Marcher les yeux fermés

Écrit par VIGNERON Maé (5ème, Collège Victor Duruy de Mont de Marsan), sujet 2. Publié en l’état.

- Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous.

Depuis, nous n’avons plus parlé, nous marchons dans le silence. Nous avons pris la route il y a maintenant 4 H. Mon frère avait préparé des sacs à dos avec quelques vêtements, des provisions et une trousse de premiers secours. N’ayant pas de chaussures de marche, j’ai dû partir avec mes tongs rouge et jaune. A force de marcher, je ne sens plus mes pieds. Ils me font atrocement souffrir mais je ne dis rien. Il fait une chaleur étouffante : le soleil tape et il n’y a pas un bout d’ombre. Mes parents me manquent. Depuis qu’on est partis je ne pense plus qu’à eux. Pourquoi nous ont-ils laissés seuls ? Pourquoi ne nous ont-ils pas accompagnés ? Leur serait-il arrivé quelque chose ? Quand la nuit commence à tomber, nous avons déjà parcouru un bon bout de chemin pour arriver à la frontière. Nous plantons une tente avec difficulté car ni mon frère ni moi n’en n’avons planté de notre vie. Ce soir-là, nous mangeons les sandwiches que mon frère a préparés plus tôt dans la journée, et toujours dans le silence le plus complet. Ni lui ni moi n’ose dire un mot.

Cette nuit-là, je ne dors pas beaucoup. Je repense à ma journée, notre départ, les heures de marche. Pourquoi sommes nous partis si précipitamment ? Pourquoi fuyons-nous ? J’ai toujours pensé qu’il fallait se battre pour rester dans un endroit qu’on aime. Et j’aime ma maison, j’aime mon pays. Je me rappelle tous les bons moments passés en famille. Même si je n’avais plus le droit de sortir de la maison, même si je n’avais plus le droit d’aller à l’école car c’était devenu trop dangereux. Je me rappelle mes amis, ceux qui allaient à la mosquée, ceux qui priaient dans des églises. Je me souviens de nos jeux, avant, quand notre pays n’était pas en guerre. Je suis musulmane et, depuis que notre pays est attaqué par des terroristes, je n’ai pas pu aller une seule fois à la mosquée. Mais, le plus étrange, c’est que mes parents n’avaient jamais parlé de partir, enfin, en tout cas, pas devant nous, ils disaient juste que c’était très dangereux de sortir de la maison.

Au bout de quatre jours, nous arrivons enfin à la frontière. Nous évitons les policiers chargés de nous empêcher de passer et nous nous glissons sous les fils barbelés. Une fois la frontière franchie, nous ressentons un grand soulagement. Pourtant nous devons continuer car nous devons encore trouver un pays sûr.

Mon frère m’a dit que le but de notre périple est un pays éloigné qui s’appelle l’Angleterre et, depuis, même si je me sens maintenant en sécurité, je m’inquiète encore plus pour mes parents. Sont-ils vivants ? Vont-ils nous rejoindre ? Depuis notre départ, ils ne nous ont donné aucun signe et quand je lui demande où ils sont, mon frère s’énerve. Il me dit qu’il n’en sait rien, et que, de toute façon, je n’ai pas besoin de savoir. Je ne réponds rien, même si, au fond de moi, je suis en colère. Bien sûr que si, ça me regarde ! Ce sont mes parents, et s’ils ne sont pas à nos côtés, je mérite de savoir où ils sont.

Un jour, à mon réveil, j’ai très mal aux pieds mais on n’a plus de pansements. Je me plains d’avoir mal quand une femme, elle aussi en fuite, nous propose de l’aide. Elle nous dit qu’elle a tout ce dont j’ai besoin. Alors on s’arrête, elle ouvre son sac, et elle m’applique une pommade « magique », qui, selon elle, fait disparaître la douleur. Ensuite, elle pose des pansements sur mes ampoules et elle me dit qu’elle s’appelle Haya.

Depuis, Haya nous a pris sous son aile. Pour moi, c’est comme une maman qui veut toujours protéger son enfant. Elle nous aide à trouver de la nourriture, à planter notre tente, et elle me masse les pieds quand j’ai vraiment très mal.

Un soir, elle nous guide vers un bateau car elle nous a dit que c’est plus rapide et moins dangereux pour nous de traverser la Méditerranée que de continuer notre route à pied. Même si c’est illégal et si c’est risqué, elle a dit aussi qu’on avait plus de chance de s’en sortir en traversant la mer. Mon frère est d’accord. Alors il donne de l’argent à un homme et nous embarquons avec Haya et sa famille. Arrivera-t-on à bon port ? La mer est démontée et j’ai peur car j’ai entendu une femme dire que ce genre de bateau pouvait couler et qu’un enfant a été retrouvé mort tout seul sur une plage.

Le voyage dure des jours. J’ai froid, j’ai faim. Chaque fois qu’une vague passe par-dessus bord, je crois que le bateau va se renverser et j’ai peur de mourir. Mais non, nous arrivons sains et saufs et je suis soulagée de descendre de la barque et d’être enfin loin de la guerre et de la violence.

Lorsque mon pied touche la terre, je saute de joie mais mon frère me demande aussitôt de me calmer car nous devons encore beaucoup marcher. Ce soir-là, pendant qu’il plante la tente, Haya me prend à part. Elle me raconte que les habitants d’ici n’aiment pas trop les gens comme nous et qu’il va falloir qu’on se batte pour trouver une place parmi eux. Elle me dit aussi que certains sont pleins de préjugés et qu’ils pensent que nous sommes des bons à rien, voire des meurtriers ou des terroristes. Que nous quittons notre pays par choix, ou que nous ne venons que pour toucher leurs allocations. En me regardant droit dans les yeux, elle ajoute :
- « Il ne faudra pas que tu fasses attention à ce qu’ils pensent, il faudra que tu te battes pour te défaire de leurs préjugés, que tu leur prouves que tu es capable de beaucoup de choses. Il faudra aussi que tu leur montres que tu as quitté ton pays par obligation, à cause du danger, de la guerre, et non par choix. Que tu leur montres que tu es là pour te construire une nouvelle vie. Il faudra que tu trouves un travail, un logement. Que tu aies tes papiers, une carte d’identité, que tu fasses attention à ta santé et que tu restes avec ton frère. Promets-moi que tu feras tout ça. ».

Je lui en fais la promesse. Puis, comme elle sera avec nous, je lui explique qu’elle pourra toujours veiller sur moi. C’est alors qu’elle m’annonce qu’elle ne viendra pas avec nous, car le but de leur exode, à elle et à sa famille, c’est l’Allemagne, un pays où elle a de la famille et qu’elle va rejoindre. Je suis effondrée. Pour moi, Haya est comme une deuxième maman, elle nous a accompagnés, elle a toujours été avec nous durant notre voyage. J’ai déjà perdu ma maman, je ne veux pas perdre Haya. Mais je ne peux rien faire, je sais que si je la supplie de rester ça ne changera rien, et je n’ai pas à faire ça, c’est son choix et je le respecte, je ne vais pas l’empêcher de partir juste pour qu’elle reste avec moi. Maintenant, je n’ai plus qu’à profiter des derniers moments passés avec elle avant que nos chemins se séparent.
Un soir, j’ose demander à mon frère pourquoi nos parents ne sont pas venus avec nous et s’ils vont bien. Au début, il ne veut rien me dire. Puis, il me dit de m’assoir. Et là, il m’annonce :
- « Papa a été obligé de faire la guerre. Et maman devait rester avec lui. Ils savaient qu’on était en danger… Alors, un soir, il m’a pris à part et m’a demandé de t’emmener le plus loin possible d’ici. Il m’a fait promettre de veiller sur toi. Tu t’en doutais sûrement, mais on ne les reverra jamais, je suis désolé… »

J’éclate en sanglots, et maintenant c’est tout le chagrin que je cachais depuis des semaines qui s’écoule sur mes joues. J’avais toujours eu espoir qu’ils nous rejoignent et maintenant j’apprends que je ne les reverrai jamais. Mon frère me prend dans ses bras et se met à pleurer lui aussi. Qu’allons-nous devenir ? Quelle vie maintenant sera la nôtre ? Jamais jusqu’à ce jour, je n’avais vu mon frère pleurer. Mais aujourd’hui, lui aussi il pleure. Car lui aussi, c’est un enfant et il a du chagrin.

Le lendemain, c’est le jour des séparations. Nous disons au revoir à Haya et sa famille. Je l’embrasse très fort et elle me chuchote dans l’oreille : « ne pleure pas, ma fille, on se reverra, je te le promets. Mais tu vas beaucoup me manquer. ». J’essaie de me montrer forte. Je souris et, quand elle s’éloigne, je lui fais au revoir de la main. Je serre mon frère dans mes bras pour m’empêcher de pleurer. Je suis triste mais je n’en oublie pas moins la promesse que j’ai faite à Haya : je vais me battre pour trouver une place dans mon nouveau pays et avec mon frère.

Ai-je tenu ma promesse ? Des années ont passé maintenant… Depuis, je n’ai jamais revu Haya mais j’ai pu aller à l’école. J’ai appris une nouvelle langue… Grâce à une famille qui nous a accueillis, j’ai pu aller à l’université et j’ai fait des études de médecine. Aujourd’hui, je suis membre d’une association qui s’occupe des personnes comme moi, les migrants qui fuient la guerre et la violence, ceux qui quittent leur pays pour survivre et pas par choix…

Aujourd’hui, j’ai un travail et j’ai aussi fondé une famille. Chaque dimanche, je retrouve mon frère pour partager un repas avec sa femme et ses enfants. Je n’ai pas oublié mes parents. Je les ai mis au chaud dans un coin de mon cœur et j’essaye de vivre. Même sans eux et même s’ils me manquent.

Plus tard, je raconterai mon histoire à mes enfants et ils seront fiers de moi. J’en suis sûre.