Simon et les disparitions

Ce fut au moment où la coque basculait que Simon comprit qu’il n’irait pas pêcher ce jour-là, pas plus que les jours suivants. Il sentit son cœur battre de plus en plus fort dans sa poitrine, détacha le chien qui ne tenait plus en place et courut aussi vite que possible en abandonnant son matériel de pêche pour rejoindre sa voiture. Il fallait absolument rentrer et tout raconter à sa femme. Il fit entrer le chien par le coffre, ses pattes encore pleines de boue éclaboussèrent partout. Simon essaya de démarrer plusieurs fois, mais le moteur ne se mettait pas en route. Il réalisa qu’il allait devoir aussi abandonner son véhicule et rentrer à pieds. Ils redescendirent la rivière à toute vitesse pour rejoindre la grand route. Quand il arriva en ville, il s’arrêta devant le zoo pour reprendre son souffle quelques instants avant de traverser les rues lorsqu’il vit une immense pancarte où était inscrit :

ANIMAL SAUVAGE EN LIBERTE ! ATTENTION

Son sang se glaça, ses jambes flageolèrent et des frissons montèrent jusque dans son cou. Son chien aboya il semblait aussi effrayé que son maître. Simon le fit taire en le rassurant d’une caresse. Avant qu’il puisse repartir il vit alors le gardien surgir du zoo.

« Bonjour, dit ce dernier, vous allez bien ? vous avez besoin d’aide ?

  • tout va bien merci, répondit Simon, auriez-vous un verre d’eau ?
  • bien sûr, dit-il. Entrez un instant vous semblez épuisé.
  • Avec plaisir ! S’exclama-t-il en essayant de dissimuler son
    inquiétude. Il voulait surtout rentrer vite, mais n’osa pas refuser. Ils avancèrent jusqu’à la loge du gardien, Simon suivait l’homme à travers les allées. Malgré ses efforts pour le calmer, son chien était toujours tremblant et tirait si fort sur sa laisse que Simon peinait à le faire avancer. Chaque fois qu’ils passaient devant un enclos il gémissait, ce qui n’aidait pas Simon à être totalement confiant. Ici l’ours de l’Himalaya, la panthère des neiges, le panda roux, la girafe d’Afrique, le crocodile Australien, le kangourou, la mygale d’Asie, le lion…

Et soudain, un enclos vide. Simon s’arrêta, la voix hésitante, il demanda au gardien quel animal habitait cet enclos. Le gardien ne répondit pas, il continua d’avancer. En reculant, Simon lut l’écriteau au-dessus de l’enclos : louve de Sibérie. Il fut terrifié, il comprit aussitôt que l’animal sauvage en liberté était un loup, et qu’il pouvait être n’importe où. Il s’enfuit immédiatement, prit son chien sous le bras et sortit du zoo sans que le gardien ne s’en rende compte. Cette journée était décidément effrayante, comment allait-il raconter tout cela ? Et allait-on le croire ? Il eut peur de passer pour un fou.

Il continua son chemin jusque chez lui, en même temps qu’il marchait il repensait à tout ce qui venait de lui arriver et se demanda si tout était réel. Son chien aboya et le fit sortir de ses pensées, oui c’était bien réel. Il aperçut sa maison et prit une grande respiration avant d’entrer. Il ouvrit la porte d’un coup sec et sa femme se retourna en sursautant. « Simon ! dans quel état es-tu ? Tout va bien ? » cria-t-elle. En baissant la tête, il s’aperçut qu’il était entièrement couvert de boue et que ses vêtements étaient déchirés. Il ne s’en était même pas rendu compte jusqu’à présent tellement il avait eu peur. Encore essoufflé, il essaya de lui raconter son aventure, mais elle continua : « Où est la voiture ? tu as eu un accident ?! ». Il ne put pas dire un mot, elle était si inquiète qu’il n’osa rien dire. Il dit seulement que la voiture était tombée en panne et qu’il irait la récupérer le lendemain.

Ce soir-là, Simon ne réussit pas à dormir. Il revoyait toutes les images de la journée défiler dans sa tête : la rivière, sa partie de pêche impossible, le bateau, le zoo...au moment où ses yeux allaient enfin se fermer il entendit un cri dans la nuit. Un cri perçant, long et terrifiant : il pensa tout de suite au loup qui s’était échappé du zoo. Il sauta de son lit, le cri semblait très proche et quand il ouvrit la fenêtre de sa chambre il n’en crut pas ses yeux. C’était son chien qui hurlait comme un loup au milieu du jardin, jamais il n’avait fait cela avant cette nuit.

  • « Simon ! dis à ce chien de se taire, il va réveiller tout le voisinage ! » cria sa femme.

Simon descendit les escaliers, le cri devenait de plus en plus fort. Son chien était agité, comme s’il voulait s’enfuir et le garçon mit du temps à le calmer. Une fois la nuit redevenue calme, il repartit se coucher en espérant pouvoir tout raconter à sa femme le lendemain matin.

Le réveil sonna, quand il ouvrit les yeux Simon se demanda s’il n’avait pas rêvé. Il descendit au rez-de-chaussée, son chien l’attendait en bas et il vit à son regard que tout cela s’était bien passé. Il se rendit compte que sa femme était déjà partie au travail car elle lui avait laissé un mot sur la table à côté de sa tasse. Il avala son petit déjeuner, se prépara rapidement pour retourner à la rivière récupérer sa voiture et ses affaires de pêche. Le chien était déjà devant la porte, Simon l’emmena avec lui. En arrivant sur le chemin près des troncs d’arbres, il remarqua que certains avaient été enlevés pendant la nuit. Plus il avançait, plus son chien redevenait nerveux et Simon se sentit soudain inquiet, il ralentit et le chien se mit de nouveau à gémir.

Ils remontaient la rivière quand Simon entendit derrière lui les branches craquer, il s’arrêta et sentit que son cœur s’accélérait. Il tira sur la laisse de son chien et alla se cacher derrière un arbre, il aperçut une silhouette sur le chemin qui s’avançait vers sa barque toujours dissimulée. De là où il se trouvait il ne voyait pas qui était cette personne mais il eut l’impression de l’avoir déjà vue. Il essaya de calmer son chien qui allait se mettre à aboyer car il ne voulait pas se faire remarquer. Il vit sa voiture et se dit que s’il pouvait l’atteindre sans être vu il pourrait repartir, mais curieux de voir ce qui allait se passer il resta caché derrière le tronc et continua d’observer.
L’homme semblait chercher quelque chose près de la barque, il soulevait les branches et remuait les herbes pour regarder dessous. Mais que cherchait-il ? il avait l’air nerveux et regardait tout autour de lui. Simon espérait qu’il ne se ferait pas repérer, peut-être que cet homme était dangereux et peut-être qu’il avait un rapport avec la chose qui l’avait effrayé la veille. Il ne savait d’ailleurs pas ce qu’était cette chose, un animal ? un monstre ? Il avait eu si peur qu’il s’était enfui avant même de le voir. Et cet homme savait-il ce qui se trouvait là ? Simon se pencha pour voir ce qui se passait au bord de l’eau, il marcha sur une branche qui fit un bruit énorme et l’homme se retourna aussitôt.

  • « Qui est là ? cria-t-il

Simon dut retenir son souffle pour rester silencieux mais l’homme venait vers lui. Son chien tira d’un coup sur la laisse et s’échappa en courant, il essaya de le retenir mais n’y arriva pas. Il fut obligé de sortir de sa cachette et se dirigea prudemment vers le chemin pour tenter de ramener son chien. Soudain il se trouva nez à nez avec l’homme et comprit pourquoi il avait le sentiment de l’avoir déjà vu : c’était le gardien du zoo. Il portait des bottes et une combinaison noire, il était couvert de boue et Simon lui demanda : « Vous ? mais que faites-vous ici ?

  • « Je …je cherche quelque chose. » lui répondit le gardien, il avait l’air de ne pas vouloir en dire plus. Simon insista car il était intrigué de le voir à cette heure remuer les herbes dans la boue, il semblait avoir passé la nuit au bord de l’eau. Le gardien lui conseilla de ne pas rester là car cela pouvait être dangereux, à cet instant Simon comprit que l’homme savait peut-être ce qui se cachait dans la forêt. Il décida de rester malgré les conseils du gardien et le suivit en s’enfonçant dans la boue. L’inquiétude de Simon grandissait, il ne savait pas ce qu’ils allaient découvrir et son chien s’était remis à hurler, il remuait la queue et bondissait dans tous les sens.
  • « Allez près de ma barque, j’ai vu quelque chose hier. » dit Simon
  • « Qu’avez-vous vu exactement ? » demanda le gardien, avec de grands yeux .
  • « Je ne sais pas, je me suis enfui en courant c’est pour cela que j’avais l’air épuisé hier quand vous m’avez vu. »

Ils se dirigèrent vers la barque et le gardien fit signe à Simon de rester éloigné et de se taire, cette fois ce dernier suivit les conseils du gardien. L’homme s’approcha du petit bateau, enjamba les affaires de pêche que Simon avait abandonné et prit la canne à pêche dans ses mains. Il fit basculer la barque sur le côté et découvrit ce qui s’y cachait. Simon poussa un cri alors que le gardien se mit à genou et caressa doucement l’animal, « Tu étais là, dit-il, je me suis tant inquiété. »

Il fit signe à Simon de rester à l’écart et lui dit : « Ne craignez rien, je viens de retrouver la louve, elle a dû avoir aussi peur que vous. » Simon n’en croyait pas ses yeux, la louve était cachée sous sa barque, comment était-ce possible ? Le gardien rassuré d’avoir retrouvé l’animal échappé du zoo demanda à Simon de lui ouvrir le coffre de sa voiture pour la ramener. Il accepta sans réfléchit, ouvrit le coffre, le gardien déposa la louve qui semblait épuisée et affamée. Ils montèrent dans la voiture, tout allait rentrer dans l’ordre se dit Simon. Il n’était pas fou et il pourrait tout raconter à sa femme dès qu’il serait rentré.

Ils arrivèrent devant le zoo, ouvrirent le coffre et le gardien fit descendre la louve pour la faire rentrer dans son enclos et la soigner. Il remercia Simon pour son aide et lui fit des excuses, il avait causé du souci au jeune homme qui avait eu la peur de sa vie. Ce dernier remonta en voiture, caressa son chien qui lui aussi avait eu une belle frayeur. Au moment de repartir, il sursauta, le gardien frappait à la vitre et voulait parler à Simon.

« Attendez ! Je ne vous ai pas tout dit, avoua le gardien

  • Pardon ? demanda Simon
  • Ne retournez pas pêcher tout de suite… quand elle s’est échappée la louva attendait des petits… »

Simon comprit qu’il ne pourrait pas pêcher aujourd’hui, ni les jours suivants. Il se demanda même s’il retournerait pêcher un jour.