Quelques grains de sable

Mona ABOUSAïD, en 2nde au lycée Expérimental, à Hérouville Saint clair (14), classée 5ème de l’académie de Caen

Quelques grains de sable

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »
Elle était jolie. D’une de ces beautés gracile que Victor ne pouvait apercevoir que dans ses rêves à lui. Les seuls qu’il ne cédait pas à Monsieur Paul. Mais outre ses cheveux roux, c’étaient ces yeux verts qui retinrent son attention. Vert profond, où se côtoyaient de multitudes de paillettes d’or et d’éclats de cuivre que la pénombre de la nuit n’arrivait pas à ternir. Vert profond, or pailleté, où la douceur se disputait le mystère. Mais outre ses cheveux de feu ou ses iris vert cuivré, ce fut sa voix, profonde et agréable qui lui rappelait celle de sa mère lui contant une histoire avant de s’endormir. Sa défunte mère.
Maman...
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Non, elle était belle. Et Victor en était bouleversé.
« Je m’appelle Victor » balbutia-t-il.
« Tu t’appelles Victor et moi, je suis Clémence. »
Clémence.
C’était un joli prénom. Et sa douce sonorité le fit frémir. Clémence. Clémence de feu cuivré.
« Tu m’as l’air perdu, Victor » lui fit elle remarquer, un doux rire s’incrustant dans le timbre parfait de sa voix.
Carrant les épaules, Victor essaya de se reprendre. Aussi jolie qu’elle fût ce n’était pas une fille qui allait l’intimider, lui, Victor, du haut de ces 15 ans et 8 jours.
« Non, ça va. Mais que fais-tu donc ici ? Je ne pense pas que ce soit un endroit vraiment approprié pour une gamine. »
« Je t’attendais. »
« Moi ? » S’écria-t-il presque, surpris.
« Non banane, le gars derrière toi ! Bien sûr que oui, toi. »
Agacé par l’ironie se dégageant des paroles de Clémence, Victor répliqua, piqué au vif :
« Ah oui ? Et qu’est-ce que tu veux alors ? »
Sans prendre la peine de répondre à sa question muette, elle se releva souplement.
« Suis-moi, Victor. » Sans aucune hésitation, notre jeune chasseur de rêve saisit la main que lui tendait la jeune fille.
Clémence leva les yeux et murmura d’une voix gutturale un mot dont Victor ne pût saisir le sens. Elle le regarda en souriant, une douce brise s’était levée, ajoutant une note d’étrangeté à cette scène lorsqu’une échelle de corde, surgit de nulle part, venait d’apparaître sous leurs yeux.
La jeune fille tourna sa tête vers lui et il se retrouva prisonnier de ces yeux verts. Il perdit pied. S’abandonnant aux pépites d’or et de cuivre car ce regard était univers. Les pépites d’ors et de cuivres étaient planètes, étaient étoiles, soleil, mers, océans, terres inconnues et mille fois foulées.
Clémence saisit le premier barreau de l’échelle et commença à s’élever, tenant toujours Victor qui, trop abasourdi par ce qui se passait n’eut pas la présence d’esprit de contester, les yeux de la jeune fille le retenant plus sûrement que des liens d’aciers. Et les deux adolescents s’élevèrent, laissant derrière eux les problèmes, les orphelinats, les inquiétants et mystérieux messieurs Paul, les rêves inconsistants et les rêves cauchemars, les rêves sources de tous troubles.
Bientôt ils dépassèrent les plus bas des nuages, traversant un cumulus imprudent se trouvant sur leur route.
Bientôt, ils atteignirent un autre nuage. Et sur cet autre nuage, une porte.
Une porte ?
Clémence et Victor atterrirent sur la surface duveteuse. Le jeune homme ne pouvait en croire ses yeux. Il était en train de rêver, c’est sûr. On ne peut pas marcher sur un nuage, c’est impossible. Les quelques pas hésitants qu’il effectua firent pourtant voler en éclat toutes les théories physiques et mathématiques qu’on lui avait imposées depuis son enfance, toutes les certitudes, tous les doutes.
Tout était possible.
Il marchait sur un nuage.
Clémence le regardait faire en souriant, attendrie. Elle le rappela tout de même. A regrets, mais le temps pressait.
Elle sortit de sa poche une clé faite du même bois que la porte et l’introduisit dans la serrure. Un cliquetis après, le battant s’ouvrit.
Le cœur de Victor battait la chamade. Devant lui s’étendait un océan. Sans réfléchir il fit un pas en avant et se retrouva sur le sable. La main de Clémence se posa sur son épaule et derrière eux, la porte se referma en un claquement sec. Les vagues, fatiguées de leurs longs voyages, se brisaient sur la rive et leur écume venait chatouiller les crabes et autres crustacés prenant un bain de soleil mérité. Loin au dessus d’eux, d’énormes oiseaux couleur vermeille se découpaient dans le ciel turquoise, virevoltant et enchaînant acrobaties audacieuses, piqués risqués et longs planés effectués sans que leurs ailes démesurées ne daignent bouger.
« Tu sais, je n’avais jamais vu la mer.. ».
Ces mots pourtant chuchotés se transformèrent en cri, en échos face à l’impressionnante chaîne de montagne se déroulant sur les côtés.
Emue, Clémence lui serra l’épaule un peu plus fort.
« Victor, il faut que je te parle de Monsieur Paul... »
« Comment connais-tu Monsieur Paul ? »
L’heure n’est pas à la justification mais à l’avertissement. Ecoute bien ce que je vais te dire. Les mots de monsieur Paul sont mensonges, tromperies, calomnies, inventions ! Cet être fourbe et dépourvu d’états d’âmes se joue de tes pensées, de tes sentiments il te leurre, ne lui fait pas confiance. Ses machinations sont malsaines, ne lui fais pas confiance...

Ne pas lui faire confiance.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
L’agréable bruissement des vagues s’est tu. Le ciel se couvre de nuages noirs. Tempête. Ouragan. Le majestueux océan le happe, devient tourbillon, l’air lui manque ; la pression de l’eau ceinture sa cage thoracique. Il est devenu pantin sous la fureur des éléments. L’air lui manque, il suffoque. Tout est fini...

« Hey petit, réveille toi ! »
Victor se relève brusquement. Face à lui l’océan a disparu, Clémence a disparu. Face à lui se tient un vieil homme au visage marqué par les traces du temps sillonnant sa peau.
« Clémence ! » s’époumone le jeune chausseur de rêve, oscillant encore entre la dure réalité et la douce et confortable imagination.
« Je ne sais pas qui est Clémence mais ce de quoi je suis sûr c’est que tu t’es endormi en plein milieu de la rue et qu’il faudrait peut-être bien que tu te lèves si tu ne veux pas te faire embarquer par ces satanés flics ! »
Hébété, Victor saisit la main secourable que lui tend le vieil homme. Le temps d’un regard et d’un sourire malicieux, le vieil homme se retourne et se perd dans la foule des hommes pressés se rendant au travail.
Victor se laisse choir sur un bac proche en essayant de rattraper les bribes de souvenirs qui s’éloignent rapidement. Le fabuleux regard de Clémence lui revient tout à coup en mémoire. Clémence... Avait-il donc rêvé ? La présence de quelques grains de sable sur ses sandales et ses doigts de pied lui ôte tous doutes pour les remplacer par une vague de certitudes. Levant vainement les yeux vers le ciel pour apercevoir une dernière fois l’échelle de corde et Clémence, sculpteuse de nuage, de rêve. Vainement. La certitude remplace le doute.

Mystérieux et inquiétant monsieur Paul...