Le prix de la passion

Alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par coeur, depuis un an exactement.

Il m’en a fallu du temps, pour retrouver ce numéro... J’ai inspiré profondément, et j’ai enfin appuyé sur la touche "appel". Un grand silence s’installe alors dans ma tête, suivi par un brutal bip sonore. Tout d’un coup, prise d’un vent de panique, je raccroche sur le bouton rouge. Plein d’images défilent dans ma tête... rouge, comme la couleur de sa robe. Ou cette émotion que je ressens, la même que celle que j’ai ressentie il y a neuf ans... Un subtile mélange de peur et de doutes, mais aussi d’excitation et d’appréhension, ne sachant lequel avait le dessus... ces
souvenirs ramènent tellement loin... au moment où ma vie a pris une tournure quelque peu... différente.

« Tu ne peux pas faire ça ! Gâcher tous nos efforts pour du théâtre ! Non mais tu te rends compte ?! C’est ta carrière que tu mets en jeu !"

Et nous y revoilà... Depuis toute petite, j’ai toujours eu une passion secrète pour le théâtre. Ma mère, elle, ne voit pas les choses comme ça. Tout ce qu’elle veut c’est que je devienne avocate, ingénieure, médecin et mon père, lui, il s’en fout (je ne sais même pas s’il sait comment je m’appelle... mais moi ce n’est pas ce que je veux, alors aujourd’hui je vais parler haut et fort, qu’elle entende ce que j’ai à lui dire.
Je la regarde avec un air féroce et lui lance d’un ton ferme.

  • Ce n’est pas toi qui choisis ce que je vais faire de ma vie.

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Elle me regarde d’un air surpris, puis quand elle se rend compte de ce que j’ai dit et commence à crier.

  • Comment ça, on ne décide pas de ton futur !? Tu crois que c’est à quinze ans que tu sais ce qui est mieux pour toi ?
  • En tout cas je sais que ce n’est pas vous qui le savez !
  • Mais nous sommes tes parents. Tu dois nous obéir !
  • Eh bien moi je pense que le mieux serait que je me casse de cette baraque de merde !
  • C’est ça ! Et tu vas aller où madame "je refais ma vie" ? Je sentais dans sa voix qu’elle ne savait pas vraiment comment réagir alors, comme d’habitude, elle crie comme si elle s’en fichait...
  • Je ne sais pas... tout ce que je sais, c’est que je veux me tirer loin d’ici
  • Mais enfin, Emma, tu ne peux pas faire ça ! Toutes ces années à essayer de te rendre parfaite, pour te simplifier la vie ! Dit-elle en panique. Mais sa panique ne m’atteignait plus. Je la regarde droit dans les yeux et lui dit d’un air lugubre :
  • Pour me simplifier la vie, restez loin de moi, toi et papa. Ne me parlez plus. Ne me regardez plus. Je ne veux même plus entendre parler de vous. Vous n’avez jamais existé pour moi. Je suis plus votre fille, vous n’êtes plus mes parents. Et sur ce, adieu, je vous laisse pourrir dans votre monde parfait. »

Je claque la porte, et je cours. Je cours tout en pleurant. Je cours jusqu’à ne plus en pouvoir.
Tout ce que je voulais, c’était partir loin d’ici.
Ma vie après fut compliquée. Je suis partie à Paris, et j’ai commencé à faire des petits boulots pour pouvoir me payer une école d’art dramatique. Je faisais des petits rôles dans des pièces de théâtre.

Souvent, les gens étonnés de me voir là me demandaient ce que je faisais là et moi je répondais ‘la passion’ et je partais. Je n’ai jamais oublié la rage que j’avais envers mes parents. Je ne leur pardonnerai jamais ce qu’il m’ont fait, mais j’ai avancé... Malheureusement, je n’étais pas
au bout de mes peines, car un autre obstacle me barrait la route. Un méchant serial killer qui s’appelait Cancer m’attendait de pied ferme à l’âge de 24 ans...

  • Mlle Bashó s’il vous plaît. Dit une assistante petite avec de longs cheveux bouclés.
  • J’arrive, dis-je d’un ton plutôt stressé.

Je m’avance vers elle et nous marchons vers une petite salle avec un bureau et d’autres petits bazars de docteur.

  • Je vous laisse patienter ici, le docteur arrive, me précise-t-elle.
    Du coup je suis restée là, toute seule, à me demander, ou enfin plutôt espérer que les nouvelles soient bonnes. C’est après cinq minutes d’attente que le docteur est arrivé. Il était de taille moyenne et je lui donnais la trentaine.
  • Bonjour, a-t-il annoncé en marchant rapidement vers sa chaise. Désolé pour le retard, je ne trouvais plus les radios de mon patient précédent...
  • Oh, ce n’est pas grave, ne vous inquiétez pas, lui ai-je répondu en lui souriant.
  • Donc... entrons dans le vif du sujet. Il y a quelques semaines vous êtes allée voir mon collègue pour vous plaindre de maux de tête aigus qui revenaient souvent, c’est ça ?
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  • Oui, j’ai acquiescé en attendant la suite
  • Et bien, nous avons fait des analyses... et je suis désolé de vous dire ça, mais vous avez une tumeur cérébrale encore inconnue... Votre tumeur est déjà à un stade très avancé et je suis navré de vous dire qu’il est trop tard pour agir.
  • Combien de temps me reste-t-il ?
  • Je dirais environs une à deux semaines, dit-il d’un air triste.

Je n’entendais plus ce qui s’est passé ensuite. Tout s’écroulait. J’avais envie de pleurer, de crier, de tout faire pour m’accrocher encore au dernier bout de vie qui me restait. Mais personne ne peut échapper à la mort.

  • Mademoiselle ? Désolé je sais que ça fait un choc... mais j’ai une question...
  • Quoi donc ? Dis-je, étonnée
  • J’ai vu dans votre dossier médical que vous avez fait un petit peu de thérapie à l’âge de 15 ans et que vous avez subitement arrêté... puis-je savoir pourquoi ?
  • Oh, hum, rien de spécial...
  • Madame Bashó, ça pourrait vous aider ! Pardonnez le passé pour... pour des adieux plus sereins !
  • Je ne pourrai jamais pardonner le passé ! Ai-je crié.
  • Eh bien, faites-le pour moi ! Cette thérapie, c’était pour oublier vos parents n’est-ce pas ? Prenez votre élan, arrêtez de regarder derrière vous. Pardonnez le passé et faites confiance au futur.
  • Mais il ne voudront jamais !
  • Si vous le faites avec tout votre coeur, si.
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    Après je me souviens seulement avoir fondu en larmes.
    Voilà comment j’en suis arrivée là.
    Seule, dans cette rue sombre, avec la mort qui me suit, en attendant le bon moment pour arracher mes racines et m’envoler au loin...
    En repensant à ce rendez vous, au soutien que le docteur m’a offert de bon coeur, je me remotive et j’appelle.
    Prendre un dernier élan. Recomposer le numéro. Et attendre. J’attends qu’ils me répondent, j’attends de pouvoir me faire pardonner.
  • Allô ?
    Cette voix, c’est celle de ma mère... je sens des frissons courir tout le long de mon dos.
  • Bonjour maman !
    Pause.
  • Mais qui êtes vous ?
    Alors là, je ne m’attendais pas à ça...
  • C’est moi, Emma, ta fille
    Et d’une voix froide elle me sort :
  • Nous n’avons pas de fille.