Le green hacking du ministère

Je lui ai pris la main et je l’ai suivi.

Nous arrivons face à cet imposant bâtiment, aussi grand que l’urgence que nous voulons défendre. Nous sommes six, six gamins d’à peine seize ans qui viennent exécuter un plan trop téméraire. Mais réaliser l’impossible est devenu indispensable pour notre cause. Il fait nuit et lourd en cette pleine lune d’été. Mes amis et moi sommes terrifiés, sauf Jo qui sait exactement ce que l’on va faire. Personne ne souffle mot, je suis seule avec moi-même et mes questions qui tournent en rond dans ma tête. Beverley devrait me regarder avec son air joyeux comme à son habitude, or à ce moment une lueur de panique brille dans son regard. Je pressens que les choses vont mal se dérouler, mon intuition va-t-elle dire vrai ?

Je prends mon courage à deux mains et entre la première dans le ministère de l’écologie. Pour s’y introduire, rien de compliqué, juste quelques serrures à forcer. Evidemment, qui viendrait braquer cet endroit dépourvu de richesses ? Une fois à l’intérieur, ma bande d’amis et moi n’avons probablement qu’une heure pour agir avant que les forces de l’ordre ne se rendent compte de quelque chose.

Jo vient de nous expliquer : tout a été calculé, chaque petit détail est minutieusement pensé. Une heure et pas une minute de plus. Le compteur lancé, les minutes défilent en secondes, chacun à son poste pour accomplir le plan : hacker le site de Légifrance pour y instaurer de nouvelles lois, nos lois. Celles qui vont sauver la planète et ses habitants.

Bill et Kerry aux ordinateurs. Ce sont deux petits génies de l’informatique, capables de pirater n’importe quel programme. A eux deux, ils forment un duo de choc, rien ne peut les arrêter quand ils s’agit de fonctionner en équipe pour sauver l’humanité.

Madison, à la recherche de preuves contre le gouvernement au cas où notre plan se déroule mal, fouine. Découvrir les choses cachées est son passe temps préféré.

Beverley, elle, est chargée d’imiter la signature de chacun des politiciens qui doivent normalement signer nos lois. Elle a battu le record de signatures imitées parfaitement, à commencer par falsifier plus de cinq cent fois la signature de ses parents dans son carnet de correspondance !

Jo, le cerveau de la bande, mène chacun de nous à la baguette avec sa détermination et son incroyable charisme. Tout le monde le croit sur parole et personne ne résiste à son charme.

Et moi, championne d’arts martiaux, tout est lucide pour moi dans une scène de combats. Je me prépare à retenir assez longtemps la police pour permettre à mes camarades de finir leur travail et de se sauver. Personne n’a été choisi au hasard, Jo a prémédité ce coup depuis bien longtemps.

Les minutes se succèdent les unes après les autres. Les Lois finissent de s ‘écrire, les signatures imitées, et les preuves trouvées. Le plan est bouclé sans accrocs en moins d’une heure.

On se prépare à quitter le ministère de l’écologie comme prévu, tout paraît calme autour de nous, trop calme peut être. Nous descendons les marches de l’entrée d’un air de plus en plus assuré et vainqueur. Nous empruntons la rue devant nous avec soulagement, reparlons de notre exploit en criant « Victoire ! ». Soudain, alors que nous nous engageons à droite au coin de la rue, des dizaines de policiers armés jusqu’aux dents nous attendent furieux. Je me place devant ma bande d’amis en position de combat afin de les protéger, mais malheureusement impossible de rivaliser, ils sont trop nombreux et visiblement prêts à faire usage violemment de la force.

L’incompréhension se lit sur nos visages, comment ont-ils su, comment nous ont-ils trouvés, comment ont-ils pu arriver si vite ? Nous sommes tous tétanisés. Tous sauf Jo, qui paraît imperturbable. Nous sommes arrêtés et emmenés illico au poste de police.

Après une semaine d’un pénible interrogatoire, nous sommes enfin libérés. Et là : Stupeur ! Que découvrons nous ? Au grand jour, tous nos exploits filmés et diffusés sur l’ensemble des réseaux sociaux. Mais d’où viennent ces images ?

Jo nous interpelle avec un air espiègle : « Je dois vous parler : on nous a dénoncés et le traitre, eh bien c’est moi ». Mon plan était de médiatiser notre combat pour l’écologie et la sauvegarde de la planète. Nous nous servirons de notre procès comme tribune pour expliquer au monde entier la force et l’utilité des nouvelles lois que nous proposons.

Je suis soufflée par l’aplomb, la détermination et la capacité à prévoir de Jo. Il a raison, la meilleure manière de lutter aujourd’hui passe par l’usage des réseaux. La planète n’aura un bel avenir que par la connexion de tous ses habitants pour une même cause : sa préservation.