Régis Couder : un texte à dire à haute voix

AK DAN-NOU, AK PANSE-NOU

Un texte à dire à haute voix partout où des gens sont rassemblés, en
eux-mêmes, en groupes, en publics, sur les vastes media des ondes...


Sous la poussière la fumée des incendies
les misérables douches des tuyaux crevés
sous les coups
de douleur
des os brisés de nos chers ensevelis ou en-allés
demain ne nous parvient pas encore

« Les cadavres jonchent le sol »
dit le journaliste de Paris, plus tard il élargit sa pensée et dit
« les cadavres jonchent LES sols »
Faire pour nous autres commence ainsi : dire
les toitures les effondrements les trottoirs
les entrailles des bâtiments et des corps comprimées
écrasées jonchant rues esprits et mémoires
oui nos mémoires
par la Force broyées

On m’appelle à minuit, mon avion devait être à sept heures, cette voix m’annonce l’incroyable nouvelle qui gonfle ensuite pendant d’autres heures, et je ne suis pas avec vous . . .
« On est faibles ; on n’a pas assez de nourriture pour donner à manger ; on n’a pas assez d’eau pour donner à boire ; ôoo il y a tellement de morts... » La voix de Carel sur Twitter s’est tue. Il a dû partir à la recherche de sa petite fille, de sa femme
dans la ville disloquée.
Il ne nous l’a pas dit.
Il l’a juste fait.
Carel, ta voix poignante, tes doigts nettoyant ton visage
de trop d’émotion, journaliste de la ville-pays, tu as été
- même en boucle Carel tu as résisté -
pendant ces heures âme bouche du peuple
qui souffre
et fait ce qu’il faut faire

Je veux être avec vous
je veux avoir soif avec vous
je veux maigrir avec vous
que mes larmes sèchent aussitôt que coulées
sous cette poussière...

Des textes je vous disais
dans la cour sur les vingt centimètres d’estrade
à voix haute je vous les dis vous entendez
vous ne battez ni des pieds ni des mains

je ressens les retours de mes mots
dans votre silence en imprimant mes textes
en les glissant entre les feuillets transparents d’une chemise
Je veux être avec vous
que mon ventre passe dans mes bras
soulève redresse bâtisse des toits
qui plus jamais ne s’écroulent
recueille des eaux qui plus jamais ne croupissent
En repassant une autre chemise j’étais là-bas
en faisant ma valise j’ai chaud avec vous
entre des mains serrés des rires je vous parle
vitre de la jeep remontée contre la poussière
sourires de jeunes de lettrés plus âgés cercles d’attentes
en faisant ma valise je vous réponds je suis là

Nous marchons détournons nos pas
à cause de pierres en tas
nous marchons ici ne marchons pas ici
n’existe plus ce trottoir Cette haie
aux feuilles luisantes ne luit plus que
dans nos pensées nous errons
même la main dans la main parfois
nous sommes seuls

Ici je ne vis plus assez
je ne meurs pas assez vite
je suis moins vivant qu’avec vous
je veux vivre avec vous
_
Seuls où que nous soyons
c’est dans des images que nous marchons
de nos deux jambes deux pieds
ou de nos neurones miroirs
seul chacun d’entre nous
hébété de tant de cette haine de la nature
est mortellement laissé là
entre des pas qui n’avancent ni ne voient
chacun en lui-même en elle-même
longeant des cadavres les laissant là
nous croyons que ce n’est pas notre oeuvre

Rien n’est dit tout est à comprendre
et alors faire
Nous tous
désemparés que nous sommes

Ce bras jailli des décombres ces doigts qui appellent encore muets je me penche j’écoute de tout au fond il me semble que j’entends sa voix je déblaie je m’acharne bientôt je n’ai plus de bouts de doigts j’écoute du même fond monte par saccades la même voix maintenant avec nos phalanges moi et des passants avec nos dents jusqu’avec nos pensées nous creusons dégageons et une épaule puis la moitié affaissée de sa poitrine un petit tunnel avec notre souffle nous creusons jusqu’à cette voix cette bouche ton souffle alors sur nos lèvres parvient apaisé et tu meurs au milieu de nous dans des ténèbres à peine éclairées par notre obscure lumière d’amour. Inconnu, repose pour nous en paix.

Sous la poussière la fumée des incendies
demain ne nous parvient pas encore
mais déjà il nous étreint
Nous n’avons plus d’eau nous devrons la refaire
couler jusqu’à nos petits nos personnes âgées
demain s’appelle partager
Nous n’avons plus assez à la ville à la campagne à manger
demain s’appelle partager
Nous n’avons plus assez de toits de cabanes
pour étendre nos corps à tant de travaux fatigués
et laisser reposer décanter les boues qui troublent nos esprits
demain s’appelle écouter dire
Demain s’adresse à nous humains et aux bêtes
aux animaux aux herbes aux arbres
aux nuages montant de l’océan noyer nos pauvres actes
à la profondeur de la nature sous terre qui
reviendra demain et encore après demain nous blesser
mettre à bas nos oeuvres mais
Nous sociétés et peuples d’Amérique d’Europe du Monde
Nous société haïtienne demain s‘appelle Résiste
exister autrement qu’on a fait qu’on subsistait
demain s’appelle faire peuple dans le vaste flot de l’histoire
Nous y entrâmes fiers nous y rentrons forcés
Que le malheur nous lave de nos résignations
Demain faire et dire j’ Existe !

Régis Couder