Lueur d’espoir

Écrit par Xavier Mortureux, incipit 2, en 2nde au Lycée Saint Jean Hulst à Versailles (78). Publié en l’état.

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’est la guerre.
Tournant le dos à la maison incandescente, la mère partit avec sa fille d’un pas lent, titubant au rythme des irrégularités du sol creusé par les obus. Elle traversa ce que fut son ancien village, tout en cherchant d’un œil vif le jouet. Au-dessus de leurs têtes se jouait un étrange balai de feu et de cendres, tel un spectacle grandiose de pyrotechnie parfaitement en accord avec le bruit des explosions.
Enfin, à l’issue d’une escapade d’à peine quelques minutes, elles découvrirent la poupée, au pied d’un chêne, le dernier arbre encore debout de ce que fut autrefois un bois. Cet arbre était un peu en retrait du front, ce qui l’avait jusque-là préservé. L’enfant venait souvent jouer ici autrefois, avec son frère, désormais parti faire la guerre avec le père. La mère, n’ayant pas de destination précise, s’était laissée guidée au rythme de ses pas qui connaissaient ce chemin familier et aujourd’hui étrange. Elle avait l’habitude de venir au pied de cet arbre pour ramener à la maison les enfants qui jouaient dans la forêt. Mais ce terrain n’était plus qu’une terre désolée, ternie par le bois qui achevait de bruler.
La poupée avait été propulsée par l’obus vers l’arbre, quelques centaines de mètres en contrebas. En effet, leur maison se dressait à la sortie du village, perchée au sommet d’une colline, autrefois douce et verdoyante. La colline n’était pas très haute, ainsi la cime des arbres du bois dressés au pied de la colline se trouvait à hauteur du chemin vers la maison.
La poupée avait bien reçu des dommages matériels mais elle se tenait encore en un seul morceau. La petite, indifférente à la pluie de feu et de sang qui l’entourait, sauta des bras de sa mère et courut prendre sa poupée dans ses bras. Elle affichait un visage joyeux, les yeux pétillants :

  • Regarde maman, j’ai retrouvé ma poupée !
    Elle avait l’air si heureuse que la mère ne put s’empêcher de lâcher un sourire devant cette scène banale et absurde à la fois, alors qu’autour d’eux cette guerre sombre appelait les hommes à mourir dans une horreur sans nom, sans distinction de nationalité, de classe, de milieu. Les deux armées se fondaient en une seule, des hommes mouraient.
    La mère et sa fille repartirent sous l’orage des obus. La petite avait glissé sa main dans celle de sa mère et sautillait à ses côtés, tout au plaisir d’avoir retrouvé sa chère poupée, comme dans un monde à part préservé de l’atrocité. Désormais, elles étaient hors de portée des tirs ennemis. Elles errèrent sans but, la fillette trop occupée à examiner sa poupée, à vérifier les fils à réparer, le tissu à raccommoder, un bras à recoudre. Elle ne songeait à rien d’autre, oubliant la maison partie en cendres et le toit à chercher. Au bout d’un certain temps, elles arrivèrent à un village encore épargné par la pluie d’explosions. On entendait encore au loin le bruit assourdissant des obus mais de façon bien plus atténuée, comme un murmure continu qui rappelait la ligne de front non loin de là. Elles n’eurent pas de mal à trouver un gîte ; déjà l’argent n’avait plus cours ; on sauvait qui l’on pouvait avant d’être sauvé à son tour. Elles furent ainsi accueillies avec d’autres réfugiés dans une petite maison, à côté de laquelle se trouvait une grange occupée par des soldats, ils en avaient fait leur campement.
    Assise à une table, la petite put enfin commencer à réparer sa poupée. On lui avait trouvé du tissu, un couteau et du fil. La mère l’aidait, la rassurait à coup de paroles encourageantes ; elle essayait de se rassurer elle-même. La soirée passa ainsi rapidement pour la petite, si concentrée sur sa tâche : redonner à sa poupée un air qu’elle jugerait convenable.
    A la fin de la journée, la fillette avait fini de réparer la poupée et elle monta dans la chambre avec sa mère. Elles partagèrent un maigre repas et, au bout d’un certain temps, s’endormirent.
    Le lendemain matin, lorsque tout le village fut réveillé, la mère alla ouvrir la fenêtre donnant sur une ruelle du village. Le ciel était encore chargé de nuages, décoloré par la cendre et la fumée du champ de bataille. On entendait toujours le rythme régulier des explosions.
    La mère et sa fille descendirent dans la rue après avoir avalé un verre de lait. La fillette tenait toujours sa poupée, et ne cessait de s’amuser avec. A la recherche d’un bout de pain, elles se dirigèrent vers le centre du village. Ce village est ancien, construit autour d’une église. Au centre, quelques commerces aux rayons presque vides, ravagés eux aussi par cette guerre. Les commerces, qui autrefois furent prospères, en temps de guerre distribuaient leurs produits en échange de ce que les gens pouvaient encore leur donner, en instaurant un certain troc, et aussi aux militaires installés dans la grange. Les habitations s’organisaient autour de ce centre duquel partaient de nombreuses ruelles étroites et sinueuses.
    Ainsi la mère et la fille revinrent avec du pain à leur nouvelle habitation où logeait déjà une douzaine de personnes comme elles, réfugiées. Puis, la fillette sortit, vite suivie de sa mère. Elle s’installa au bord du village, sur un terrain d’herbes sèches. Lorsqu’elle aperçut sa mère, elle lui dit :
    - Dis, maman on fait un jeu ?
    Devant l’hésitation de cette dernière, elle ajouta :
  • S’il te plait ! Et puis on n’a rien à faire d’autre non ?
    Sous la justesse de cette remarque, la mère céda. Non, elles n’avaient rien à faire d’autre que d’attendre la fin de cette guerre.
  • Bon… jouons un petit peu. Je commence. Oh regarde ce nuage…
    La mère, en plus de faire plaisir à sa fille, voulait l’éloigner de la triste réalité, lui faire vivre une enfance heureuse.
  • On dirait ma poupée ! s’écria la petite.
    Et elles passèrent des heures à s’émerveiller de tout et de rien, jouant tantôt avec la poupée, tantôt avec la forme qu’avaient les ombres des maisons ou de l’église dont la silhouette blanche se détachait du ciel ténébreux. Elles ne savaient pas exactement l’heure qu’il était, ni combien de temps elles passaient à jouer. La petite fit voler la poupée, puis s’amusa avec sa mère à inventer l’histoire de cette poupée dans un monde imaginaire, composé de jouets, de chevaliers et de princesses.
    Dans l’après-midi, alors qu’elles étaient encore en train de jouer, un groupe de soldats passa les voir. Ils leur demandèrent si elles manquaient de quelque chose, prenant soin de la population. Tous les jours vers quinze heures ce groupe de soldats venait prendre des nouvelles des habitants pour entretenir des relations de confiance. C’est à ce moment là que le jeu pris fin pour la mère, qui revenait brutalement à la réalité, gardant tout de même un sourire factice pour maintenir son enfant dans l’illusion de l’irréel. Elle répondit aux soldats que merci, tout allait bien pour le moment et que si elle avait un problème elle n’hésiterait pas à venir leur demander de l’aide. Elle prit également des nouvelles du front, voulant savoir s’il faudrait encore se déplacer pour se protéger. Un soldat lui répondit que les positions ne changeaient pas, que ni les allemands ni les français ne prenaient le dessus sur l’autre. Puis ce soldat se fit couper la parole par un autre qui semblait être le capitaine. D’une voix forte et assurée il répondit que des deux camps celui des français était le mieux armé et que les français allaient bien sûr gagner, qu’il n’y a pas de soucis à se faire. Sur ces paroles, les soldats prirent congés et continuèrent leur patrouille.
    La mère, troublée par ces paroles si décalées de ce qu’elle venait de vivre, fut envahie par une crainte de plus en plus oppressante, au fur et à mesure que l’absurdité des paroles du capitaine l’entrainait vers la peur de ne pas pouvoir tenir. Elle continua cependant de faire jouer sa fille, comme si de rien n’était, comme si de s’accrocher au jeu, à cette humanité là, lui permettrait de se préserver et de préserver sa fille.
    Aussi elle ne vit pas le soldat qui avait parlé en premier et qui s’était retourné vers la mère et sa fille une dizaine de mètres plus loin. Lorsqu’il lut la peur et la crainte sur le visage de la mère, juste avant que celle-ci la camoufle pour faire jouer sa fille, il revint sur ses pas et dit à la mère :
  • Ecoutez, je ne peux pas vous dire précisément quand se terminera cette guerre, mais ce que je sais depuis que je me suis engagé il y a de cela deux ans, c’est qu’on va gagner. Croyez-moi, la France a du caractère, vertu des temps difficiles.
    Il brillait dans les yeux du soldat une lueur éclatante, comme le feu d’un foyer, une lueur qui semblait être inébranlable, une lueur d’espoir dans ce monde ténébreux. Et la mère s’était mise à le croire, apaisée par cet air si sûr, très différent de l’arrogance du capitaine.
    Le groupe de militaires s’était arrêté pour attendre le soldat. Un d’entre eux cria :
    - Allez Charles ! Dépêche-toi on ne va pas y passer la journée !
    Le capitaine ajouta :
  • De Gaulle, dépêchez-vous bon sang ! Le commandant veut vous voir !