Texte de Georges Walter

Notre Woodstock

Tous les ans, dans l’air salé, ils s’invitent en notre compagnie. Il y d’abord - un peu distant, inévitable, mais après tout, il est ici chez lui avec sa tombe personnelle -, le vicomte René qui parlait si bien des Amériques. On a vu Jean Giono saluant Melville, et Robert-Louis Stevenson, distingué, discret, tout juste revenu de Silverado et d’Eldorado. Très remarqué, en compagnie de M. Korzeniowski, s’avance Edgar Allan Poe. M. Korzeniowski a navigué sur tous les océans avant d’écrire sous le nom de Joseph Conrad Le Nègre du Narcisse (ou l’on voit des Blancs avoir peur d’un Noir), tandis que M. Poe qui a narré dans les Aventures d’Arthur Gordon Pym l’incroyable odyssée du Grampus (où l’on voit un Noir terrorisé par le Blanc « Tekeli-li... Tekeli-li... ») n’a, comme le dit la chanson, ja-ja-jamais navigué. Pourtant, ils se parlent, en experts du même voyage (sur le terrible Océan de la page blanche) : « toute œuvre littéraire doit justifier son existence à chaque ligne ». Ce n’est pas Edgar, c’est Joseph qui le dit, mais Edgar aurait pu le dire, de même que les autres voyageurs impénitents dont les rêves, plus forts que le siècle, sont dissouts dans les embruns de Saint-Malo. Plus loin de nos nombrils, plus près de nos Amériques, nos géants nous accompagnent pour fendre la mer Rouge.

Georges Walter