Papa, pourquoi es-tu revenu ?

Écrit par : JACQUES Ada (5ème, Collège Saint Exupéry, Chaumont-en-Vexin)

J’avais six ans lorsqu’il est parti. Il n’avait qu’à pas revenir comme ça, quatre ans plus tard. J’avais tellement prié, tellement espéré que la guerre le garde pour elle. Et maintenant, il était là, devant moi, et voulait que je l’embrasse. Jamais il ne pourra être mon père, jamais je n’appellerai quelqu’un papa. Je ne laisserai pas cet inconnu faire une place dans mon cœur et dans celui de ma mère.

Nous étions assis autour de la table et je regardais mon père fixement :

— Tu sers de la soupe à papa, m’a demandé maman.

Mais moi, je ne voulais pas. Je suis resté là, à regarder cet homme qui me lançait des regards attendris.

— Alors ?

Ma mère ne comprenait pas, elle s’impatientait devant mon air boudeur.

— Ce n’est pas grave, a-t-il dit, il ne sait plus trop où il en est, il ne faut pas le bousculer. Hein, mon p’tit gars ! Content d’avoir retrouvé papa !

Moi, j’ai secoué la tête. Non, je n’étais pas content qu’il soit rentré, et je savais parfaitement où j’en étais !

— Qu’est ce qui t’arrive, m’a dit ma mère qui semblait agacée.

Je ne reconnaissais plus ma mère, elle qui me comprenait toujours, qui ne se mettait jamais en colère. J’avais l’impression de l’avoir perdue. Il venait d’arriver et déjà il montait ma mère contre moi. Il allait tout me prendre, j’en étais sûr !

— Bon, on va faire un gros dodo, m’a dit mon père en me prenant dans les bras.

Énervé, je me suis débattu pour me retirer de l’étreinte de mon père.

— Arrête tout de suite ! a crié ma mère.

Cette fois, elle était vraiment énervée, jamais je ne l’avais vue comme ça .

— Calme-toi chérie, a murmuré mon père, il ne faut pas lui en vouloir.
— Si ! Il ne comprend rien !

Je me suis libéré des bras de mon père et me suis précipité dans ma chambre. Je pleurais à ne plus pouvoir m’arrêter, pourquoi ma mère me faisait ça, pourquoi faut-il que cet homme apporte tous ces malheurs. Moi qui me suis toujours bien entendu avec elle. J’essayais de m’endormir, mais en vain, les murmures qui venaient de la cuisine me tenaient éveillé. Alors, je me suis levé et j’ai collé mon oreille contre la porte.

Des bribes de conversation me parvenaient :

— ...des bombes explosaient de partout...
— ...le sol était recouvert de cadavres...
— ...on buvait de la gnôle...
— ...on dormait mal dans nos guitounes...
— ...quand ça explosait des bouts de corps étaient projetés dans les airs...
— ...mes amis mourraient un par un...

Puis je ne compris plus rien, ils parlaient très doucement et un faible filet de voix me parvenait. Je me recouchais en pensant à la guerre et à ce que mon père venait de dire. Je finis par m’endormir en rêvant de la guerre, que je n’avais jamais connue.

Le lendemain, je me suis réveillé et j’ai traversé le couloir. Je me suis aperçu que la porte de la vieille chambre était entrouverte et je l’ai poussée. Je vis ma mère au milieu d’un immense lit. Énervé et triste que ma mère n’ait pas dormi avec moi, je descendis les escaliers et aperçus mon père. Il était là en train de manger une plaquette de beurre à la petite cuillère, ce qui m’enleva le peu de compassion que je ressentais pour lui. Je m’approchais de la table pour prendre mon petit déjeuner tout en observant mon père. Il mangeait d’une manière si gloutonne qu’il me dégoûta totalement. Aucun père ne mangerait une plaquette de beurre et encore moins de cette manière. On est resté là à se regarder, puis j’ai pris mon sac et mon goûter, et je suis parti à l’école.

Maman ne dort plus avec moi ! Il a pris ma place, il m’a enlevé ma mère ! Je le déteste ! Ce n’est pas un vrai père ! Il n’aurait jamais dû revenir.

L’école était finie et j’allais rentrer chez moi, lorsque que j’ai croisé un camarade d’école qui avait environ six ans. Son père venait de lui donner une grosse sucette et le prenait dans ses bras et lui faisait faire l’avion. Je sentis les larmes me monter aux yeux, j’avais un nœud dans le ventre et mon regard se brouilla, ma gorge était serrée et je me sentis mal, déconfit. Je n’avais aucune envie de retourner à la maison, de retrouver ces personnes qui ne comprenaient rien. Cet homme qu’on me forçait à considérer comme mon père alors que je n’avais aucun souvenir de lui. Je décidai de ne pas rentrer à la maison et continuai à marcher le long de la grande route. Je me réfugiai dans un grand arbre, au milieu d’un champs. Je l’escaladai et m’assis sur une branche entourée de feuillages. La végétation était si dense que je ne voyais rien, les feuilles laissaient juste passer la lumière. Je m’allongeai et commençai à réfléchir, je ne voulais à aucun prix rentrer.

Je m’aperçus que j’avais faim, je fouillai dans mon sac et y trouvai mon goûter que je n’avais pas mangé. J’avais froid, j’avais peur et je me demandais si à la maison on s’inquiétait pour moi. Peut-être que non, que personne n’avait remarqué mon absence, qu’ils ne se souciaient pas de moi. Mais des fois, je m’imaginais qu’ils me cherchaient partout, qu’ils étaient en larmes et qu’ils avaient des remords. Mais moi, j’étais là, j’avais faim, j’avais froid et j’étais fatigué. Je pensais au confort qu’il y avait à la maison, à la chaleur, au bon lit qui m’attendait. Mais lorsque j’imaginais y retourner, je ressentais une sorte de dégoût, quelque chose me repoussait. Je n’avais pas envie de revoir leurs têtes et d’entendre leurs voix.

Je finis par m’assoupir, je rêvai de tranchées, de bombes qui explosaient, de corps plein de sang, allongés par terre et de soldats atterrés devant ce massacre. Je me réveillai en sursaut, j’étais plein de sueurs froides, je me redressai brusquement et regardai de tous les côtés. Pendant un instant, je m’étais cru au milieu des tranchées mais peu à peu, je me calmai.

Ces images passaient en boucle dans ma tête, j’avais dû me les créer avec un mélange de ce qu’on avait vu en classe et ce que mon père avait dit. Je repensai à une chanson qu’on avait apprise en classe, ça faisait « Mais pourquoi partir au front, heureux la fleur au fusil, avec tout ses compagnons d’infortune, fiers avec comme seule armure votre courage et votre honneur pour lutter contre la folie et la peur. » Elle me restait dans la tête et je me mis à la fredonner en me demandant si mon père la connaissait. Je me dis que mon père devait faire des cauchemars encore plus effroyables vu qu’il avait vraiment vu ça, il l’avait vécu. Il avait eu encore plus froid et plus faim que moi. Il avait vu des amis mourir et il avait survécu à tout ça. Finalement, c’est peut-être encore pire de revenir après avoir vu ça, on ne peut jamais redevenir le même après avoir vécu dans ces atrocités et cette misère.

La nuit tombait, et dans mon arbre je fredonnais ma chanson. Soudain, j’entendis une voix qui chantait exactement la même chose, c’était mon père que je reconnus grâce à sa voix grave. Je repris la fin avec lui et nos voix se mêlèrent « ...fiers avec comme seul armure votre courage et votre honneur pour lutter contre la folie et la peur. » puis nous restâmes silencieux. Il s’était assis en bas de l’arbre et était adossé à son tronc. Au bout d’un long moment de silence, il me demanda gentiment :

— Tu descends ?

J’eus un élan et m’apprêtai à descendre, mais finalement je restai là à l’observer. Sa voix était si douce et j’avais tellement l’impression de le comprendre. Pourtant je ne voulais pas faire la paix avec lui, je l’avais toujours vu comme un ennemi et je me demandais si un jour je pourrais le considérer comme un ami. Mais plus je le regardais, plus il me faisait pitié, là au pied de l’arbre. J’avais tellement de questions à lui poser... Mais je ne n’osais pas. Puis au bout d’un moment, je lui dis :

C’est...c’est horrible la guerre. Non ?
Affreux, murmura-t-il.

Après un long temps de silence, je me hasardais à poser une question qui me trottait dans la tête :

— Est-que tu as déjà tué quelqu’un ?
— …
— Hein ?
— Il se fait tard, et maman va s’inquiéter, tu descends.
— Pourquoi tu réponds pas ?
— …C’est pas aussi simple de répondre, mais un jour j’y arriverai, tu sais à la guerre on fait des choses que jamais un être humain aurait idée de faire. C’est une boucherie... quelque chose qui ne s’explique pas...