Les anges

Ecrit par Cloé Bacle (1ère, Lycée Champ-Blanc), sujet 2. Publié en l’état.

Il se rendit donc dans la salle de contrôle de jeu. Le directeur marchait devant lui d’un pas rapide,sa raideur trahissant son anxiété. La porte, ne portant pas d’indication particulière, était pourtant protégée par un verrou digital et oculaire. Autant dire que personne en dehors de l’équipe n’aurait pu y pénétrer, pensa Rémi.

La porte n’émit aucun son lorsqu’elle s’ouvrit. La salle qu’elle découvrit était sombre, bien que partout les veilleuses des diverses machines habitaient cette obscurité, comme vivante. Elles rappelèrent à Rémi les lucioles durant les soirs d’été.

A peine eut-il fait un pas dans ce terrier que l’un des membres de l’équipe se mit à tapoter vigoureusement sur son écran, ses yeux sautant frénétiquement de Rémi à ce qu’il était en train de faire. Bien que Rémi ait du mal à le distinguer parmi les ombres, il lui sembla que l’homme était vraiment squelettique. Son crâne chauve était couvert de tatouages, tout comme chaque partie visible de sa peau. Ses yeux étaient deux antres que la lumière ne parvenait pas à transpercer et ses lèvres fines étaient presque invisibles. A un moment, Rémi crut tout de même apercevoir une torsion de ce fin trait qui lui servait de bouche, dessinant vaguement un sourire mesquin.

- Lieutenant, voici le clone digital de Lucie.

Sur l’écran, un mannequin tournait lentement sur lui-même. Il était d’un réalisme frappant. La première chose qui happa l’attention de Rémi fut le regard tellement perçant de la jeune fille, des yeux bleus métalliques hypnotisants. Son visage triangulaire, au teint diaphane, était parfaitement encadré par sa chevelure platine.

Rémi n’aurait pas pu dire qu’elle était belle mais d’elle, émanait un certain charisme. Ensuite il se concentra sur sa tenue qui, plus que son visage, correspondait du mieux qu’il fut possible au nom du fameux jeu.

Elle était toute vêtue d’une robe de toile allant de l’ocre au marron. Sans plus de fantaisie, celle-ci était nouée à sa taille par une corde rapiécée par endroit. Avant que Rémi ai pût demander plus amples explications, le jeune directeur lui dit que Lucie avait choisit d’être une mage.

Les personnages de New Graal se divisaient en cinq catégories : les mages, maîtres de la magie ; les guerriers, spécialisés en combat rapproché ; les archers, sans pareil pour les dégâts de loin ; les boucliers, invincibles protecteurs et restaurateurs des points de vitalité alliés ; et les voleurs, experts en furtivité, en dommages par poison et armes légères.

Soudain le travailleur tatoué se manifesta.

- C’est bon, il est prêt.

- Qu’est-ce qui est prêt ?

- Vôtre avatar, vôtre vous digital. Il est absolument nécessaire d’en avoir un pour jouer.

- Qui a dit que je voulais jouer.

- Quoi qu’il soit arrivé à Lucie ça s’est passé dans le jeu alors pourquoi chercher ailleurs ?

Il marquait un point, mais Rémi ne l’aurait admis pour rien au monde. Ayant vu à quoi ressemblait Lucie, il pouvait retourner au planétarium. Sur le chemin du retour le P.D.G ne fut pas beaucoup plus détendu qu’à l’aller. Lorsqu’ils rejoignirent les anciens joueurs étaient tous assis sur le sol, aussi loin de la console que les murs le leur permettaient. Leurs visages pas moins pâles que la première fois. Toute cette tension finit par atteindre le lieutenant bien malgré lui. Et lorsqu’il s’assied à la place qu’occupait un peu plus tôt Lucie, son estomac serré menaçait de lui remonter dans la gorge. Alors qu’il posait sa main sur le casque de réalité virtuelle, le directeur émis un son entre le gémissement et le cri, qui le fit sursauter au point de presque lâcher ce qu’il tenait.

- Attendez lieutenant, j’aurais deux ou trois choses à clarifier avec vous avant que vous ne lanciez la partie.

Rémi comprit assez vite les grandes lignes de cet enseignement accéléré. Éviter les trolls et les dragons. Ne pas attirer l’attention. Se méfier des autres personnages en armures. Ne pas se laisser distraire par le fait qu’il n’y ait pas d’enfants, le jeu était programmé ainsi. Et surtout ressortir, enfin sauvegarder, immédiatement après avoir trouvé Lucie.

Une fois tout cela répété et assimilé, Rémi se reconcentra sur le casque. Le moment était venu d’entrer dans le New Graal.

A peine l’eut-il mis sur ses yeux que vision et ouïe furent coupées du monde réel.
Pendant un instant il ne fut plus capable que de sentir la froideur métallique de la console sous ses doigts. Et puis sous ses yeux ébahis apparut le sol, puis quelques montagnes et au loin la silhouette d’une citadelle moyenâgeuse. Deux ombres pixelisées se formèrent devant lui pour s’affiner en deux guerriers parfaitement authentiques. Le petit directeur l’avait prévenu qu’il lui enverrait deux personnages aléatoires, contrôlés par l’ordinateur pour assurer sa sécurité. Mais ce n’est pas exactement ce qu’ils firent.

Ils dégainèrent tous les deux leurs espadons rutilants et, selon le P.D.G, si des personnages générés par le système dégainent c’est qu’il y a ennemi à proximité. Alors Rémi jeta rapidement un coup d’ ?il à sa tenue. Bottes résistantes et légères. Pantalon de toile ample truffé de poches de toutes tailles. Veste du même matériau que le pantalon, elle aussi possédant de multiples « rangements ». Manteau à capuche de tissu grossier chargé d’un arsenal encore inconnu qui lui tombait juste en haut des cuisses. Cet accoutrement aurait rendu fou le petit Rémi qui dormait dans notre lieutenant, mais il était en mission alors pas question de se laisser distraire. Il n’empêche que son c ?ur se mit à battre un peu plus vite.

En regardant mieux, Rémi remarqua une dague dans un fourreau au niveau de sa hanche, il en sentit une autre le long de son mollet et encore une au niveau de son bras. Dans ses poches il trouva de petites fioles colorées au verre terni, des grappins, crochets et autres objets dont il ne connaissait pas l’utilité. Mais il savait maintenant quelle classe lui avait été attribuée. Voleur. Voilà dont ce qui avait fait rire le tatoué, un flic voleur. Quel humour !

Il saisit la dague de sa hanche et tira la lame au clair. Mais lorsque d’un même mouvement ses deux acolytes se retournèrent vers lui, il comprit qu’il n’y avait pas d’ennemi, du moins pas de son point de vue, c’était lui l’ennemi !
L’avantage des espadons est qu’ils frappent forts. Mais l’avantage des dagues est qu’elles frappent vite.

Alors que celui de droite levait son glaive pour frapper, l’autre passait derrière Rémi. Lorsque la lame s’abaissa il réussit à l’éviter avec un petit bon sur le côté mais déjà l’épée de l’autre volait vers lui. Sans réfléchir Rémi interposa sa dague entre lui et le métal furieux. Bien qu’il eut tenté de camper ses appuis au sol et d’appuyer sa lame minuscule avec son avant-bras opposé, il fut projeté à plusieurs mètres. Tissus comme peaux furent entaillés, mais par une chance inouïe il n’avait rien de cassé. Les deux mastodontes étaient peut-être plus forts que lui mais beaucoup moins rapides et agiles , Rémi courut donc hors de leur portée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de le rejoindre il attrapa une des petites fioles qu’il avait vu un instant plus tôt et en déversa le contenu sur sa lame. Sa main tremblante dû verser la moitié du liquide sur le sol, Rémi croisa les doigts pour que ce soit du poison, la quantité qui recouvrait la lame devait être suffisante. Il le fallait.

Le lieutenant aurait pu choisir la prudence, mais dans l’instant, là, ce n’est pas ce qui l’inspirait alors il fit quelque chose que la plupart des êtres vivants doués d’une once d’intelligence qualifierait de stupide. Il courut vers l’un des guerriers lui sauta au cou et avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, lui planta la dague dans la gorge de telle façon que la lame disparut entièrement.
Le colosse resta un moment hébété puis bascula, mais pas exactement comme Rémi l’avait prévu. Son poids plus celui de son assaillant le fit tomber … en avant, et sans comprendre rien de ce qui arrivait, le lieutenant se retrouva coincé sous tout le poids d’une armure et de l’homme fort allant avec, complètement inerte.

Si l’autre combattant n’avait pas été qu’une partie de la machine, il aurait sûrement sourit voire même rit de cette situation plus que ridicule. Mais il se contenta de se mettre sur le côté, de sorte que quand il abaisserait sa lame, qui pour l’instant fendait l’air dans une dernière ascension, elle trancherait le tête de l’inspecteur . Ce qui stopperait de façon assez définitive sa mission.
Tout pendant que l’épée montait, Rémi garda les yeux ouverts, mais une fois que celle-ci stoppa son mouvement il serra ses paupières aussi fort que si cela allait changer quelque chose. Et il attendit.

Rien ne vint. Sans vouloir rouvrir les yeux de peur que ce soit justement ce que son ennemi attendait, il resta là, le c ?ur battant. La tension fut bientôt insoutenable et Rémi risqua un coup d’ ?il. Ce qu’il vit le stupéfia.
Le guerrier avait été littéralement congelé sur place. Son armure de fer était recouverte de glace de même que son visage et ses bras toujours levés.
Ce ne fut pas cela qui étonna le plus Rémi mais plutôt les deux enfants qui arrivèrent en riant, insouciants. La petite aura bleue froide qui entourait la main droite de l’un des garçons prouvait que cette congélation éclair était leur ?uvre. Avant que Rémi n’ai pu se demander s’il s’agissait de magie, l’autre garçon envoya une boule de feu sur le guerrier-glaçon qui explosa. Il ne resta plus de lui qu’une fine neige qui se dispersa en un instant.

Quand ils furent près de lui, Rémi se rendit compte que les deux enfants se ressemblaient exactement. Les mêmes cheveux blonds presque blancs. Les mêmes yeux électriques. Ils portaient la même tunique de toile serrées à la taille. La remarque du jeune directeur ne cessait de résonner dans sa tête. « Il n’y a pas d’enfants. Le jeu n ’est pas programé ainsi. »
Il n’eut pas le temps de se questionner car l’un d’eux s’approcha de lui et sans que Rémi comprenne comment, le corps inerte qui pesait sur sa poitrine se souleva de quelques centimètres et alla se poser plus loin. Sans y accorder plus d’attention, l’enfant ancra ses yeux dans ceux du lieutenant.

- Maman vous attend.

- Qui est-elle ?

Mais sans prendre la peine de répondre les deux enfants s’agenouillèrent et posèrent leurs mains à plat sur le sol, psalmodiant de leur voix fluette, devenues soudain bien solennelles. Le vent se mit à souffler et le jour s’assombrit. Puis, sortit de nulle part un cercle lumineux, semblable à un portail. Sans dire un mot, ils fixèrent le portail, lui, le portail... Il se dut rapidement se résigner à l’idée de le franchir. Il s’approcha prudemment du cercle sans oser y aller. Il essaya d’abord de le toucher avec son doigt. A peine entra-t-il en contact avec la lumière que tout son corps fut aspiré. Il eut l’impression de tomber à une vitesse vertigineuse, sans pouvoir respirer et alors que ses poumons allaient éclater, le monde explosa autour de lui.

Il n’était plus au grand air, il était à l’intérieur. La pièce, tout en long, était immense. Le couloir principal était bordé de colonnes et finissait sur quelques marches menant à un trône. Et sur ce promontoire était assise une femme, une vieille femme. Son vêtement ressemblait à un drap ou à une longue cape plus qu’à un habit bien travaillé et, faisant aussi office de capuche, il cachait une grande partie de son visage. Sa peau, aussi tannée que le cuir , tranchait étrangement avec ses yeux bleus qui transparaissaient, malgré l’ombre que le capuchon faisait planer sur sa face. Pourtant plus il s’approchait, plus cette figure inconnue lui semblait familière.

- Bonjour Lieutenant ? C’est sûrement pour moi que vous venez.
Pendant un instant Rémi ne comprit pas ce qu’elle voulait dire, et puis elle repoussa le drap sur ses épaules, découvrant complètement son visage.
Lucie ! Cette vieille femme burinée par les ans n’était autre que Lucie, la jeune femme qui avait été portée disparue quelques heures auparavant. Rémi aurait voulu lui poser des questions, beaucoup de questions, c’était son métier mais aucun son ne sortit de sa bouche. Cela la fit sourire.

- Mes petits anges vous ont surpris peut-être ? Excusez-moi mais il n’y a que cela que le jeu ne voit pas. Ils ne sont pas dans son programme de base alors ils passent inaperçus.

- Pourquoi le devraient-ils ?

- C’est à cause du jeu, il est devenu fou. Il y a eu une erreur dans sa programmation. Pour faire simple, lorsque j’ai mis le casque, l’ordinateur c’est en quelque sorte synchronisé avec mes impulsions neuronales et par le transfert d’une micro-charge électrique qui est entré en résonance avec mon unité intracellulaire à désolidarisé les atomes de mon corps. Ma conscience s’est retrouvée piégée dans l’ordinateur sous la forme de mon avatar. L’ordinateur m’a alors traité comme n’importe quel virus et depuis c’est la guerre. Étant devenu une partie intégrante du système j’ai réussi à créer mes anges. L’ordinateur a essayé de vous détruire car il vous croyait de mon côté.

- Et maintenant ?

- Il faut que vous sortiez d’ici. Toute information sur ce jeu doit être effacée.

- Et vous ?

- Je peux vous faire sortir d’ici mais moi je suis coincée. Pour rester pragmatique je n’ai plus d’enveloppe charnelle. Je ne suis même pas censée être encore en vie ! Ne répondez rien. Je ne veux pas de vos apitoiements, je veux que vous transmettiez mon message. Repartez par là d’où vous êtes venu, le portail vous sortira du système.

Rémi regarda impuissant une larme couler sur sa joue mais elle avait été très claire.

Il se retourna et courut vers le portail, cependant avant de le traverser il se retourna vers elle.

- Merci et adieu !

C’était la moindre des choses et il se laissa de nouveau happer par le cercle. Le retour fut rude, tout était noir. Lorsqu’il parvint à s’arracher le casque du visage, il vit un attroupement autour de lui. Le souffle encore court il répéta tous ce que lui avait dit Lucie. Rémi sut que personne ne le croyait mais de peur des poursuites judiciaires sûrement, ils s’exécutèrent. New Graal fut supprimé avant même d’avoir pleinement existé, Lucie avec lui. Le soir lorsqu’il se déshabilla, Rémi remarqua une plaie sur son avant-bras gauche juste là où sa dague virtuelle avait blessé son avatar pas plus réel.

Heureusement que les anges de Lucie était intervenus.