Souriez, vous êtes filmée !

Ecrit par Axelle Laurent (1ère, Lycée Faustin Fleret de Morne-à-l’Eau), sujet 1. Publié en l’état.

To be or not to be ?
Cette fois, la bonne formule serait plutôt : Sois une autre. Et fais face. Une seconde plus tard, une vive lumière l’éblouit.

La première chose qu’Alicia sentit, ou plutôt ne sentit plus, fut le casque que le régisseur lui avait plaqué sur le crâne quelques secondes plus tôt. Elle leva la main et ses doigts ne rencontrèrent que les mèches raides de sa tignasse, tirées vers l’arrière en une queue de cheval impeccable. La crainte l’envahit. Ce casque devait coûter une fortune ! Et elle l’avait perdu. Mais comment ? Elle n’avait pas bougé depuis…
C’est alors qu’Alicia prit réellement conscience du paysage qui l’entourait. Elle ne se trouvait plus au milieu du hangar, avec le producteur et les autres finalistes. Elle était au beau milieu de nulle part. Tout était gris autour d’elle. Quelques dunes s’élevaient au loin mais il n’y avait aucune trace de présence humaine. À deux pas de l’endroit où elle se trouvait, s’était posé un engin d’un noir rutilant. De chacun de ses côtés dépassait une aile similaire à celle des petits avions de chasse qui survolaient de temps en temps la petite ville qui l’avait vue naître. La jeune femme revoyait ces avions de temps en temps lorsqu’elle y retournait afin de rendre visite à ses parents. Toutes les deux semaines…

« Mais ce n’est pas de toi dont il s’agit ici ! » Se réprimanda-t-elle mentalement.

Elle était une enquêtrice galactique. C’est bien ce qu’avait dit le régisseur ? Mais elle ne savait rien d’autre. Nis son nom, ni ses antécédents, ni son caractère. Et elle soupçonnait que chacun de ses faits et gestes était retransmis en direct sur l’écran qui meublait le hangar d’où elle venait.
Alicia se ressaisit. Tant pis ! Elle créerait elle-même son personnage. Une expression déterminée s’afficha sur son visage et elle pivota, offrant son dos au vaisseau noir. De toute évidence, il n’appartenait pas à l’équipage sur lequel elle enquêtait : il était trop petit. Il devait s’agir du sien. Elle fit donc un pas dans la direction opposée… Et grimaça ; elle avait été chaussée de talons ! Soupirant, elle continua à avancer. Elle se retrouva bientôt au sommet d’une dune, regardant en contrebas un engin dix fois plus grand que celui qui l’avait emmenée ici. Celui-là était plat et long. D’immenses ailes de métal l’équilibrait de chaque côté et une vitre épaisse laissait entrevoir ce qu’Alicia supposait être la salle de contrôle. Il n’y avait, là non plus, pas âme qui vive. Alors que la jeune comédienne s’apprêtait à dévaler la pente vers l’engin, un grésillement retentit. Elle baissa les yeux vers le bruit, remarquant au passage sa combinaison noire et hyper-moulante. Le bruit provenait d’un petit boîtier accroché à sa ceinture, à côté de… d’un révolver ??!

« Ressaisis-toi ! Tu passes à l’écran ».

Alicia attrapa le boîtier et appuya sur le seul bouton visible. Aussitôt, une voix s’éleva, légèrement brouillée par de mauvaises fréquences :

-Lieutenant Dover ? Donnez votre position.

-Hum…L’atterrissage sur, heu, Edena 2 a été effectué avec succès. Je m’apprête à… pénétrer dans le vaisseau de l’équipage disparu.

Il y eu un silence puis :

-La situation demande-t-elle l’aide de renforts ?

-Pour un vaisseau vide et un équipage fantôme perdu sur des kilomètres de terre déserte ? Répondit-elle sans réfléchir. Je ne vois pas pourquoi.

-Très bien, répondit la voix, amusée.

Elle reconnut l’intonation masculine. Ce devait son supérieur. Elle attendit qu’il prenne congé.

-Eh Dover ?

-Oui ?

-Faites quand même attention à vous.

Puis le grésillement s’interrompit. Alicia rangea le boîtier et descendit la dune sur laquelle elle se trouvait. Puis, pour faire bonne impression, elle fit le tour de vaisseau en examinant avec soin des détails inexistants. Enfin, elle arriva face à la seule ouverture visible. Se rappelant au dernier moment de l’arme qu’elle portait, elle la sortit et la teint comme elle l’avait déjà vu faire maintes fois dans les séries policières. Elle enjamba l’ouverture et se retrouva dans l’appareil. L’intérieur était éclairé par une trentaine de petites lampes rondes accrochées aux parois. Elle s’avança jusqu’au centre de la salle qui, de toute évidence était vide.

-Il y a quelqu’un ? Prit-elle quand même la peine de demander.

D’abord, seul le silence lui répondit. Puis, elle aperçut du mouvement au fond de la pièce, à l’endroit le moins éclairé, suivi d’un bruit de verre brisé. Elle leva son arme et le pointa d’une main tremblante vers le fond de la salle. Okay ! C’était le tournage le plus réaliste auquel elle avait jamais assisté. Peut-être était-ce ce que Lucas Meron cherchait : une personne capable d’être quelqu’un d’autre dans une situation aussi réaliste. Peut-être était-ce cela, sa définition de « talent ».

« Eh bien, il va être servi ! ».

-Mettez vos mains bien en évidence, ordonna-t-elle rudement. Et avancez vers moi sans un geste brusque. À la moindre tentative d’évasion, je tire.
Mais rien ne vint. Pourtant Alicia sentait la présence de l’autre. Elle savait qu’il l’avait entendue et comprise.

-Vous êtes sourd ou quoi ? Cria-t-elle. J’ai dit…

Une détonation la coupa en plein milieu de sa phrase. Elle fut bientôt suivie d’une autre qui emplit le vaisseau d’un bruit sourd qui ne cessait de se répercuter sur les parois. L’actrice sentit quelque chose, une balle sûrement, lui effleurer l’oreille. Et avant qu’elle ne puisse effectuer le moindre geste, une douleur intense, presqu’insoutenable immobilisa son épaule.

C’était comme si tout son bras était en feu. Elle le sentait se consumer de l’intérieur, se frayant un passage lentement vers la surface. La jeune femme lâcha un juron en hurlant. Elle ne pouvait même plus toucher son bras de peur que ça n’empire. Quant à le bouger, ce n’était même pas la peine d’y penser.

-C’est pas vrai !! Cria-t-elle en s’effondrant sur le sol. C’était pas dans mon contrat, ça ! Je viens de me faire tirer dessus, bon sang ! Sortez-moi de là !!!
Au diable le film ! C’était la plus belle offre qu’on lui ferait jamais mais elle n’en avait rien à faire à cet instant.

-Vous vous trouverez un autre agent Dover ! Faites moi sortir d’ici. ET JE SAIS TRÈS BIEN QUE VOUS M’ENTENDEZ !!!

-Vous êtes flic ?

La voix sortait du fond de la salle, de là où on lui avait tiré dessus.

-Plus pour longtemps ! Grogna Alicia en bougeant involontairement son bras.

Un cri lui échappa et les larmes lui vinrent aux yeux.

-C’est vous qui m’avez fait ça ? Balbutia-t-elle.

Il y eut un bruit de pas claquant sèchement sur le sol en métal et l’inconnu apparu, enfin éclairé par la lumière. Il paraissait beaucoup plus jeune qu’Alicia ne l’avait imaginé ; peut-être la vingtaine. Il boitillait légèrement en tentant de supporter une arme trop lourde pour lui.

-Je ne savais pas, se défendit-il sans toutefois paraître réellement désolé. Je pensais que vous étiez…autre chose.

Bien que la jeune femme n’écoutait qu’à moitié, elle remarqua la peur qui avait affaibli la voix de son agresseur. Elle releva la tête, intriguée et attendit une explication.

-Après l’atterrissage de la Comète, c’est le nom de notre vaisseau, expliqua-t-il en voyant l’expression de la femme, nous nous sommes fait attaquer par des…j’ignore ce que c’était. Au départ, ils avaient l’air d’êtres humains normaux. Mais quand ils se sont mis à tirer sur tout ce qui bougeait, ils ont changés…physiquement je veux dire. Je n’ai pas attendu qu’ils achèvent leur transformation, je suis allé me cacher. Après une heure, quand les choses se sont calmées, je suis sorti de ma cachette et…

Il balaya la pièce des yeux, comme s’il revivait l’instant.

-…et ils avaient tous disparu. Il n’y avait plus aucune trace d’eux. Rien du tout.

-Et pourquoi n’avez-vous pas essayé de joindre la tour de contrôle ? C’est le silence total depuis que votre capitaine a annoncé votre atterrissage.

-Il y a eu une explosion. Elle a touché les commandes. De notre côté aussi c’est le silence total.

Alicia voulait vraiment le croire mais elle sentait que quelque chose n’allait pas. L’histoire entière sonnait faux.

-S’il vous plaît lieutenant. Dites-moi que vous allez m’aider à les retrouver.

Que pouvait-elle faire d’autre ? Elle était coincée dans ce monde virtuel et le seul moyen d’en sortir était sûrement de résoudre toute l’enquête.

-D’accord, soupira-t-elle. D’accord, je vais vous aider.

À peine ces mots étaient-ils prononcés qu’elle sentit le sol se dérober sous ses pieds. La chute fut longue et pourtant, elle n’eut pas le temps de crier.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle était à nouveau dans le hangar, dans cette horrible tenue en latex qui clignotait comme un sapin de Noël. Et le casque était de retour sur sa tête. Les cinq actrices compétitrices avaient toutes les yeux fixés sur elle et le visage plus blanc qu’un linge. Le régisseur, quant à lui souriait, apparemment content de ce qu’il avait vu.

-Vous êtes, s’écria-t-il lentement, exactement la personne que je cherchais !!

Alicia ôta le casque qui lui pesait sur la tête.

-Vraiment ? Répondit-elle. Quel dommage alors, que je refuse le rôle…

Le producteur, choqué, ne parvint même pas à réagir lorsqu’elle lui tourna le dos et s’éloigna vers les vestiaires afin d’enlever sa combinaison. Alors qu’Alicia tournait dans un couloir, elle aperçut dans une salle dont la porte était entre ouverte, un jeune homme assis sur une chaise, lui aussi en tenue de « casting virtuel ». Lorsqu’il releva la tête, Alicia reconnu avec surprise le garçon du vaisseau qui lui avait tiré dessus. Les yeux fermés, une expression de souffrance déformait ses traits. C’est alors qu’Alicia remarqua le sang qui s’écoulait de sa jambe. Celle à cause de laquelle il s’était avancé vers elle en boitillant.
Soudain, le doute et la crainte l’envahit. Elle courut aux vestiaires et, après s’être assurée d’être seule, ôta sa combinaison. Elle sortit poisseuse, souillée d’un liquide épais et visqueux qu’elle refusait de prendre pour du sang. Une goutte, mêlée à sa sueur, glissa le long de son bras, s’accrocha au bout de son auriculaire avant de s’écraser au sol, le colorant d’une sombre couleur écarlate.
Alors la douleur revint.