La seconde chance

Écrit par MASNIN Elise (2nde, Lycée Chanzy de Charleville), sujet 2. Publié en l’état.

« - Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous »

Je m’appelle Réza, j’ai 21 ans,je suis d’origine afghane, je suis orphelin, enfin je ne le suis plus tout à fait aujourd’hui. Mon père biologique a été tué par les talibans alors le reste de ma famille a fui l’Afghanistan pour l’Iran où ma mère a succombé au paludisme. Mon oncle a essayé tant bien que mal de m’élever mais, c’est avec ma petite sœur Leila, que je suis parti pour l’Angleterre, là où tout semblait possible….mon Eldorado en quelque sorte.

Mon périple s’est interrompu en France, précisément à Calais, où nous avons été entassés dans « La Jungle » qui est un passage quasi obligatoire pour avoir une chance d’arriver un jour en Angleterre. Les conditions y étaient insalubres, les plus faibles mouraient d’infections, de malnutrition ou encore succombaient aux blessures survenues lors de combats pour de la nourriture ou lors de poursuites avec les forces de l’ordre ou même avec des civiles.

J’ai passé quatre mois à veiller sur Leila qui devenait plus faible de jour en jour, j’essayais de lui redonner foi et lui disais que tout irait mieux dans quelques jours mais moi-même je n’y croyais plus vraiment. C’est au mois de novembre, que victime d’une péritonite, Leila m’a laissé seul face à mon destin, qui devait pourtant également être le sien. Je n’avais pas les moyens de la faire soigner. J’étais déçu de moi-même de ne pas avoir tenu la promesse faîte à mes parents de veiller sur elle. Je n’ai pas pleuré ce jour-là ni les jours qui ont suivi. L’errance et la faim m’avaient rendu insensible, je n’étais plus moi-même. Ma sœur n’était à ce moment là, qu’une bouche de moins à nourrir, une chance de plus pour moi de survivre.

Deux semaines plus tard, c’est abattu et poussé par le désespoir que je me laissais effleurer par les véhicules circulant sur l’autoroute dans le but d’en finir avec la vie, mais même la mort ne voulait pas de moi ! Je marchais assourdi par les klaxons incessants des voitures, je marchais vers le Nord, vers l’Angleterre.

Je suis arrivé enfin sur une aire d’autoroute où étaient stationnés de nombreux camions. Des routiers s’empiffraient de hamburgers sur une table de l’aire d’autoroute. J’avais peur qu’ils me frappent, qu’ils me tuent mais je voulais fuir à tout prix. J’ai repéré un camion qui transportait des bananes Cavendish. C’était une aubaine pour moi de me remplir le ventre tout en voyageant. Je me suis faufilé derrière le camion puis j’ai essayé d’en forcer la porte. Un bruit assourdissant de tôle s’en est échappé et les routiers ont cessé de parler. J’étais tétanisé et n’osais plus bouger. J’ai entendu des pas faisant crisser le gravier venant dans ma direction. Je me suis suspendu au châssis sous le camion, juste au dessus du sol. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que le routier était bien plus près que je ne le croyais. Mon cœur battait la chamade et ma gorge s’est nouée. Il a fait le tour du camion lentement puis s’est éloigné.

Je me suis laissé tomber sur le sol puis ai commencé à ramper vers l’arrière du camion. La sensation d’être observé m’a gagné soudainement. L’homme se tenait juste devant moi et déchargeait un carton de bananes afin de le vendre au petit point de restauration de l’aire. Il s’est éloigné de quelques mètres et j’en ai profité pour m’introduire dans le camion, vider un carton de ses bananes et me glisser dedans. Les minutes m’ont paru des heures avant que le camion ne démarre. Soudain l’une de ses portes s’est claquée dans un bruit sourd, le moteur a grondé et enfin nous avons commencé à avancer. Le voyage m’a paru très court car j’en ai profité pour me gaver de bananes. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas mangé !

Enfin, le camion s’est immobilisé ; je me suis rendu compte qu’à n’importe quel moment le routier pouvait vérifier sa cargaison alors je me suis glissé de nouveau dans mon carton. Nous nous trouvions sûrement à l’entrée du tunnel sous la Manche. Le routier a ouvert en effet les portes arrières sûrement accompagné de deux contrôleurs anglais. Ils ont ouvert plusieurs cartons près du mien mais heureusement pour moi, l’un des camions contrôlés sur notre terminal transportait une dizaine de migrants. « Mes contrôleurs » ont été appelés en renfort pour maîtriser ces hôtes indésirables. Ils ont refermé les portes vivement afin de pouvoir aider leurs collègues. Quelques minutes plus tard, le train du Shuttle me conduisait vers le pays de tous mes espoirs ...

C’est au cœur de Bolton, petite ville près de Manchester que je me suis réveillé après une courte sieste. Le routier a déchargé les cartons un à un. Sans réfléchir, je me suis extirpé rapidement de mon carton et ai commencé à courir ébloui par la lumière du jour. Le routier a poussé un hurlement de rage qui a fait sursauter tous les gens qui déjeunaient à la terrasse d’un restaurant. J’ai continué à courir pendant au moins un quart d’heure de peur que le routier ou des policiers ne m’aient poursuivi. Puis je me suis cherché un endroit calme où pouvoir faire la manche.

Les jours ont passé lentement, j’ai erré dans les rues, j’ai volé les étalages de fruits et de légumes. Les clochards me chassaient et ont essayé parfois de me tuer lorsque je m’approchais d’une zone où il était plus facile de gagner de l’argent. Un jour où je m’étais assoupi sous le porche d’une maison mitoyenne, quelqu’un m’a attrapé par la gorge et a commencé à m’étrangler. Immédiatement, j’ai ouvert les yeux et ai reconnu le routier. Il a certainement voulu se venger de moi. Je n’avais même pas treize ans et n’ai pas pu lutter contre cet homme musclé. J’ai décidé alors de me laisser couler à terre dans le but qu’il me croie mort. Très vite il m’a laissé glisser à terre puis m’a roué de coups de pieds. Lorsqu’il est enfin parti, j’étais très mal en point jusqu’à ce qu’un homme me portât sur ses épaules. La douleur m’a gagné tellement que je me suis évanoui.

Je me suis réveillé dans ce qui me semblait être un hôpital comme ceux que j’avais connus en Afghanistan ; j’étais en fait dans un hangar aménagé pour accueillir les migrants. Une infirmière désagréable m’a balbutié quelques mots incompréhensibles en me tirant du lit. Soudain j’ai aperçu un homme dressé devant moi l’air inquiet. Il avait été appelé pour traduire ma langue car il avait passé plusieurs années en Afghanistan dans le cadre d’un doctorat de géologie. Il s’appelait James Mistiaen, il avait 62 ans et n’avait ni femme ni enfant. Il venait au début deux ou trois fois par semaine pour m’apprendre l’anglais puis au fur et à mesure est venu tous les jours. J’étais un élève brillant d’après lui. Afin de pouvoir mieux me suivre scolairement, James a demandé ma tutelle dans un premier temps. Progressivement nous nous sommes pris d’affection mutuellement et c’est ainsi que je suis devenu son fils adoptif. Parallèlement, il a très vite répondu à ma soif d’apprendre en m’inscrivant dans une école multiculturelle de Manchester où, de jour en jour , j’ai fait énormément de progrès.

Quelques années plus tard, j’ai acquis la maîtrise de la langue et les codes socioculturels de l’Angleterre. Grâce à James qui m’a poussé à aller toujours plus loin intellectuellement ainsi qu’à l’obtention d’une bourse d’études, j’ai pu poursuivre mes études à l’université de Manchester en Sciences Politiques.
Je suis actuellement en dernière année de Sciences Politiques à l’université de Manchester et rêve de travailler pour les Nations Unies ou pour le Parlement britannique, avant de repartir chez moi en Afghanistan dont j’espère devenir le président.

D’après une histoire vraie.