Le secret des rêves

Emilie JOUANNE, en 4ème au collège Maurice Peschaud, Allanche (15), classée 3ème de l’académie de Clermont-Ferrand

Le secret des rêves

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »
« A vrai dire, je n’ai pas de nom. »
« Ah. Et bien moi je m’appelle Victor. »
« Enchanté. »
La silhouette avait dit cela sans grand enthousiasme.
Cependant , Victor avait toujours était curieux et n’abandonnait pas facilement.
« Voudrais-tu venir avec moi ? » Lança-t-il.
« Et pour quoi faire, jeune homme ? »
« Et bien, pour aller à la chasse aux rêves. »
« Non. Je ne désire pas venir avec toi. »
« Pourquoi ? » Reprit Victor.
« Je t’expliquerais … si tu restes ici. »
Et ils commencèrent à parler. Victor s’aperçut que la silhouette était en faite un vieil homme au visage froissé et fatigué.
L’homme lui raconta alors sa vie :
« J’ai grandi à la campagne avec mon oncle. Mes parents sont morts trois semaines après ma naissance. Je ne peux te les décrire car je n’ai jamais vu de photos. En tout cas, mon oncle m’a élevé jusqu’à mes dix-sept ans. Par la suite je me suis engagé dans l’armée. Après quelques années d’engagement, je suis devenu sous-officier. J’y suis resté quinze ans. Mais, j’ai commis une faute.
Nous avons essuyé une attaque au camp par des gens armés, nous n’avons jamais su ce qu’ils voulaient. On nous avait donné l’ordre de faire feu sur les attaquants. Un de mes hommes est mort par ma faute, je lui avais ordonné de contourner le front armé afin de les surprendre par derrière. Malheureusement les attaquants se méfiaient et ayant aperçu le soldat, ils l’ont tué de sang froid et sans aucune hésitation. Quand j’ai appris le décès de ce jeune garçon, je me suis rendu compte que c’était de ma faute, j’aurai du réfléchir avant de lui imposer cette stratégie d’attaque. Je m’en suis voulu énormément et suis donc parti. Aujourd’hui encore je suis hanté par la culpabilité, je ne pourrais jamais réparer ma faute.

Après m’être enfui, je suis rentré chez mon oncle. Et là, contre toutes attentes, on m’a annoncé qu’il était mort quelques jours auparavant. Sous le choc, je suis reparti à pied, sans rien, si ce n’est mon uniforme de sous-officier que je n’étais plus digne de porter. J’ai parcouru une partie du pays sur les routes de la lamentation, en me demandant pourquoi ma vie avait pris cette tournure pour le moins obscure. Mes difficultés me semblaient justes et injustes à la fois. Justes car un homme était mort par ma faute, le châtiment était donc mérité. Injustes car mon oncle m’avait été « enlevé » si vite, tellement injuste de ne pas avoir pu le voir une dernière fois.
Mon oncle était un homme renfermé et froid mais je l’admirais pour son courage, sa patience et sa persévérance à m’éduquer comme il se doit.

Par la suite j’ai rencontré un homme, que tu connais peu mais que tu connais. Il m’a engagé pour le « sale boulot ».
Sais-tu qui est cet homme ? »
Victor demeurait silencieux, profondément choqué et ému. La vie de ce vieux monsieur avait été un calvaire. Serait-il capable, lui, de surmonter ce genre de douleur ? Il avait déjà beaucoup souffert de la perte prématurée de ses parents mais sa vie lui semblait bien rose en comparaison à celle de ce pauvre homme.
Victor avait l’impression déstabilisante de connaître cet homme depuis longtemps.
« Serait-ce monsieur Paul ? » Demanda doucement Victor
« C’est bien lui mon petit. Et il m’a employé pour le même métier que toi. »
« Et est-ce que tu appréciais ce métier ? »
« Au début, oui. Mais je n’avais pas réfléchi aux conséquences que cela pouvait entraîner. Je n’avais pas cherché à savoir non plus ce que monsieur Paul pouvait bien faire de tous ces rêves. J’étais un peu comme toi, je vivais les choses sans penser réellement aux répercutions que mes choix pouvaient entraîner. Et puis, un jour, alors que j’attendais la nuit, je décidai de découvrir ce que monsieur Paul faisait avec les rêves que je lui apportais. Je l’ai donc espionné durant deux jours. C’est comme cela qu’un matin, j’ai découvert la terrible vérité. Ce que monsieur Paul faisait de ces rêves étaient effrayant. Tout comme ma vie l’était à cause de mes erreurs. J’ai alors décidé d’expier mes forfaits en faisant une bonne action.
Monsieur Paul avait créé une machine à visionner les rêves. Il avait en projet de mettre son œuvre sur le marché, pour que chacun puisse regarder les rêves des autres comme un film. Bien sur, il ne comptait pas vendre ces « lecteurs de rêves », comme il les appelait, à bas prix. Oh ça non !!
Alors j’ai détruit son prototype. Mais cela n ‘a strictement rien changé. Il avait tous les plans en mémoire et a reconstruit son lecteur. Donc j’ai pris la décision de négocier avec lui la vente des lecteurs. Quand je lui ai raconté ce que je savais, il s’est mis dans une colère sans pareil. Alors j’ai attendu qu’il se calme durant quelques jours. Puis, est venu le temps de la discussion. Cela a duré des jours et des jours, des nuits et des nuits.
Enfin, j’ai finalement réussi. Le compromis était le suivant : je jurais de ne jamais parler à personne des lecteurs et des rêves et lui promettais de ne pas vendre ses machines. Malheureusement, il tenait à garder une seule machine qui lui appartiendrait, et je ne pus le faire changer d’avis. Après tout cela, j’ai démissionné et j’ai erré longtemps jusqu’à ce que tu viennes à ma rencontre...
Voilà le fin mot de l’histoire. »

Victor était abasourdi. Le seul mot qu’il parvint à prononcer fut :
« merci ».
Il se sentait attaché à cet homme, à son passé, à sa vie.

« Tu sais Victor », reprit le vieil homme, « je vais te dire ce que je pense des rêves car j’en ai une opinion très personnelle. Selon moi un rêve ne doit appartenir qu’à une seule personne : celui qui le fait. Un rêve est unique et si nous ne rêvions pas, La vie ne serait pas. Elle se nourrit du rêve, la réalité ne peut être que si elle côtoie ce monde de l’hypothétique. Le rêve sert à nous évader mais aussi à voir différemment la vie. Il est parallèle à la vie et lui est indispensable. Comme le jour et la nuit, comme le recto et le verso d’une page, la réalité et la rêverie sont un tout indissociable. Retiens bien cela petit ! ».
L’homme se leva et prit une nouvelle direction, un nouveau chemin dans son parcours initiatique.
Avant de s’éloigner, il confia :

« Au fait ! Mon nom est Victor. »