La forêt de Ginko

Océane COUCHEZ, en 3ème au collège Entre Deux Velles, Saone (25), classée 2ème de l’académie de Besançon

LA FORET DE GINKO

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »

Elle le regarda avec ses grands yeux tout ronds et bleus, comme le rêve que le chasseur de rêves en herbe avait attrapé auparavant, et cligna 3 fois des paupières, sans répondre.

« Tu connais bien ces toits ? Tu es là depuis longtemps ? Je ne t’ai jamais vue dans la région, avant ce soir » continua t-il

Elle ne l’avait pas quitté des yeux depuis la question précédente, ce qui mit Victor un peu mal à l’aise, et s’il n’avait pas été noir de peau, on l’aurait vu rougir.
Elle eut l’air de comprendre sa gêne, tourna la tête et reprit sa contemplation du ciel, où l’on pouvait observer des milliers et des milliers de rêves : des jaunes, des rouges, des verts, des roses, et même un couleur cannelle ! , traverser, puis de temps à autres, se faufiler à l’intérieur des maisons pour ravir les nuits de leurs habitants.
Victor constata que le jour était entrain d’éclore, et qu’il fallait donc penser à rentrer. Monsieur Paul ne supportait pas les retards...
Il partit en regardant une dernière fois la jeune étrangère, qui ne daigna même pas lui adresser un regard d’adieu.

 

Monsieur Paul l’attendait sur le pas de la porte, comme chaque matin. Il le regardait avec son regard sévère, comme chaque matin. Et il avait son éternelle tasse de chocolat viennois à la main, comme chaque matin.
« Belles prises, cette nuit, ptit gars ? »
« Un petit rêve bleu... mais rien de plus Monsieur... »
« Tu as eu une nuit entière de 10h, et toi tu ne ramènes qu’un petit rêve bleu ! Non mais dites-moi que je rêve ! » s’énerva Monsieur Paul

Victor baissa la tête, alla mettre sa prise dans le grand filet qui leur était réservé, et partit se coucher sans plus rien dire, dans son lit qui avait à la place de nos matelas ordinaires, un matelas remplit d’eau.
Victor ne ferma pas l’œil de la journée. Une image ne le quittait plus :
Deux grands yeux bleus tout ronds qui le fixaient, d’un air malicieux et mystérieux.
C’était décidé, la nuit suivante, il partirait à sa recherche.
Le jeune garçon se leva discrètement, sans prévenir Monsieur Paul qu’il partirait plus tôt que les autres nuits. Il enfila son uniforme bleu nuit, prit son filet à petites mailles, et à minuit tapante, il sortait enfin de la bulle géante qui leur servait d’abris.
C’était une belle nuit de printemps, comme il les aimait tant. Autrefois, il aimait sortir avec ses parents, s’allonger dans l’herbe fraîche entre les deux, et regarder les étoiles. Il se souvint qu’ils s’amusaient à découvrir toutes sortes de formes en reliant virtuellement les étoiles entre elles. C’est en pensant ainsi qu’il arriva à son but, mais tout de suite, il pressentit quelque chose d’étrange. Déjà, il se mit à pleuvoir, une de ses averses que personne ne peut prévoir, et qui s’arrête aussi vite qu’elle a commencé. Ensuite, les gouttes scintillèrent et s’allumèrent. C’était comme si les étoiles tombaient du ciel !
C’était magnifique.
Et puis, il sentit sa présence. Elle était là, près de lui, elle le regardait.
Elle était sublime. Sa peau était criblée de minuscules points qui brillaient dans la nuit noire. Ses cheveux qui se confondaient avec la couleur de la nuit, étaient reliés en une tresse épaisse. L’immensité de ses yeux bleus rappelait celle d’un océan.
Elle fixait toujours Victor, cette fois avec plus de dureté que la nuit précédente. Puis, elle se mit à courir vers lui, de plus en plus vite, et soudain l’étrange créature poussa un cri déchirant qui fit écho contre les murs, avant de se jeter contre lui. Le jeune homme eut juste le temps de se jeter sur le côté pour ne pas finir en bouillie. Il pleuvait toujours.

« Mais tu es folle !! Qu’est ce qu’il te prend ??? »

Elle grogna de rage, et se remit debout. Victor la regarda intensément, pour essayer de comprendre, de deviner ce qui la poussait à agir ainsi. Ils ne s’étaient rencontrés pour la première fois qu’hier et déjà, elle cherchait à le tuer. Un nouveau cri le fit sursauter, et il ne chercha plus à comprendre davantage. Il courut, et se dit qu’il devait connaître les toits mieux que son adversaire, qu’il aurait donc l’avantage du terrain. Il sautait, de cheminées en cheminées, passait sous les antennes de télévision, bondissait de toit en toit, mais impossible de semer cet incroyable personnage. Il arrivait à la limite des toits, là où commence la forêt de Ginko biloba, quand ce qu’il vit devant lui le fit s’arrêter net et il écarquilla les yeux : chaque feuille de Ginko était illuminée en rose pâle, ou bien en blanc éclatant. Victor savait qu’elle allait arriver, mais il n’avait jamais contemplé quelque chose d’aussi beau de sa vie, et il lui était impossible de faire un pas de plus.
Il la vit s’avancer à côté de lui, doucement, sans brutalité apparente. Elle avança ses doigts vers la cheminée qui se trouvait tout près d’eux et écrit quelque chose. Victor dû faire un effort surhumain pour se détacher de cette vision qu’il croyait encore irréelle. « Bo nespa ? » lut-il dans le restant de cendre de la journée, qui s’était déposé sur le haut de la cheminée.

« C’est... incroyable. Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire ce que je vois là. » répondit-il

Elle sourit de toutes ses dents, fière d’elle.

« Mais, vas-tu m’expliquer pourquoi tu t’es comportée ainsi tout à l’heure ?! » demanda t-il en durcissant sa voix et en la regardant

Son sourire s’effaça bientôt et elle cligna 2 fois des paupières.

« Et puis, je ne sais même pas ton prénom ! Ni ce que tu fais ici, et ni ce que toutes ces lumières signifient ?! Et puis, parle à la fin, je ne vais pas te manger ! » s’énerva t-il

Elle prit peur et se décolla de lui pour reculer et se blottir contre une fenêtre en chien de fusil. Puis elle écrit « Toi pas crié ! ». « Excuse-moi » rédigea t-il à son tour, « mais explique moi ». « Moi pa savoir parlé ». Victor releva les yeux pour la regarder, très surprit. « Moi appeler Neriti et parler paupières ».

 

Victor apprit à parler avec Neriti, à la comprendre, en très peu de temps. Le garçon était très assidu à ce travail, et oubliait peu à peu de remplir ses obligations auprès de Monsieur Paul. Il retrouvait Neriti tous les soirs, dans un Ginko, et depuis qu’elle était présente dans le pays, la forêt restait continuellement en mouvement, comme si les arbres communiquaient entre eux, et chaque soir, ils s’allumaient, comme pour souhaiter la bienvenue au jeune homme. Elle lui enseigna les significations de ses battements de paupière, la partie essentielle pour comprendre son histoire. Victor sut donc que deux battements brefs signifiaient à l’interlocuteur de se calmer, de parler moins fort. Trois battements plus longs signifiaient le sommeil. Un seul, au contraire, signifiait la bonne humeur, l’envie de bouger. Et de fil en aiguille, il apprit donc bientôt plus de deux mille expressions différentes, qu’il notait dans un carnet, avec de l’encre bleue turquoise.
Un soir, alors que la forêt venait de s’illuminer, Neriti prit la décision de raconter son histoire à Victor.
Elle était née dans un pays du nom de Judaijh, et avait grandi au milieu des siens. Son peuple était de nature petite, et tous avait la peau d’une couleur qui se rapprochait de celle de la cannelle. Ils parlaient, et écrivaient comme des humains, mais Neriti était analphabète, et muette et que à cause ou grâce à cela, son ouïe était très développée. Elle avait cependant apprit à écrire les lettres avec son grand père, et savait reproduire les sons qu’elle entendait, avec des mots bien à elle, mais on arrivait toujours à la comprendre lorsqu’elle écrivait. Et puis, un jour, on la chargea de se rendre et de s’installer dans la forêt de Ginko, pour la sauvegarde de leur peuple. Elle devait trouver quelqu’un avec qui s’accoupler, fonder une famille, et implanter de nouveau leur peuple, en voie de disparition, quelque part sur le continent. La forêt de Ginko était l’endroit rêvé. Des générations entières comptaient sur elle pour assurer la survie de leur espèce.
Victor la regardait battre des paupières à toute vitesse, essayait de suivre, et si de temps en temps, il ne comprenait pas, il l’interrompait et Neriti lui écrivait le mot en question sur son carnet.
Neriti s’arrêta de cligner des yeux, et inspira un grand coup. Victor fronça les sourcils : Elle allait lui avouer quelque chose de plus important encore, et il avait peur de se douter de ce dont il s’agissait. La jeune étrangère reprit sa valse des paupières pendant un quart d’heure environ, et ce que le jeune homme déchiffra lui fit un peu peur : Neriti désirait que ce soit lui son « accoupleur », qu’il était parfait pour elle, et pour la survie du peuple de Judaijh, et que de part sa peau noire, leur couleur si particulière ne serait pas perdue, juste modifiée, s’ils s’accouplaient.
Victor se leva pour protester, trop vite, trébucha sur une branche et tomba en bas de l’arbre. Il arriva lourdement sur le dos. Il gémit, tourna la tête et vit une sorte de grenouille à griffe. « Bip. Bip. Bipbip. Bipbip. Biiiiiiip. » Victor sursauta. Etait-ce la grenouille ?

 

Bip. Bip. Bipbip. Bipbip. Biiiiiiiip.

« Appelez le Docteur Paul !!! On le perd ! Sa tension chute ! »
« C’est bon Marie, je suis là. On charge les défibrillateurs à 300. Ok. 1, 2, 3, lâchez ! »

Le corps de Victor sursauta, et son cœur repartit. Il s’était réveillé. Voilà 3 mois, depuis la mort de ses parents, qu’il était dans le coma.
On le mit sous aide respiratoire.

« Victor, tu m’entends ? Si oui, presse mon doigt. »

Victor ne pressa pas le doigt du médecin.

« Marie, faites transférer le chasseur de rennes dans une autre chambre, le petit a besoin de calme. »
« Bien docteur. Allez Henri, si vous voulez aller chasser vos rennes bientôt, il faut que vous veniez dans une autre chambre. Et allez-y avec élan ! » plaisanta l’infirmière avec le voisin de chambre de Victor

Victor était maintenant seul avec le médecin. Le Docteur Paul renouvela sa précédente question. Le jeune garçon ne réagit toujours pas.
Il cligna simplement trois fois des paupières, et mourut, lentement, doucement, sans que personne ne puisse plus rien faire.
Sa dernière pensée fut qu’il ne saurait jamais pourquoi Neriti avait essayé de le tuer, cette belle nuit de printemps.

Enfin, peut-être jamais. Qui sait… ?