La vague

Il se met à courir.
Il ne se rend pas compte immédiatement de l’endroit où il court, hier encore l’eau couvrait cette partie de sable. Il n’avait pas plu depuis des mois, et le niveau de la mer baissait visiblement chaque jour, les pécheurs ne parvenaient plus à nourrir le village et les réserves d’eau arrivaient à épuisement.
Il s’empresse d’aller trouver son père près de la rive, là où il laisse son bateau chaque soir avant la pêche du lendemain. Il ne trouve personne, le bateau est là, échoué sur le flan après que la mer se soit retirée. L’île est déserte, comme si tout le monde avait fui, l’abandonnant. Cette idée le fit tressaillir. Il la chassa de son esprit et se remis en marche. D’un pas rapide il gagne le hangar de son père mais n’y ne trouve personne. Tout est disposé comme la veille. Il appelle son père, le silence demeure, seule sa voix lui revient en écho. Il ne comprend pas. Soudain le vent se lève au dehors, Junid entend les feuilles s’agiter il sort et constate qu’un voile gris masque le ciel, comme si une tempête allait s’abattre sur la petite île. Il sent la peur monter en lui, il ne parvient plus à garder son calme. Il reprend sa course et se dirige vers le village voisin, celui de son grand-père. Il sait qu’il saura lui dire ce qui se passe et le rassurer.
Les pieds du jeune homme martèlent le sol dur de plus en plus violemment. L’effort se mêlant à la panique le font hoqueter, le silence et l’absence autour de lui, lui sont insupportables. Il passe entres les arbres quand soudain, son pied est retenu par une racine sortant de terre. Junid s’écroule. Sous le choc, il reste pendant quelques instants étendus sur le sol. Quand il trouve la force de se redresser, il s’adosse contre l’arbre, sa vision est brouillée et il perçoit comme un bourdonnement dans ses oreilles. Il lui faut un court instant pour reprendre ses esprits. Sa vue revient rapidement mais le bruit sourd dans sa tête ne disparaît pas et semble même s’amplifier. Il se redresse d’un bond et poursuit sa route vers le village. Mais le bruit continue de cogner dans sa tête et est de plus en plus fort. Soudain Junid réalise que le bruit ne provient pas de son imagination mais que celui-ci est bien réel alors il cherche à fuir cet horrible son qui torture ses oreilles. Il se remet en route. Le chemin lui semble interminable, tous les arbres se ressemblent il en vient même à se demander s’il ne se trompe pas de chemin. Quand enfin il aperçoit des habitations au loin. Il se sent apaisé. Il chercher frénétiquement la maison de son grand-père et ouvre avec entrain la petite porte en bois. Une dizaine de personnes sont là, réfugiées, le visage empreint de fatigue et de tristesse. Au milieu de la pièce se trouve le grand père de Junid, le chef du village. Quand il le vit, il se précipitât vers lui et l’étreignit en disant : « où était tu ? Nous avons cru qu’ils t’avaient fait du mal à toi aussi. »
Junid ne compris pas. Plusieurs éléments dans la phrase de son grand-père l’interpellaient. Que ce passait il ? pourquoi ces gens s’étaient-ils réfugiés ici, pour une simple tempête pensait Junid en repensant au ciel chargé.
« Que se passe-t-il ? » interroge Junid.
Le grand père baissa la tête et se mit à expliquer que des années auparavant, avant même que Junid ne vienne au monde, des hommes étaient venus lui proposer de transformer l’île en station balnéaire pour accueillir toujours plus de nouveaux touristes vite lassés des paysages qu’ils avaient déjà consommés. Ils expliquaient qu’ils pourraient moderniser l’île et faire venir des voyageurs de monde entier. Cela apporterait du travail au habitants, ils affirmaient que les temps avaient changés et que la petite île était désuète. Pourtant, durant toutes ces années, le grand père de Junid s’était opposé à tous ces projets, soucieux de préserver son île et sa beauté naturelle. Il savait qu’en acceptant, l’identité des siens serait détruite, la végétation rasée et les habitants, chassés ou obligés de travailler pour des investisseurs qui ne les payeraient que quelques sous. Mais l’isolement eut raison de lui. La petite île ne pouvait plus subvenir à ses besoins, la végétation ne donnait plus que très peu de fruits et les différents animaux qui la peuplaient disparaissaient, l’océan s’asséchait, ne laissant que des déserts immenses.

Junid était déconcerté. Jamais il n’aurait imaginé cela, mais un autre détail le dérangeait. Pourquoi son grand-père avait-il ajouté « à toi aussi ? »
Celui-ci du s’asseoir pour lui annoncer la nouvelle. Il lui expliqua qu’il avait fait part à quelques personnes de cette menace afin de leur demander conseil. Un groupe de résistants s’était vite créé pour trouver des solutions et empêcher la réalisation de ce projet désastreux et préserver l’île. Puis l’ancien cessa de parler, incapable de poursuivre. Junid ne réalisa pas tout de suite qui étaient ces héros qui se battaient en secret pour la survie de son monde. Puis une vague de chagrin le submergea et il comprit. Il revoyait son père partir tard le soir, sans jamais dire où il allait. Tout prenait un sens maintenant.

Tout à coup, le sol se mit à trembler et un bruit perçant vint troubler le silence. Puis des cris, des cris de peur, d’affolement.
Junid s’empresse de sortir de la maison et se précipite vers la plage. Il reste figé en découvrant une armée de monstres d’acier et de fer se précipiter sur lui. Le vent souffle de plus en plus fort dans les feuillages, le ciel est de plus en plus noir tandis qu’une fine pluie commence à tomber. Mais il reste fixe, incapable de bouger. Les monstres de fer se mettent à couper les arbres qui s’abattent sur le sol dans des craquements assourdissants. Junid ressent la douleur de la nature qu’on martyrise comme si l’île faisait partie de lui. Bientôt les machines gagnent le petit village du grand père et rasent à coup de bulldozer les petites habitations. Les récoles et les débris volent de tous les côtés. Les hommes de la grande ville n’avaient pas pu acheter ce qu’ils voulaient, alors ils le prenaient par la force. Sans aucune pitié, ils massacraient le petit village. Les habitants chassés, sortent précipitamment de leurs abris, dans une course désordonnée. Impuissant devant ce massacre, Junid pousse un hurlement dans lequel on pouvait ressentir toute la souffrance et la tristesse qui le ravageait en assistant à cet horrible spectacle. Les responsables de ce massacre, ne voyaient pas les conséquences de cette violence. Pourquoi voulaient-ils tout posséder ? Pourquoi avaient-ils essayé de dompter les forces de la nature, de l’abîmer, de la détruire ? Il se laisse tomber à terre et des larmes coulent sur ses joues. Ces hommes étaient sans cœur, incapables de se contenter de tout ce que leur offrait déjà la nature, prêts à tout pour satisfaire leur inépuisable soif de pouvoir. Plus Junid pleurait, plus la pluie tombait avec force. Le vent faisait plier les derniers arbres encore debout. Des éclairs fendaient le ciel. La pluie était torrentielle, on ne voyait plus rien. Les hommes descendent alors des camions, impossible pour eux de continuer à travailler. Dans le même temps, les habitants de l’île se regroupent, leur chagrin chassé par la fureur. Ils se mettent à courir vers l’ennemi et poussés par la rage, entament une bataille sanglante. Tous les animaux qui avaient fui sur les hauteurs déferlent eux aussi des collines alentours, solidaires des habitants de cette terre, comme eux, depuis tant d’années les villageois n’en croyaient pas leurs yeux.
Quand petit à petit, les animaux se figèrent, les combats cessèrent.
La mer revenait déjà au loin, sous l’effet des pluies diluviennes.
Le vent formait des vagues de plus en plus hautes, véritables murs d’eau à mesure qu’elles approchaient du rivage.
Les animaux avaient senti ce qu’il allait se produire car à la différence de l’homme, ils savaient écouter la nature, ils la comprenaient et n’avaient jamais cherché à la dominer ou la détruire. Ils avaient tenté de la protéger contre les hommes, les seules bêtes sauvages de ce monde.
L’ultime vague, recouvrit l’île tel un linceul.