Sacrées Tortues !

Nouvelle écrite par Linh SIMON, en 2nde au Lycée du Parc, Lyon (69)

Sacrées tortues !

Pourtant, ce matin là, elle avait envie d’aventure. Elle avait envie de sentir ce petit frisson qui vous envahissait quand l’adrénaline monte en vous. Aussi, elle décida d’aller chez sa grand-mère afin de pouvoir peut-être vivre quelque chose de passionnant, qui sorte de l’ordinaire. Avec sympathie, elle salua la vieille femme qui préparait le repas (Anna venait toujours déjeuner chez sa grand-mère le samedi matin). Sa fidèle tortue Gabrielle, dans la petite pochette fabriquée spécialement pour elle, elle se dirigea dans la bibliothèque de sa grand-mère. Elle poussa une chaise et empila quelques livres afin d’atteindre le dernier rayon de la bibliothèque. Avec précaution, elle déplaça les vieux ouvrages et entra sa tête dans le rayon. Tout de suite, de délicieuses odeurs chaudes et sucrées chatouillèrent ses narines. Elle s’avança davantage en poussant sur la pointe de ses pieds. Soudain, elle sentit la pile vaciller. Il y eut une sorte de tourbillon et elle fut emportée. En un clin d’œil, elle se retrouva sur les fesses au milieu de la place du marché de Shalingappa. Autour d’elle, les gens la dévisageaient avec curiosité. Elle ’’détonnait’’ avec le paysage. Son pantalon court en jean, son débardeur bleu clair, le mince gilet de coton et ses chaussures de toile fine contrastaient avec les saris traditionnels. Avant qu’elle n’ait le temps d’esquisser un geste, des mains rudes la relevèrent et lui arrachèrent le sac où se trouvait sa tortue.

  • C’est elle, s’exclama une voix grave d’homme, c’est elle qui l’a !
    En quelques secondes elle fut encadrée par des hommes armés. Ils étaient vêtus bizarrement, avec des habits qu’Anna n’aurait jamais pu nommer. Des sortes de pantalons bouffants, de larges ceintures de tissu et des gilets sans manche sur leurs torses musclés formaient leurs uniformes de soldat. Leurs armes étaient de grandes lances à la pointe effilée ou des sabres courts à la lame dentelée. Anna frissonna. Elle ne comprenait pas, enfin si, mais partiellement. Elle était tombée dans la bibliothèque (chose des plus curieuses à dire) et avait atterri sur la place du marché qu’elle connaissait. Il s’agissait de celle qu’elle voyait juste quand elle passait la tête à travers les livres. Shalingappa comme lui disait sa grand-mère, quand elle décrivait à la vieille dame tout ce monde merveilleux. Soudain, il y eut une voix plus juvénile que les autres qui retentit.
  • Que se passe-t-il ?
    Les grandes brutes devant elles s’écartèrent pour laisser place à un jeune homme. Il était très beau, magnifique même. Sa peau était légèrement cuivrée et ses yeux étaient d’un vert émeraude captivant. Ses cheveux d’un noir d’ébène brillaient sous les rayons du soleil. Il était vêtu de la même façon que les gardes ; cependant, du premier coup d’œil, il était aisé de voir que l’étoffe était bien plus coûteuse que celle qui composait les uniformes des gardes. Son gilet semblait avoir été fait dans le plus beau des velours, aussi noir que la nuit. Des broderies faites au fil d’or représentant des fleurs inconnues aux yeux d’Anna illuminaient le gilet. La large bande de tissu qui lui servait de ceinture était aussi dorée que les broderies de son gilet. Elle maintenait un pantalon bouffant violet foncé. En temps normal Anna aurait ri car cet accoutrement était ridicule, mais une petite voix dans sa tête lui conseilla de ne rien dire. Aussi elle baissa les yeux qui tombèrent sur des bottes de cuir brun magnifiques. Le geste que fit le propriétaire de ces bottes lui fit relever la tête. Lentement, il s’empara du sac dans lequel se trouvait Gabrielle et y jeta un coup d’œil. Ses yeux s’écarquillèrent et l’étonnement se peignit sur son visage. En douceur, il sortit la tortue d’Anna du sac.
  • Où… Où est-ce que tu l’as eue ?
  • La… La sacoche, bégaya Anna, c’est… c’est ma grand-mère qui me l’a offert.
  • Non, je te parle de la tortue.
  • Gabrielle ? C’est mon arrière grand-mère qui me l’a donnée.
    Le jeune homme fit un geste sec de la main :
  • Relâchez-la !
  • Mais… Mon prince…
    L’appellation ne surprit pas Anna, ce jeune homme avait tout d’un prince. Il enjoignit la jeune fille à le suivre. Aussi, sous les regards curieux des passants, six gardes se placèrent de façon à les encadrer pour que personne ne les dérange.
  • Je m’appelle Assif, je suis le fils du roi ici. Je ne sais pas d’où tu viens, mais certainement pas d’ici, tu ne portes pas les mêmes habits que nous. Comment t’appelles-tu ?
  • Anna. Pourquoi me parliez-vous de tortue ? Et que voulez-vous à Gabrielle ?
  • Ici la tortue est un animal sacré. Depuis mes dix ans, comme je suis le fils unique du Roi Elmar, j’ai en charge le bébé tortue de la Grande Tortue Sacrée. Elle sera le nouvel animal sacré lorsque je serais sacré roi. Cependant, à cause de mon étourderie, je l’ai égarée. Je dois absolument la récupérer. Quand je t’ai vue, j’ai cru pendant un moment que tu l’avais. Mais la tortue que tu as sur toi, n’est pas la mienne qui s’appelle Jasmina. Cependant, il y a quelque chose de bien plus étonnant. Quand les œufs ont éclos, seules deux tortues en sont sorties. L’une, Jasmine avait une étoile à cinq branches sur le ventre de sa carapace alors que la seconde avait une sorte de losange. Comme il ne fallait qu’une tortue sacrée, on a fait disparaître la seconde. C’est celle que tu as. Je me demande comment ton arrière grand-mère se l’est procurée, ces animaux-là vivent pendant des centaines d’année tu sais ? Si je ne retrouve pas Jasmine, mon père pourrait me déshériter ou pire me bannir du royaume !
    Anna hocha la tête pour acquiescer sans réellement comprendre tout ce que disait le jeune homme. Soudain une idée germa dans son esprit alors qu’elle posait le regard sur tous les fruits colorés des étalages des marchands, d’une petite voix elle demanda :
  • Où vit ta tortue habituellement ?
  • Dans le Jardin Sacré avec sa mère, la Grande Tortue Sacrée.
    ‘’Quelle imagination, pensa ironiquement Anna.’’
  • Tu as cherché dans tout le jardin ? Continua-t-elle.
  • Eh, bien… Le jardin est immense, cependant, hier soir j’ai oublié de fermer la porte. Il est plus que probable qu’elle se soit enfuie pendant la nuit.
  • Je pense pouvoir t’aider, déclara alors Anna.
  • Vraiment ?
  • Oui, je perds souvent ma tortue, Gabrielle. Amène-moi dans le Jardin Sacré, je suis presque sûr de pouvoir t’aider.
    Quelques minutes plus tard, ils étaient au palais, Assif la mena à travers un dédale de salles toutes plus magnifiques et richement décorées les unes que les autres. Ils arrivèrent enfin devant une immense porte à doubles battants, or et bleue lapis. Le prince sortit une clef qui semblait avoir été taillée dans de l’or et ouvrit la porte. Ce fut alors comme s’il avait ouvert la porte sur une serre exotique géante. Partout, retentissaient des cris d’oiseaux colorés. Mais la flore était encore plus étonnante, à quelques endroits, des fleurs immenses semblaient décoller du sol pour aller chercher le soleil dont les rayons passaient à travers le plafond de verre. Des odeurs boisées et sucrées régnaient dans l’air. Anna prit une grande inspiration. Jamais ils ne pourraient retrouver une tortue dans un aussi grand palais ! Soudain elle eut une idée.
  • Ma… Ma tortue, bafouilla Anna car elle parlait au fur et à mesure que les idées lui venaient, aime les légumes, je la retrouve souvent dans le cellier, y aurait-il un endroit où il y a beaucoup de légumes ? Un cellier ? Les cuisines ?
    A ces mots, le jeune prince donna l’impression d’avoir une illumination : il la prit par la main, et à la grande surprise des gardes, il la mena en courant vers un autre jardin. Ce dernier était beaucoup plus petit, moins bien entretenu, c’était plus une sorte de jardin potager. Quelques salades flétries poussaient au ras du sol. Anna reprit son souffle en appuyant ses mains sur ses genoux. Elle avait toujours préféré les livres au sport. Pendant ce temps, le prince se mit à genou et commença à inspecter le sol sous les salades.
  • Euh… dit Anna en se rapprochant, en général, les tortues apprécient vraiment le soleil à cette heure là, elle devrait être en plein soleil.
    Elle ne prêta pas attention à Assif qui se relevait. Il la bouscula et elle manqua de tomber. In extremis, il la retint. Ils furent soudain très proches. Anna pouvait entendre le souffle du jeune homme. Ses joues rosirent ce qui fit sourire le prince. Anna maudit intérieurement ses hormones. Qu’est-ce qu’il était beau ! D’un geste doux, il souleva une de ses mèches de cheveux et se pencha vers elle… Soudain, derrière l’épaule du prince, la jeune fille crut apercevoir quelque chose. Anna n’était pas très courageuse et n’avait aucune expérience avec les garçons, aussi elle se déroba pour aller voir ce qui bougeait. Victorieuse elle appela Assif :
  • C’est ta tortue !
    Rapidement, elle se baissa et prit l’animal sacré dans sa main. Le jeune prince l’enlaça avec joie.
  • Merci beaucoup ! Tu me sauves la vie !
    Et dans sa joie, il posa un baiser sur la joue de la jeune fille. A cet instant, il se passa la même chose que quelques heures auparavant. Une sorte de grand tourbillon entraina Anna loin de Shalingappa et des tortues sacrées…

Bien des heures plus tard, Anna marchait dans les rues de Paris. Une légère bise soulevait doucement ses cheveux. Elle rentrait chez elle après cette curieuse aventure et un bon repas chez sa grand-mère. L’adolescente ferma les yeux et inspira très fort, profitant de l’air moins saturé en odeurs délicieuses… Soudain… Un énorme choc en plein visage, puis une main secourable qui la retint afin qu’elle ne tombe pas. Elle ouvrit les yeux craintivement.

  • Ah, fit alors une voix chaude, je suis navré, je ne vous avez pas vu…
    Il s’agissait d’un très beau jeune homme aux cheveux noirs brillants, à la peau cuivrée et aux yeux d’un vert magnifique. Un profil familier aux yeux d’Anna. Il devait être un peu plus âgé qu’elle mais à peine. Il se pencha pour ramasser le sac d’Anna dans laquelle se trouvait sa tortue.
  • C’est à vous ? Je suis encore désolé de vous avoir bousculé, j’ai du mal avec le décalage horaire, je suis arrivé d’Inde hier. Je cherche la bouche de métro la plus proche, mon chauffeur est malade.
  • Euh… bafouilla Anna troublée, euh… J’y vais justement. Vous n’avez qu’à me suivre.
  • Excusez mon manque de courtoisie, j’ai oublié de me présenter, je me nomme Assif Elmar, fils de l’ambassadeur d’Inde.