Le Monde Invisible

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. Alors que ses pas la conduisaient vers l’objet de son intérêt, son instinct lui souffla de faire demi-tour tandis qu’un frisson parcouru son échine. Elle décida d’ignorer les signaux que lui envoyaient son corps et son inconscient et poursuivi son avancée.

Lorsqu’il ne lui resta plus que quelques mètres à parcourir, elle accéléra soudainement à avant de se laisser tomber à genoux aux côtés de la forme inerte. Il s’agissait bien d’un corps échoué. Un corps de femme vêtu de haillons, qu’elle avait confondu avec des algues. L’angoisse prit possession de son corps alors qu’elle tentait de réanimer l’inconnue à ses pieds. Malgré ses tentatives désespérées, Lise ne parvenait pas à la réveiller. Elle se saisit alors de son téléphone afin d’appeler les secours, mais tout espoir la quitta lorsqu’elle se rendit compte qu’il n’y avait pas de réseau.

Lise se leva rapidement, déterminée à trouver de l’aide. Mais, alors qu’elle s’apprêtait à revenir sur ses pas afin de se rendre à sa voiture, elle sursauta violemment en sentant une main s’agripper à son poignet droit, si fort qu’elle sut sans regarder que ce contact lui laisserait une marque pendant plusieurs jours. Elle se retourna et baissa les yeux vers l’inconnue toujours allongée à ses pieds. Elle fut alors frappée par la beauté de la jeune femme, et lorsque le regard sombre de Lise plongea dans les iris dorées de l’inconnue, elle sentit son corps se réchauffer de l’intérieur, comme si ce simple contact visuel avait le pouvoir de lui apporter tout le réconfort dont elle avait besoin après ces longues minutes d’angoisse, et ce malgré les larges cernes qui ornaient le visage de la jeune femme étendue sur le sol.
Lise était si captivée par ses yeux d’or qu’elle mit un certain temps à s’apercevoir que la tempête avait cessé, remplacée par douce brise. Lorsqu’elle prit conscience du changement d’atmosphère autour d’elle, elle rompit brutalement le contact visuel avec l’inconnue et se sentit envahie d’un sentiment étrange, comme si le réconfort qu’elle avait éprouvé quelques secondes auparavant était en réalité négatif. Alors qu’elle se laissait consumer par ses doutes et les angoisses que ces derniers réveillaient, Lise prit soin d’afficher une expression neutre en aidant l’inconnue à se relever avant de lui passer sa veste sur les épaules. Cette dernière la remercia chaleureusement, mais cela lui parut également faux sans qu’elle ne sache réellement pourquoi.

Une fois sûre que la jeune femme pourrait tenir seule quelques minutes, Lise lui expliqua son intention de s’éloigner afin de pouvoir appeler les secours. Mais à peine eût-elle fini sa phrase que la légère brise fut remplacée par un vent violent et glacial. Lise sentit la panique la gagner de nouveau, mais ce n’était rien face à l’émotion qui la gagna lorsqu’elle plongea de nouveau ses pupilles dans celles de l’inconnue : bien qu’ils aient conservé leur magnifique teinte dorée, les yeux de cette dernière étaient voilés d’une nuance sombre que Lise interpréta comme de la colère. Un air mauvais sur son visage pourtant si doux quelques secondes plus tôt, la jeune inconnue s’approcha d’elle et la saisit de nouveau par le poignet droit, avec une force qui la fit grimacer. Lise tenta de se débattre, mais elle était trop faible face à la puissance de la femme pourtant si frêle qui se trouvait en face d’elle. Prise au piège, Lise n’eût pas d’autre choix que de suivre cette femme dont elle ne connaissait pas les intentions.

Cependant, son corps entier se mit en alerte quand elle comprit que sa ravisseuse la conduisait vers l’eau. La noyer. Elle allait la noyer. Le cœur de Lise se mit à battre jusque dans ses tempes, si fort qu’elle craignit qu’il ne s’arrête d’un coup. Mais ce ne fut pas le cas et, en quelques secondes qui lui parurent durer une éternité, son corps fut entièrement immergé et elle sentit l’oxygène quitter brusquement ses poumons. Elle se força tout de même à ouvrir les yeux, mais tout ce que ses yeux purent apercevoir fut le sourire machiavélique peint sur le visage de l’inconnue. Lise se concentra afin de ne pas se laisser gagner par la panique et, ainsi, économiser le peu d’air qu’il lui restait. Mais comment la jeune femme pouvait-elle être si détendue alors qu’elle avait la tête sous l’eau elle aussi ? La réponse lui sauta aux yeux lorsque son regard se posa sur les jambes de cette dernière, où plutôt là où ses jambes étaient censées se trouver. Mai une longue queue de poisson aux écailles dorées avait pris leur place. Lise ne put alors empêcher l’effroi de l’envahir et elle se débattit de plus belle.

Au bout d’un instant qui lui parut durer des heures, elle commença à fatiguer et, l’oxygène venant à lui manquer, elle se sentit partir. Mais alors que Lise était prête à s’abandonner au doux appel du sommeil éternel, une lumière apparut devant ses yeux. Elle crut d’abord à une hallucination, mais la peur qui se peignit sur le visage de la sirène alors que la lueur bleutée se mouvait dans l’eau agit comme un électrochoc sur le corps de Lise qui puisa dans ses dernières forces afin d’essayer une dernière fois de se libérer de l’emprise de sa ravisseuse. Elle y parvint miraculeusement, ce qui entraîna une nouvelle vague de fureur dans les iris dorées de la créature, qui tenta de l’attraper à nouveau. Mais la lueur grossit à vue d’œil et, bientôt, Lise fut complètement enveloppée d’une douce aura azur. Elle fut alors emportée vers la surface et, bien que soulagée de remarquer que la sirène ne la suivait pas, elle ne put s’empêcher d’appréhender ce qui l’attendait.

Toute trace d’inquiétude la quitta lorsqu’elle atteint la rive : une créature à la peau du même bleu que celui de la lumière se tenait devant elle, un large sourire sur le visage. Mais Lise était incapable de prononcer le moindre mot, ni même de se concentrer sur son sauveur : derrière ce dernier, la forêt auparavant ancienne et désolée, était de nouveau pleine de vie. Les arbres avaient retrouvé leur grandeur et le vert de leurs feuilles semblait embrasser les rayons du soleil. Les chants des animaux et les nombreuses créatures mystiques rendaient ce tableau apaisant, et Lise ne put s’empêcher de sourire devant le spectacle qui s’étalait sous ses yeux.
Un léger toussotement la sortit de sa rêverie et la jeune femme se tourna vers le Fae qui lui avait sauvé la vie. Ce dernier lui adressa un sourire qu’il voulait rassurant en lui tendant la main. Lise la saisit sans hésitation, et sursauta lorsqu’il rompit le silence de sa voix chantante.

  • Je m’appelle Azrael.
  • Lise, fut le seul mot qui parvint à franchir ses lèvres.
    Azrael sourit de nouveau.
  • Je sais.
    Le visage de Lise dut trahir son étonnement puisque le Fae s’empressa d’ajouter :
  • Chacun d’entre nous est chargé de veiller sur humain, pour éviter que des situations comme celles-ci n’arrivent et, toit, tu es mon humaine.
    Lise ne sut que répondre sous le choc de cette révélation, mais Azrael ne sembla pas remarquer son trouble. Ou du moins il ne laissa rien paraître et poursuivit :
  • J’ai failli à mon devoir aujourd’hui et je m’en excuse. Tiens, prends ceci, si jamais tu as de nouveau besoin de moi un jour tu n’auras qu’à suivre la lumière.
    Il accompagna ses mots d’un geste envers Lise qui se crispa face à cette tentative de contact. Mais elle se détendit rapidement lorsqu’elle comprit qu’il voulait simplement lui enfiler un collier qu’il tenait dans sa main. Une fois cela fait, Lise porta sa main à l’objet d’un bleu éclatant et elle se sentit immédiatement apaisée.

Après ceci, Azrael lui expliqua tout : comment le Monde Invisible dédiait la majeure partie de son temps à protéger le Monde Humain et ce depuis la nuit des temps, les us et coutumes de cet univers méconnu et la façon dont il avait toujours veillé sur elle depuis sa naissance. Il ne laissa aucun détail sous silence et Lise se délecta de ce récit, l’impression de retourner en enfance ancrée dans son esprit et consciente de l’admiration empreinte dans le regard qu’elle portait sur le jeune Fae. Elle se sentait légère, apaisée par la bonté régnant sur cette forêt enchantée.

Mais son corps tremblait encore sous le coup du choc provoqué par les événements et les révélations d’Azrael, et une douleur lancinante s’immisça dans son crâne. Elle fit quelques pas chancelants sous le regard inquiet du Fae et sentit rapidement ses dernières forces la quitter. Sa dernière vision fut son poignet marqué d’hématomes. Puis d’un coup…le noir.

Un cri lointain arriva aux oreilles de Lise, la poussant à ouvrir les yeux. La première chose qu’elle vit fut le flash d’une lampe torche qui raviva ses maux de tête. Un homme en uniforme s’approcha d’elle mais Lise ne parvint pas à comprendre ce qu’il lui hurlait. Ses oreilles bourdonnaient et ses yeux ne distinguaient rien autour d’elle. Elle parvint tout de même à baisser le regard vers son poignet, mais toute trace de blessure avait disparu. Elle suivit alors l’homme qui la soutenait, l’impression de perdre la tête s’immisçant dans son cerveau. Mais alors qu’elle allait entrer dans la voiture de police, une idée germa dans son esprit. Elle porta sa main à son cou et fut soulagée de sentir le pendentif sous ses doigts. Lise se sentit alors apaisée alors qu’elle s’éloignait de l’océan au bord duquel les dunes étaient réapparues, s’accrochant à la seule preuve que la folie ne l’avait pas gagnée et à l’espoir qu’Azrael veillerait sur elle jusqu’à ce qu’elle pousse son dernier souffle.