yeux, ça n’en finissait pas et sa tête touchait maintenant son dos.
« Voilà, sourit Tim, bienvenue dans la cité des étoiles ! Le pays des contes et légendes. Louise tu vas bien ? Tu as sûrement envie de vomir à cause du voyage... il serait préférable que tu baisses la tête pour... »
« Je n’ai plus envie de vomir », répondit-elle émerveillée par le spectacle insensé qui se déroulait devant elle, « c’est ça le monde d’à côté ? »
« Oui, en fait, c’est un interminable palais. Le Palais de mille ans de contes et de mille et une nuits. C’est vrai qu’il est beau quand même ! Bon on y va ? »
Mais Louise n’écoutait plus, hypnotisée par la grandeur et la beauté de la cité.

« Là nous survolons le château de la Belle au Bois Dormant, expliqua Tim, ne t’inquiète pas, la silhouette que tu vois là-bas, c’est Victor, un chasseur de rêve. À mon avis celui-là il doit s’en mettre plein la besace vu que la future princesse s’est endormie pour cent ans ! »
Au fil de leur progression dans la cité, Louise appréciait d’avantage les explications de Tim. Il aimait raconter et elle aimait l’écouter. Elle avait même l’impression qu’il lui transmettait des sensations renforçant ses explications et les rendant plus compréhensibles. Ça devait être le don des tapis volants. Louise ne pouvait s’empêcher de sourire tellement elle était heureuse et bien.
« Bon c’est bien beau de sourire et de rêver, mais il va falloir commencer à bosser ton sujet » rappela celui-ci.
Il avait surtout un grand don pour casser l’ambiance.
Elle vivait dans une zone des plus sombres de la cité magique. Au milieu d’une forêt dense dont les pins étaient noirs, mouchetés par la neige mauve. Une chaumière montée sur deux pattes d’oiseau gigota lorsqu’elle s’aperçut de leur arrivée. Alors une femme en sortit. Elle était très peu vêtue et contrairement à Louise ne semblait pas souffrir du froid. Ortimer s’approcha de Baba Yaga. Elle semblait être coincée dans une sorte de mortier aux étranges gravures et tenait fermement un long pilon dans sa main droite. Elle agitait dans son autre main, une branche d’arbre, commun au bouleau, et effaçait ses traces. Ortimer fit une dernière réflexion avant qu’elle arrive :
« Ne fais pas attention, en vieillissant elle est devenue un peu maniaque sur les bords. »
Louise pouffa de rire car elle n’imaginait pas tout à fait la sorcière de cette manière.
« Ah vous voilà enfin ! Grinça t-elle, t’en a mis du temps vieux paillasson. Je parie que tu as encore raconté ta vie à cette ingrate. Allez, dépêchez-vous d’entrer, nous avons quelques contes à régler. »
Elle avait terminé sa phrase par un joli sourire carnassier. C’était d’ailleurs la seule chose de laid en apparence, avec ses milles et une rides. Ses cheveux étaient courts, soyeux, blancs et se terminaient par quelques perles. Au milieu de son visage buriné, la transparence de ses yeux bleus lui donnaient un regard perçant et magnifique à la fois.
« C’est quoi ça ? Aboya Baba Yaga en désignant la pendule que Louise avait apporté. T’as pas trouvé plus gros comme montre ? Nan mais n’importe quoi ! Allez au boulot ! Donne-moi ton sujet moisi que j’y jette un œil ! »
« N’oublie pas de le ramasser » répondit Tim.
« Ramasser quoi vieille serpillère, je n’ai pas fait tomber le sujet je te signale ! » grogna t-elle.
« Mais non, tu viens de dire que tu allais jeter ton œil pour lire le sujet de Louise... alors n’oublie pas de le ramasser après ta lecture. »
Baba Yaga le regarda avec une mine désespéré. Ce tapis volant était toujours autant imperméable aux expressions imagières.
« Bon, combien de temps nous reste t-il avant ton départ ? » demanda Baba Yaga.
Louise avait deux heures pile à sa pendule et donc par déduction ils ne leur restaient que six heures avant le cours fatidique de madame Agay.
« Nous avons mis du temps car Tim m’a fait visiter la cité. C’est vraiment incroyable toute cette magie. Je suppose que vous allez pouvoir m’aider. Si vous voulez on peut travailler de la manière suivante : je vous pose des questions, vous y répondez... comme à une interview. »
« Mmh, réfléchit la sorcière pas très contente que Louise prenne les choses en main, ça me va mais ne me coupe pas la parole, j’ai horreur de ça. Vas-y... je t’écoute. »
« Ah mais oui, les initiales B.Y c’est vous ! Comprit Louise à cet instant. »
« Ben oui ! Tu ne t’en es pas rendue compte plus tôt !? A oui... j’oubliais, mademoiselle Louise ne fait pas d’effort. P’tite paresseuse ! »

Louise était un peu mal à l’aise et ne savait pas quoi répondre pour sa défense. C’est vrai, elle était un peu rêveuse en cours et les exposés n’étaient pas trop son truc. Baba Yaga continua malgré le silence de Louise, tout en agitant son balai pour épousseter le tapis qui gigotait.
« Dans bien des contes on me représente laide et mangeuse d’enfants. Certes, j’ai un appétit d’ogresse, mais, de là à manger des humains ! Les terriens aiment les sorcières bien cruelles et sans cœur. Ortimer ! Arrête tout de suite tes grimaces. Je te préviens si tu continues tu n’auras pas ton camembert préféré ! »
« Attendez, hésita Louise, comment saviez-vous que madame Agay nous avait donné un sujet sur vous ? »
« Roo... laisse-moi raconter, j’y venais ! Oui je connais Vassilissa Agay, à qui j’ai donné mon nom. Je l’ai recueillie jadis alors qu’elle fut abandonnée. Dans un des contes, on raconte que celle-ci est venue me quémander du feu car ses sottes de sœurs ne voulaient pas se faire croquer par la vilaine sorcière des bois : Baba Yaga ! »
« Non, c’est pas juste ! se lamenta Tim, j’ai faim après un voyage de plus de deux heures ! »
« Ortimer ne commence pas à me couper la parole. Tu sais que j’ai le pouvoir de réduire en cendre tous ceux qui m’agacent. Il me semble que le tissu ça prend feu facilement, non ? Alors boucle-la ! »
Baba Yaga se dirigea vers un meuble qu’elle ouvrit. Elle en sortit une sorte de dossier. Elle le tendit à Louise.
« Tiens, j’ai rédigé ton boulot. Je l’ai même agrémenté de photos, anecdotes... Ton boulot sera parfait. Mais promets moi une chose... ne me maudis plus jamais ! »
Durant tout leur entretien, la vieille femme n’avait cessé de préparer à manger, de faire des pâtisseries, milkshakes, sans parler des rôtis, légumes, gâteaux, sablés, soupes... Elle invita Louise à prendre le repas avec elle. Elles discutèrent cordialement et Louise apprit mille et une choses sur la vie Baba Yaga. Des choses parfois très étonnantes comme par exemple :
« Mon code du ciel, je l’ai repassé trois fois car je grille toujours les feux rouges. »
Louise s’était vraiment goinfrée. Baba Yaga était vraiment bonne cuisinière. L’heure du retour avait sonné. Louise enlaça Baba Yaga pour ce bon moment passé avec elle.
« Reviens quand tu veux p’tite gourmande ! »
Puis elle chuchota dans les pompons de Tim :
« Je te laisse carte blanche, à toi les méga loopings mon vieux ! »
Effectivement, le retour fut rock’n roll et lorsque qu’il déposa Louise sur le bord de sa fenêtre celle-ci ne put se retenir de vomir.
« Désolépourlesmontagnesrussesmaistumeremercierasplustardtuverraslejourselèveàbientôt ! »
« Que je te remercie de m’avoir fait vomir ! Non mais tu plaisantes ! » articula Louise
Mais le tapis volant était déjà parti. Il l’avait fait exprès. Pourquoi ? Dans la minute qui suivit, quelqu’un frappa à sa porte. C’était sa mère qui venait la réveiller comme chaque matin. Non c’était déjà l’heure ?
« Oh ! Louise ça ne va pas mon poussin. Qu’est ce qu’il t’arrive ! Tu es tombée malade pendant la nuit ? En même temps, maugréa sa maman, tu dors la fenêtre ouverte...c’est normal tu as dû attraper froid. Bon, retourne au lit, j’appelle ton collège pour les prévenir que tu seras absente aujourd’hui. Quelle heure est-il ? Je ne vais pas les appeler trop tôt... »
Louise se réjouit.
« Yes ! Pas d’école aujourd’hui ! Merci Tim ! »
Elle s’empressa de se faufiler dans ses draps, savourant d’avance la bonne journée qu’elle allait passer. Pas de « trépanage » ni de stress. Louise ramassa le dossier que Baba Yaga lui avait donné. Demain elle le remettrait en mains propres à madame Agay.
Au loin, Louise crut entendre sa mère qui grognait puis celle-ci hurla :
« Louiiise ! ? Où est passée la pendule de la cuisine ? »