Poupée de paix ?

Écrit par Clémentine Aucouturier, incipit 2, en 3ème au Collège Eugène Fromentin de La Rochelle (17). Publié dans l’état.

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas desespérée d’une toute petite poupée de chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’est la guerre.
Déjà neuf mois s’étaient écoulés depuis le début de cet enfer. Autant que ceux d’une grossesse.Neuf mois pour créer un homme, neuf mois pour en détruitre sept cents mille.
Mais pour la femme, peu importaient les soldats tombés au combat. Il n’y avait que le coeur battant dans la chaude poitrine de l’enfant qui la préoccupait. Et pour celui-ci, il lui fallait fuir, encore et toujours. A peine s’arrêtait-elle dans un semblant de village – ils n’étaient plus que ruines- que les obus la rattrapaient, sa fille et elle, avec leurs sifflements de train et leurs flammes d’enfer. Elles devaient repartir, poursuivies pas le bruit des canons. Même le grondement du tonnerre d’orage ne parvenait à couvrir le hurlement de la guerre.
Sur les chemins de terre crevés par les trous d’obus, on pouvait les voir marcher, la femme au regard hébété tenant par la main une enfant qui ne devait pas dépasser 6 ans. Mais elles n’étaient pas seules. Quelques dizaines d’autres personnes marchaient dans cette même direction – l’inconnu.
Le soir, elles s’asseyaient toutes autour d’un feu qui, quand il n’était pas éteint par la pluie, luisait dans leurs yeux vitreux. Personne ne parlait, comme si la guerre leur avait ôté la capacité d’échanger. Seule une petite voix s’élevait de temps à autre pour réclamer sa poupée. Mais elle se perdait dans la nuit froide et sombre, où même les étoiles n’osaient se montrer.
Et puis au matin, elles repartaient. C’était une litanie sans fin, que seuls les bruits d’explosion venaient troubler. Parfois, des cris retentissaient, poussés par des gens rendus fous par le vacarme, le désespoir, la terreur ou la guerre. On ne savait souvent pas ce qu’ils devenaient.
Une nuit, l’air était si glacial que la petite fille s’était recroquevillée entre les bras de sa mère. Cette dernière fut soudain réveillée par les gémissements de l’enfant. Tendrement, elle la berça en fredonnant une vieille comptine jusqu’à ce que la petite se rendorme. Ce n’est qu’après que sa respiration soit redevenue régulière, que la femme remarqua la vive lumière qui enflammait le ciel. Mais ce n’était pas une lumière. C’étaient réellement des flammes. Et dans une région aussi pluvieuse que celle de Verdun, elles n’étaient certainement pas naturelles.

  • Ils arrivent ! hurla la femme.
    L’incendie se rapprochait vite. Trop vite. Si elle voulait sauver son enfant, elle ne pouvait attendre les autres personnes encore abruties par le sommeil.Elle prit la petite fille dans ses bras et se mit à courir. Rien ne la fit ralentir. Pas même les cris au loin, pas même la fumée lui brûlant les poumons. Et lorsqu’elle fut loin des flammes, elle ne s’arrêta pas pour autant. Ce ne fut que quand ses jambes refusèrent de la porter qu’elle s’écroula littéralement à terre. Elle dormit à même le sol, l’enfant serrée tout contre elle.
    Le lendemain, elles se remirent à marcher à travers la campagne. Tout était paisible, et les arbres parés de pourpre et d’or, comme en souvenir d’un temps où l’automne annonçait la cueillette des champignons. Aujourd’hui, ce n’était plus que la suite d’un été meurtrier.
    Tout en avançant, la femme se demandait ce qu’étaient devenus ses compagnons d’infortune. Avaient-ils péri dans l’incendie ou s’étaient-ils échappés à temps ? Elle se refusait d’imaginer le pire pour ne pas pleurer devant sa fille.
    Mais un soir, celle-ci lui demanda :
  • Dis Maman, tu crois que ma poupée a brûlé ?
    Ce fut trop pour la pauvre mère. A travers le jouet de chiffon, elle vit les femmes, les enfants, les vieillards partirent en fumée, et fondit en larmes. La petite fille la regarda sans comprendre.
  • Mais si c’est le cas, c’est pas grave, dit cette dernière, elle sera juste partie au paradis.
    Voyant que sa mère ne réagissait pas, elle ajouta :
  • Comme Papa. Tu sais, c’est ce que tu m’as dit quand on a reçu la lettre.
    La femme eut un sourire triste. Elle essuya les dernières larmes qui perlaient encore au coin de ses yeux et se jura de ne plus jamais se laisser aller ainsi. Elle était toujours vivante, de même que sa fille. Les miracles ne sont possibles que si nous y croyons.
  • Tu as raison, dit la mère, demain on continue à chercher ta poupée.
    Le seul accident notable – si on peut ainsi dire- des jours qui suivirent, fut une chute. La femme trébucha sur une pierre et tomba à terre. En se relevant, une goutte de sang vint rougir le sol.
    Puis la pluie se mit à tomber. Elle s’écrasait à terre en grosses gouttes, abreuvant la terre, mais transformant les champs de bataille, puis tout le paysage, en bourbier. La mère et l’enfant avaient de la boue jusqu’au bas de leurs jupes détrempées. Elles grelottaient de froid et se serraient l’une contre l’autre pour se réchauffer. Mais pourtant un soir, la mère s’écarta de sa fille.
  • J’ai chaud, dit-elle en frémissant.
    L’enfant leva la tête vers sa mère en claquant des dents.
  • Non, finalement il fait froid, se contredit-elle en revenant se blottir contre sa fille.
    Quelques heures plus tard, elle fut prise de tremblements. Et le lendemain, lorsqu’elle voulut se lever, ses jambes refusèrent d’obéir et la tête lui tourna.
  • Maman ? demanda la petite fille.
    Voyant sa mèreà terre, les yeux enfiévrés, elle paniqua, essaya toutefois en vain de la relever mais, à la vue de ses efforts inutiles, elle se mit en quête d’une tierce personne pouvant l’aider. Bientôt, ses petites jambes la menèrent jusqu’à un village qui semblait avoir été épargné par les obus. Les rues étaient désertes, mais de la lumière brillaient derrière les carreaux des habitations. L’enfant frappa aux premières portes qui vinrent s’offrir à elle. Certaines résonnaient dans le vide, d’autres refusaient de s’ouvrir, bien que la petite fille fut certaine d’avoir aperçu des silhouettes se profiler aux fenêtres. Enfin, l’une d’elle s’ouvrit. Un garçon assez jeune -peut-être 16 ans- se découpa dans l’embrasure de la porte. Il avait au bras un vieux fusil de chasse et la détermination dans ses yeux indiquait qu’il n’hésiterait pas à s’en servir contre les "boches". Ainsi telle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit la minuscule créature grelottante et couverte de boue.
  • Que veux-tu ? dit-il tout de même sur la défensive.
  • Tu... Vous... Il faut m’aider, articula l’enfant entre deux sanglots. Ma Maman est malade et je ne sais pas quoi faire, reprit-elle plus fermement.
    Le garçon se dit que c’était la Providence qui lui envoyait ceci. Il avait tant rêvé de combattre aux côtés de son père, prêt à risquer sa vie pour la patrie. I l n’avait qu’une envie, abattre le plus de boches possibles et sauver la France. Et enfin, il avait là une occasion de prouver sa bravoure et son engagement. Certes, ce n’était qu’une femme malade à secourir, mais les soldats – futur dans son cas- n’étaient-ils pas défenseurs de la veuve et de l’orphelin ?
  • Où est-elle ? demanda-t-il d’une voix qu’il voulait virile.
    Il suivit la petite fille jusqu’au corps de sa mère. La pauvre femme gémissait et délirait. Le garçon posa sa main sur son front. Elle était brûlante.
  • J’ai froid, murmura la femme.
    Elle avait de la fièvre. Mais lorsque le jeune homme la prit dans ses bras pour la ramener jusqu’à chez lui, sa jube embourbée découvrit le bas de ses jambes. Et il y avait là, au niveau du tibia, une éraflure d’une couleur verdâtre, d’où suintait du pus nauséabond. La plaie n’était pas profonde, mais cela avait suffi à l’infection. La jambe était gonflée, faisant presque le double de l’autre. Le garçon reposa la mère à terre et tourna la tête vers la petite fille qui posait sur lui un regard interrogateur – le regard des enfants sur la guerre et la misère humaine.
  • On ne peut plus rien pour elle, déclara le garçon, ça ne sert à rien que je la ramène.
  • Mais vous ne pouvez pas la laisser ici ! s’écria la petite fille.
  • Et pourquoi donc ? Elle va mourir !
  • Parce que... parce qu’il y a des gens méchants qui vont arriver et puis...
  • Des gens méchants ?
    Le garçon releva la tête et fixa la petite fille plus attentivement. Il ne l’avait pas remarqué immédiatement, mais l’enfant et la mère avaient tout de fugitives, chassées de leur logis par la guerre. On en voyait beaucoup, surtout depuis que la bataille de Verdun avait éclaté. Mais surtout, il y avait ces "gens méchants" dont avait parlé la petite fille. Ce ne pouvait être que les allemands, sans aucun doute. Il fallait évacuer le village. Un soldat devait toujours protéger les innocents, même au péril de sa vie.
    Le jeune homme se releva et reprit le chemin du village. Mais, apercevant l’enfant toujours immobile auprès de sa mère, il lui lança :
  • Qu’est-ce que tu attends, viens !
  • Mais... et Maman ? s’inquiéta la petite fille.
  • On ne peut plus rien faire pour elle, viens !
  • Pas sans Maman.
  • Eh bien, tant pis pour toi !
    La dernière chose que le garçon vit avant de repartir, furent les grands yeux emplis de larmes de l’enfant.
    La pluie se remit à tomber, mais elle ne bougea pas. De temps à autre, la petite fille se mettait à fredonner une chanson, souvenir d’un autre temps, celui d’avant-guerre. Au loin, on entendait le rugissement de la bataille. Et puis, un bruit retentit non loin de là. Quelques pas, et soudain, une ombre surplomba la mère et l’enfant. La petite poussa un cri d’effroi et se retourna vivement. Au dessus-d’elle, se tenait un homme grand et blond, tel un aryen qui se serait trompé de guerre. Il portait l’uniforme allemand et s’exprimait avec un fort accent germanique.
  • Qu’est-ce que faîtes-vous là ? Demanda-t-il.
  • Je... ma Maman est malade, répondit l’enfant avant de fondre en sanglots.
    Il aurait dû les, ou plutôt la tuer – la femme était déjà condamnée. Il était éclaireur, et aurait pu tout aussi bien les laisser à leur sort et faire comme s’il ne les avaient pas vues. Mais une guerre n’est pas un jeu d’enfants. Et les soldats ne sont pas de plomb.
    Le militaire prit la mère dans ses bras et, la petite fille trottinant derrière lui, partit sur la route battue par la pluie et le vent, en direction du village.
    Il était vide. Seul un chat famélique traînait son corps couvert de poussière à travers les rues désertées par la vie. L’homme s’engouffra dans la première maison qu’il vit. Elle n’était pas très grande, une petite salle de séjour s’ouvrait simplement sur une minuscule chambre, composée pour seul meuble d’un lit. Il y déposa la femme, lava la plaie infectée et la borda.Puis il la laissa et rejoignit la petite fille. Cette dernière s’était appuyée contre le rebord de la fenêtre -autant que le permettait sa taille, c’est-à-dire qu’elle s’était hissée sur la pointe des pieds pour voir au-dehors.
  • Pourquoi vous êtes là ?
    Jamais persone ne se demanda par quel hasard la petite fille était tombée sur un des seuls soldats allemands parlant quelque peu le français... puisque les miracles ne sont possibles que si nous y croyons.
    L’enfant lui raconta toute l’histoire, la recherche de la poupée et le reste. A la fin du récit, l’homme allemand sembla réfléchir un instant, puis il fouilla sa poche et en sortit un peit jouet de chiffon. La petite fille écarquilla les yeux. C’était la poupée. Sa poupée. Celle qu’elle croyait perdue sur un chemin de terre au-milieu du monde obscur de la guerre. Elle était là, devant elle, un peu sale, mais pas autant qu’elle-même, comme si elle l’attendait. L’enfant n’osait y croire. Lorsque le soldat lui donna la poupée, elle resta paralysée, le jouet dans ses mains. Un peu gêné, comme face à d’émouvantes retrouvailles, l’homme se retira dans la chambre. Il en revint, quelques minutes plus tard, le visage grave. La petite fille n’avait pas bougé. Elle tenait toujours sa poupée, telle que l’homme lui avait mise dans les mains.
  • Elle est morte, dit le soldat d’une voix sombre.
    L’enfant ne versa pas une larme. Ses yeux étaient secs d’avoir trop pleuré. Sans bruit, elle lâcha la poupée qui glissa à terre, et se tourna vers la fenêtre derrière laquelle on pouvait voir arriver dans les rues désertes, des soldats à l’uniforme allemand.
  • Je ne veux pas de ce bout de chiffon, déclara la petite fille.
    Le regard qu’elle portait sur le dehors était presque vitreux. Dans ses yeux, la lumière éclatante des flammes qui ravageaient le village n’était plus qu’une ombre.
  • Je voulais la paix.
    Je voulais. Les miracles ne sont possibles que si nous y croyons, encore.
    Et tout explosa.