Luna comme la lune

Écrit par FAVRE-LACOMBE Lina (5ème, Collège Prosper Mérimée de St Savin)

Luna, comme la Lune

A quelle tribu appartenait celle-ci ? Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

L’enfant le dévisagea sans un mot et ne fit pas un geste. Elle resta là, immobile, comme une parfaite statue. L’expression de peur et de désespoir qui marquait ses traits semblaient être gravée à jamais sur son visage. Bien qu’elle ait l’air d’en avoir le double, elle ne devait pas avoir plus de six ans. Elle tenait à la main un vieux chiffon qui était si long qu’il en traînait par terre.
Quoi qu’ait vécu cet enfant, ce devait être horrible ! Jason ne voulait même pas imaginer un seul instant ce qu’elle avait pu voir, ressentir.
Comme la fillette ne faisait pas mine de s’en aller – en réalité, il avait secrètement nourri le souhait qu’elle fuirait dans la direction opposée en le voyant – il s’arrêta, inspira et s’enquit avec un sourire qu’il espérait rassurant :
− Bonjour, petite.
Elle ne bougea pas, le regard passant de lui à quelque chose derrière son dos, comme si elle calculait une distance et évaluait le temps qu’elle avait pour fuir, exactement comme dans les films qu’il aimait regarder où l’on voyait un de ces monstres immondes, mangeurs d’hommes qui se glissaient dans le dos des acteurs pour les croquer. Mais que voulait-elle fuir, au juste ?
− Qu’est-ce que tu regardes ? demanda-t-il, une sueur froide lui coulant le long de la nuque.
L’enfant ne broncha pas et ses yeux continuèrent ses allers-retours incessants. L’avait-elle seulement entendu... et compris ?
En tout cas, elle avait l’air terrorisé et ses yeux revenaient sans cesse à ce qu’il y avait derrière lui, dans son dos.
Prenant son courage à deux mains, il avala sa salive et se retourna, lentement, centimètre par centimètre. Son cœur martelait sa poitrine et son sang pulsait à ses tempes. Il leva les yeux du sol qu’il regardait depuis qu’il avait commencé son demi-tour, s’attendant presque à voir surgir dans son champ de vision un affreux monstre couvert d’écailles avec une gueule garnie de plusieurs rangées de dents mais au lieu de cela il se retrouva face... au vide. Dans son dos se déroulait une étendue de boue, qui semblait durer sur des kilomètres. Il se sentit ridicule. Pourquoi s’était-il inquiété comme ça ? Il se détourna de la plaine bourbeuse et se concentra de nouveau sur la fillette.
− Quel est ton nom, petite ? questionna-t-il pour tenter, en vain, de la détendre.
Elle reporta ses grands yeux noirs sur lui et ses yeux semblaient toujours paniqués. Mais, bon sang, qu’est-ce qui lui faisait peur à ce point-là ?
− Tu n’as pas de prénom ? se renseigna Jason.
Elle secoua la tête, regarda tout autour d’elle, semblant chercher une solution de secours. N’en trouvant visiblement aucune, elle finit par répondre en serrant le chiffon contre elle :
− Mon Papa, y dit qui faut pas parler avec les inconnus. Y dit que c’est dangereux.
Jason se sentit une fois de plus idiot. Ses parents ne lui répétaient-ils pas toujours la même chose ? « Prends garde aux inconnus, Jason, prends bien garde... »
− Oui, bien sûr, reconnut-il, ce n’est pas bien. Mes parents disent ça aussi... Mais c’est dangereux ici aussi... Mais où sont les tiens ? Tu es seule ici ?
Elle le dévisagea de nouveau, semblant davantage apeurée encore, ses yeux brillant de larmes contenues. Elle secoua la tête et ses cheveux vinrent devant ses yeux.
− Y’a des gens... blancs... comme toi...pas gentils... Y sont arrivés la nuit... y sont entrés sans demander à Papa... Papa, y dit aussi... faut frapper pour entrer dans... maison... Et eux... ont pas fait... Alors Papa, y s’est mis en colère... a crié très fort... comme quand y se fâche... Mais eux, ils écoutaient pas...
Jason voulut faire un pas en avant pour s’approcher d’elle mais la fillette en fit trois en arrière.
− NON ! cria-t-elle, veux pas, veux pas... Mon Papa, y s’est approché, aussi... parce que... cassaient tout... ils ont dit « Va voir ailleurs, le sauvage ! » … après, ils l’ont tapé... Papa il a dit « Cours ! Va te cacher ! »... J’ai couru... je me suis cachée... après... après... y’avait plein de sang... partout... et Papa... y bougeait plus... Maman, elle était plus là...
− Ces hommes étaient des monstres, petite... Je ne suis pas comme ça... Tu vois, je suis blanc, c’est vrai... comme les personnes qui ont fait mal à ton papa... mais moi je vais pas t’en faire, d’accord... ?
Puis, sans savoir pourquoi, il ajouta :
− Ce n’est pas ta faute, tout ça.
Pris d’un élan de courage, il s’avança et s’empressa de prendre la fillette par les épaules et de s’agenouiller devant elle. Celle-ci se débattit.
− NON ! NON ! PAAAPAAA !
Dans son agitation, elle lâcha le chiffon. Comprenant que cela ne servait à rien d’essayer de la raisonner, il la lâcha et ramassa le bout de tissu. Alors, sans prévenir, la petite se jeta sur lui et essaya de lui arracher le vieux torchon. Elle griffa, mordit, si bien que Jason le lâcha et elle bascula en arrière, tombant sur ses fesses.
− C’est ton doudou ? demanda-t-il.
− Non ! C’est à Maman ! Le torchon à Maman ! hurla-t-elle de toutes ces forces en le serrant contre elle comme le trésor le plus précieux.
− Oh, très bien... excuse-moi.
Il recula d’un pas après s’être levé et ajouta en levant ses mains ensanglantées pour montrer qu’il ne lui voulait rien :
− Je te le laisse...
Il inclina la tête en avant et, avec un sourire, reprit doucement :
− Et je m’en vais...
Il s’éloigna à petits pas. La petite le regarda, il sentait son regard sombre braqué sur son dos. Il continua d’avancer malgré ces yeux qui le suivaient avec insistance.
Il ne regardait pas devant lui et il trébucha sur une tôle qui traînait. Il s’étala de tout son long sur le sol et il se releva, couvert de boue. Il s’apprêtait à pester mais, croisant le regard de l’enfant, il ne put rien dire.
Les yeux de la petite brillaient si fort et étaient si... si beaux ! Elle ne ressemblait pas à la petite qui était là il y a quelques secondes. Quelque chose avait changé en elle. Elle sourit, en réponse à ceux qu’il avait esquissé sans réaction de sa part. Pourquoi un changement si soudain, si brusque alors que quelque temps plus tôt, elle le mordait et le griffait ? C’était invraisemblable !
− Petite... je...
Guidé par son cœur, il fit un pas en avant et un autre, jusqu’à se trouver à un mètre d’elle. Debout, il la dépassait de deux bonnes têtes, si ce n’était plus. Alors, il se mit à genoux devant elle. Ils se regardèrent et une étrange sensation envahit Jason, une chaleur nouvelle. Il combla la distance qui les séparait et il sentit son petit corps contre lui. Il ne fit pas un geste et retint sa respiration, de peur qu’elle ne se débatte de nouveau ou qu’elle ne crie mais elle n’en fit rien. Le temps semblait suspendu. Il ne bougeait toujours pas, comme lorsque qu’on se trouve à quelques mètres d’un animal craintif et que, pour qu’il ne prenne peur, on ose à peine respirer. Elle se serra soudain davantage contre lui, rompant l’immobilité dont ils étaient victimes jusqu’à présent. Alors seulement, il referma ses bras autour d’elle.
Pour être honnête, il avait perdu le fil des événements mais il ne s’en souciait guère.
− Quel est ton nom ? demanda-t-il lorsqu’il fut sûr que la confiance s’était instaurée pour de bon entre eux.
− Je... je ne sais pas, dit-elle, troublée.
Jason réfléchit et même si la décision ne lui appartenait pas, il déclara :
− Très bien, alors je vais t’appeler Luna, ça te va ?
C’était la première chose qui lui était venu à l’esprit. Peut-être parce que la Lune amorçait sa course nocturne ou alors parce que le regard de la petite lui faisait penser aux cieux étoilés de la nuit ?
La fillette hocha la tête contre lui.
− Luna, comme la Lune, continua-t-il, parce que tu vois, tes yeux sont comme le ciel, là-haut, brillants.
− Comme la Lune ? demanda-t-elle en relevant la tête, étonnée.
Elle pleurait. Jason sentit les larmes lui monter aux yeux, sans qu’il puisse définir avec certitude pourquoi.
− Oui, confirma Jason.
Et sa voix se fêla.
Elle sourit et dodelina de la tête avant de se remettre contre lui.

− Jason ! appela une voix cassante.
Jason tressaillit brusquement, sortant de sa rêverie. Le professeur, M. Bressus, le regardait sévèrement, les deux mains appuyées sur sa table.
− Jason ! continua-t-il, peux-tu nous dire de quoi nous parlions à l’instant ?
− Euh... je...
− Adèle ! Aide notre rêveur s’il-te-plaît, exigea alors le prof avec un soupire exaspéré.
− Vous nous expliquiez, monsieur, comment les Indiens avaient été chassés de leurs terres et sacrifiés sur l’autel du dieu Argent.
− Parfait, je suis ravi de voir qu’il y en a au moins une, ici, qui suit. Merci Adèle.
Il s’éloigna de la table de Jason et expliqua :
− Bien... nous disions donc...
Jason sourit sans raison particulière et la voix de M. Bressus se perdit dans le tumulte de pensées qui envahissaient son esprit. Qui aurait su à quoi il pensait, à cet instant précis ? Peut-être pensait-il à une enfant qui tenait un vieux torchon déchiré ?