La part des ombres (incipit 1)

écrit par Manuel KERDRAON, en 5ème au Collège Gaston Serpette à Nantes (44)

Il me prit la main et m’entraîna parmi les loups.

Sans savoir pourquoi, ce mystérieux inconnu me plaisait ; j’avais donc décidé de le suivre. Mon compagnon d’un soir disait avoir plusieurs noms mais celui qu’il préférait se trouvait être « Pan ». Il estimait qu’un prénom issu de la mythologie lui conférait un sentiment de puissance. Tout en parlant, nous continuions à traverser la meute des loups. De loin, on aurait l’impression d’une marée grise et silencieuse. Pendant quelques secondes, nous nous tûmes. Seul le bruit de nos pas troublait le silence inquiétant de la grande salle. Passant devant un gigantesque miroir, j’y vis une jeune fille aux cheveux châtains foncés vêtue d’une robe à sequins. Observant mon reflet, je ne me rendis pas compte que les loups se resserraient autour de nous.

Je commençais à avoir peur de ce silence et des regards qu’ils nous adressaient. Lorsque l’un d’eux poussa un hurlement aussitôt repris par les autres, Pan m’entraîna à toute vitesse en direction d’un miroir d’émeraude. Sans hésitation, il sauta dans ce dernier et en un éclair, nous nous retrouvâmes dans une grande salle très colorée, bien plus accueillante que la précédente. Je n’avais pas rêvé ! Nous venions de traverser un miroir !! La sensation que j’avais éprouvée pendant ce court instant me rappelait un voyage en pleine tempête. Après avoir repris mes esprits, je me levai et observai la pièce sous toutes ses coutures. Des tapisseries recouvraient tous les murs, et un gigantesque lustre en verre éclairait à lui seul toute la pièce. Je m’y sentis tout de suite plus en sécurité.

Plus d’une centaine de convives riaient, buvaient et discutaient. Les odeurs de vieux parfums moyenâgeux se mêlaient aux effluves des eaux de toilettes des ladies du XXème siècle. Quand « le Beau Danube Bleu » de Johann Strauss retentit, Pan m’entraîna dans une valse folle, où toutes les époques se réunissaient pour un ballet digne des plus grands. Pendant que nous dansions, je crus apercevoir une des plus grandes reines françaises : Marie-Antoinette, sa coiffure folle et sa robe à froufrou. L’air terminé, mon prince charmant fouilla dans sa poche, pour en sortir un minuscule miroir de cristal. Il plongea la main dedans, et en ressortit un paquet enrubanné de taille moyenne, qu’il me tendit. Emerveillée et confuse, je bafouillai un remerciement puis, ouvris son présent. Je ne puis décrire la beauté du masque qui se trouvait dans l’emballage. Il avait une forme de papillon et était brodé de soie et de pierres précieuses. Sur ses côtés, de jolies roses en papier lui donnaient un air très élégant et embaumaient l’air d’un parfum d’amour.

« – Il te plaît ?? », me demanda Pan.

« – Bien sûr, c’est le plus beau masque que je n’ai jamais vu ! »

« – Maintenant, mets-le et suis-moi. »

Il avait parlé d’un ton si autoritaire que j’obtempérai immédiatement. Sans prévenir, il m’agrippa le bras, prit de la vitesse, et sauta dans le premier miroir qui s’offrit à son regard. Nous nous retrouvâmes dans un sombre recoin de la cour du château. Sans me laisser de répit, Pan m’attira à lui et chuchota à mon oreille, d’un air conspirateur qui ne me laissa pas de marbre.

« – Europe, il se trame quelque chose de louche. »

Dès qu’il prononça ces mots, des tas de questions sans réponses se bousculaient dans ma tête.

« – Ce soir, à minuit, des explosifs placés dans tous les couloirs du château vont faire exploser chacun d’entre eux, enfermant ainsi, et à jamais, les invités dans un des innombrables couloirs du temps. Il faut que tu m’aides car, parmi ces convives, se trouvent les personnages les plus importants de l’Histoire !! Leur perte serait fatale à l’humanité !!

– Moi ?!

– Oui, toi !! Le masque que je t’ai offert te protègera. Maintenant, prends ma main et ne la lâche surtout pas. »

Sans hésiter, je m’empressai de faire ce qu’il me demandait, car Pan avait vraiment l’air convaincu que je pouvais l’aider. Il sauta dans le miroir de verre par lequel nous étions entrés. J’étais persuadée que nous aurions atterri dans la salle « patchwork », comme je l’appelais. Mais, quand à l’arrivée, j’ouvris les yeux, nous nous retrouvâmes dans une pièce sombre. Seule une lumière bleue métallique provenant d’une fenêtre l’éclairait. Pan m’expliqua ce qu’il comptait faire pour sauver les invités :

« – Dans la tour la plus haute du château, il y a un poste de commandement. Là se trouvent les deux hommes à l’origine de ce complot. Pour l’instant, il n’y en a qu’un. L’autre le rejoindra vers vingt-trois heures. Il faut à tout prix que nous arrivions avant lui. Nous avons trois heures devant nous. Pour commenc… »

« – Pardon, je t’interromps, mais comment sais-tu tout cela ?? » Quand je lui posais la question, un éclat d’amusement passa furtivement dans ses yeux vairons.

« – J’ai mes sources », fut sa mystérieuse réponse.

« – Comme je le disais il y a quelques instants », reprit-il, « il nous faut tout d’abord trouver un miroir capable de nous transporter jusque dans la tour. »

« – Mais, tout à l’heure, nous étions dans une pièce joyeuse et colorée. Et lorsque l’on reprend le même miroir, nous arrivons dans une pièce si peu accueillante qu’on dirait une cellule !! »

« – Cela est tout à fait normal. Toutes les cinq minutes, la destination des miroirs change. Je possède une carte fantastique, qui suit les changements de trajet. Malheureusement, elle n’indique pas l’emplacement de la tour. »

Sur ces mots, il la déplia, l’offrant ainsi à mon regard. Elle paraissait banale, quoiqu’un peu vieille, parsemée de petits points rouges, et de trajets de la même couleur. Tout à coup, toutes les petites formes s’effacèrent. Quelques secondes après, d’autres les remplacèrent.

« – Impressionnant !! Merci de m’avoir expliqué. »

« – C’est mon devoir d’aider les jeunes demoiselles, n’est-ce pas ? »

Un étrange sourire s’afficha sur son visage quand il prononça ces paroles.

« – Si j’ai bien compris, il faut trouver un miroir dont la destination est la tour. C’est ça ? »

« – Tout à fait, ma chère. Sur ce, nous devons partir immédiatement. »

Il me prit la main et m’entraîna dans le seul miroir de la pièce, taillé dans le cristal. Immédiatement, nous nous retrouvâmes dans une sorte de salon de thé, du style victorien. Là, plusieurs personnes prenaient une petite collation sur des tables assez espacées les unes des autres. Je remarquai (entre autres) les généraux De Gaulle et Lafayette ainsi que Margaret Thatcher, en grande conversation avec la reine Elisabeth II. Continuant notre visite, nous marchâmes, jusqu’à arriver dans une salle un peu à l’écart, où trois dames assez âgées étaient en grande discussion :

« – Vous n’auriez pas dû tuer ce charmant jeune homme, Euryale !! », sermonna l’une d’elles en croquant dans un muffin.

« – Désolé si cela vous a rendu triste, ma chère Sthéno ; mais il m’avait importuné en me faisant des avances », lui répliqua la deuxième, tout de noire vêtue.

« – Arrêtez de vous disputer, mes chères sœurs. Vos querelles troublent ma méditation », coassa la dernière d’une voix rauque.

Sans faire attention, je laissai échapper un petit cri. A l’unisson, les trois sœurs qui jusque là, étaient de dos, se retournèrent. Quand je vis leurs visages, je poussai un hurlement à faire trembler la terre. Les trois Gorgones se tenaient devant moi !! Pan, toujours aussi rapide, me saisit l’avant-bras et bondit dans le miroir par lequel nous étions arrivés. D’un coup, l’ambiance se réchauffa, nous étions retournés dans la salle « patchwork ». Durant quelques secondes, je repris mon souffle. Je n’étais pas encore remise de mes aventures, quand une grosse horloge en verre, rouge et or, de forme ronde, sonna vingt-deux heures.

« – Impossible !!, m’exclamai-je. Il y a quelques minutes, il était encore vingt heures !! »

Pan, qui avait décidemment réponse à tout, m’expliqua que dans la salle des Gorgones, une minute donnait une heure dans les autres salles. Puis il m’annonça que nous n’allions pas pouvoir nous reposer.

« – Nous avons un complot à déjouer !! En avant !! »

Ses paroles eurent sur moi un effet euphorique, comme si ce que nous faisions n’était pas dangereux. Sans hésiter, je le suivis dans une course folle à travers les miroirs. Salle après salle, nous cherchâmes la fameuse tour, quand nous fûmes témoin d’une scène terrible. Un jeune homme se faisait lyncher par une dizaine de garçons de son âge.

« – C’est horrible !! », m’écriai-je. « Le pauvre !! »

Pan me répondit d’une voix ferme et d’un ton tranchant qu’il l’avait sûrement mérité, quand une lueur passa dans ses yeux, le ramenant mystérieusement à la réalité : « qu’est-ce que je raconte moi ?! ».Je l’entraînai vers le miroir le plus proche tout en réfléchissant à son comportement plus qu’étrange… Nous avions traversé plus d’une cinquantaine de miroirs, quand nous débarquâmes dans une grande salle circulaire. Seul un imposant escalier en marbre, recouvert d’un tissu noir trônait en son centre.

« – Je crois bien que nous y sommes », déclara Pan d’une voix grave

Puis, sans m’attendre, il commença à monter les escaliers, marche après marche. Résolument, je le suivis. Notre ascension dura plus de cinq minutes. Quand enfin, j’arrivai tout en haut, je m’assis sur la dernière marche et contemplai la pièce très sombre. Soudain, elle s’éclaira d’un coup. Un homme, la réplique exacte de Pan se tenait sur un fauteuil Louis XVI !!! Dans le creux de sa main, se trouvait une télécommande avec un petit bouton rouge en son centre.

« Pan, tu es en retard, il est vingt-trois heures cinq. Mais, tu as amené quelqu’un ! Dis-moi petite, es-tu venue assister au spectacle de la fin de l’humanité ?? »

Ces paroles prononcées sur un ton sardonique, allaient parfaitement avec l’homme qui les formulaient. Assez beau, un sourire narquois, il me toisa.

Terrorisée mais furieuse, je lançai un regard assassin à Pan. Sans réfléchir, je bondis pour saisir la télécommande. Le mystérieux inconnu fut plus rapide que moi et la lança à Pan. Ce dernier la rattrapa habilement au vol et, en me regardant froidement dans les yeux, appuya sur le bouton…