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O’CALLAGHAN Conor

Irlande

Personne ne nous verra (Sabine Wespieser, 2022)

DR

Poète et romancier originaire de Dundalk en Irlande, Conor O’Callaghan a démontré en deux romans un talent rare pour mettre en scène des drames familiaux dont les rouages captivent le lecteur par un habile sens de la suggestion. Il vit aujourd’hui à Sheffield, où il enseigne la littérature, la poésie et l’écriture créative à l’université. Après plusieurs recueils de poésie, il publie en 2016 un premier roman très remarqué, dont Le Monde des Livres fait l’éloge deux ans plus tard à sa sortie en France : “On lit d’une traite à la fois un polar et un poème, en une langue étrange et familière que personne ne pratique vraiment”. L’auteur récidive en 2021 avec Personne ne nous verra et nous plonge au cœur de la relation compliquée entre un père chagriné et sa fille, sur une route vers le sud de la France. Leur histoire et leurs lourds secrets font le moteur de ce récit haletant, nimbé de mystères.


Bibliographie

  • Personne ne nous verra (Sabine Wespieser, 2022) traduit de l’anglais (Irlande) par Mona de Pracontal
  • Rien d’autre sur Terre (Sabine Wespieser, 2018) traduit de l’anglais (Irlande) par Mona de Pracontal
Personne ne nous verra

Personne ne nous verra

Sabine Wespieser - 2022

Au sujet de Rien d’autre sur terre (2018), le premier roman de Conor O’Callaghan, Barbara Cassin écrivait dans Le Monde des Livres : « On lit d’une traite à la fois un polar et un poème, en une langue étrange et familière que personne ne pratique vraiment. »

Il en va de même pour ce nouveau livre, aussi puissant que mystérieux : le cœur brisé par une histoire d’amour malheureuse, le narrateur, Paddy, a accepté au pied levé de convoyer un gros camion vers le Sud de la France. Le premier chapitre s’ouvre dans la cale du ferry, au moment où s’abat la porte de déchargement. L’homme est intranquille… Est-ce parce qu’il a embarqué une passagère clandestine ? La jeune femme, la vingtaine, l’aspect rebelle et négligé, est sa fille.

Pendant la semaine que durera leur voyage, ces deux-là vont tenter de reprendre un dialogue apparemment suspendu. À la faveur du huis clos de la cabine, ils évoquent les années écoulées, dans une conversation hachée, souvent interrompue : l’enfance heureuse de Kitty aux États-Unis à l’époque où ses parents vivaient encore ensemble, la période pendant laquelle Paddy s’est retrouvé solitaire dans le Nord de l’Angleterre, mais aussi « la chose, sa chose, dont nous ne parlons jamais », épisode douloureux survenu dans la vie de la jeune fille et qui se révélera être le nœud de l’intrigue.

Le monde extérieur s’invite pourtant dans cette traversée qui commence dans la jungle de Calais, notamment lors des haltes inévitables au fil de leur descente vers le Sud : Paddy, autant que faire se peut, tente d’éviter les grandes tablées autour desquelles se retrouvent le soir les autres routiers, et notamment Carl, le chef d’équipe à qui il doit rendre des comptes. Kitty, elle, reste à l’abri et, lors de ces étapes, se glisse furtivement hors du camion, étrangement vêtue – on est en plein mois d’août 2015 – du manteau de vison de sa grand-mère. L’ombre de cette femme, une Irlandaise lectrice de Proust qui a appris le français en Camargue, s’invite souvent avec eux, et notamment quand son fils, le narrateur, apprend par un texto de son frère que leur maison d’enfance est à vendre.

Dans ce livre hypnotisant, la dérive de ces deux personnages hantés, perdus entre passé et présent, est ponctuée par d’incessants messages apparaissant sur l’écran du téléphone de Paddy : ceux de son frère, mais aussi ceux d’un interlocuteur impliqué dans la violente rupture amoureuse qu’il vient de vivre, comme des rappels de la réalité.

Poète, Conor O’Callaghan use en effet d’une langue bien à lui pour nous entraîner, en un magnifique lamento, dans les abîmes d’un chagrin qui ne dit pas son nom.

traduit de l’anglais (Irlande) par Mona de Pracontal

Rien d'autre sur terre

Rien d’autre sur terre

Sabine Wespieser - 2018

Quand il ouvre à la gamine terrifiée par la disparition de son père, le prêtre et narrateur de ce troublant premier roman en sait déjà long sur elle. Le village entier se perd en conjectures sur cette famille pas comme les autres, revenue depuis peu en Irlande et installée dans le pavillon-témoin du lotissement en construction.

Mais personne ne les connaît vraiment. Les bribes de confidences livrées par la petite fille, dans son anglais aux intonations bizarres, n’en révéleront pas beaucoup plus sur l’atmosphère inquiétante de la maison : les portes y claquent sans raison, l’électricité est subitement coupée, des objets se volatilisent, avant les habitants eux-mêmes… Tout cela sous une chaleur caniculaire, où le temps s’étire en d’insolites séances de bronzage, où des mots apparaissent, écrits sur la poussière des fenêtres, et où l’irrespirable air nocturne est empli de bruits étranges.

Des années plus tard, le prêtre, tout à sa tentative de comprendre ce qui s’est joué en cet interminable été, se heurte à nouveau au mystère de cette irruption soudaine dans sa vie : « À quoi ressemblait-elle ? disais-je. Elle ne ressemblait à rien d’autre sur terre. »

Toute la force du poète Conor O’Callaghan tient dans sa subtilité à suggérer, sans les expliquer, les ressorts du drame familial qu’il met en scène, de même que ses conséquences, notamment sur celui qui a recueilli la jeune fugitive.

Roman traduit de l’anglais (Irlande) par Mona de Pracontal