Un choix sans retour

Marion GREZILLER, en 3ème au college Fabre d’Eglantine, Villeneuve Les Salines (17), académie de Poitiers, classée 1ère de l’interacadémie 5

Un choix sans retour

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »

La jeune fille, aux longs cheveux d’un noir profond, le regarda attentivement et lui répondit d’une voix douce :
« Je m’appelle Malia. »
Elle hésita un instant, prit une longue inspiration et précisa :
« Je fais partie des Bluedreamers. »
« Des Blue quoi ? » répéta Victor en ouvrant de grands yeux étonnés.
« Bluedreamers. »
Puis elle leva les yeux vers les étoiles et Victor suivit machinalement son regard. Là, il faillit bondir sur ses pieds et s’enfuir en courant : les étoiles et la lune étaient bleues !!!
« La nuit de la Lune Bleue… murmura le jeune chasseur de rêves. Juste une nuit par millénaire ! »
« Exact » répliqua Malia d’un ton vif. Elle le regarda droit dans les yeux et répéta pour la troisième fois : « Bluedreamers ».
Victor sursauta. Lune bleue. Bluedreamers. Rêve bleu. Il chercha dans sa mémoire ce que voulait bien pouvoir dire « dreamer ». Après quelques secondes de réflexion, cela lui revint : Rêveur !
« Rêveurs de bleu ? » demanda Victor en fronçant les sourcils.
« Oui. Les Bluedreamers sont les salariés de la Bluedreams Company. »
« Et ? »
« Regarde dans ta besace. »
Le jeune homme obéit et se figea. Son petit rêve était de l’exacte même couleur que la lune et les étoiles.
Victor respira profondément. Trop de surprises en trop peu de temps. Inspiration, expiration. Inspiration, expiration. Puis, sans trop savoir comment, il s’entendit dire :
« Qu’est ce que ça signifie ? »
Malia lui adressa un grand sourire… bleu, qui le dérouta encore plus, et bondit sur ses jambes pour entamer une course effrénée sur les toits de la ville.
Le jeune chasseur de rêves soupira, et tenta de la suivre du mieux qu’il put. Chose extrêmement difficile car la jeune fille allait aussi vite qu’un vent de tempête tant et si bien qu’on ne voyait plus qu’une silhouette virevoltant de toit en toit. Malia offrait un magnifique spectacle. Malheureusement pour Victor, il ne pouvait pas l’admirer, trop occupé à regarder où il posait ses pieds. Bientôt les toits des maisons disparurent sous les pas de Victor, laissant place à d’énormes rochers. Le jeune homme s’arrêta net. Regarda derrière lui. Ne vit rien d’autre qu’un sol de roche.
Renonçant à comprendre, il se remit à courir avec application. Victor était tellement concentré qu’il ne vit pas que Malia s’était arrêtée jusqu’au moment où il lui tomba littéralement dessus.
« Désolé ! Je… je t’avais… pas vue… » s’excusa-t-il en tentant de reprendre son souffle.
« Ça, je l’avais remarqué, merci » lança la jeune fille en se relevant tant bien que mal, car le sol de pierre était vraiment, vraiment très dur.
« Qu’est ce que tout ça signifie ? » répéta Victor.
« Tout ça quoi ? »
« Bah, la lune, le rêve… toi et ton sourire bleu » expliqua Victor en la regardant plus attentivement pour vérifier que sa peau n’avait pas de reflets bleus en plus. Et se troubla en remarquant pour la première fois qu’elle était vraiment très jolie.
« Pas bleu. Blue » corrigea la jeune fille.
« Ben quoi ! C’est pareil, non ? Le mot français et le mot anglais. »
« C’est vrai. Seulement le Blue est une couleur qui existe dans toutes les langues. C’est la couleur de la lune et des étoiles, ce soir. »
Le jeune homme écarquilla les yeux, prêt à passer toute la nuit à réfléchir à tous ces événements étranges. Mais Malia ne l’entendait pas ainsi :
« Ecoute, je n’ai pas toute la nuit devant moi et d’ailleurs toi non plus alors je vais passer directement au sujet principal. Assieds-toi s’il te plaît. »
Et elle montra l’exemple en s’asseyant elle-même. Victor fit donc de même, très attentif à ce que Malia s’apprêtait à dire.
« La Bluedreams Company est une entreprise qui récupère tous les rêves Blue. Ces rêves ont en fait des propriétés intéressantes : ce sont eux qui offrent l’inspiration aux plus célèbres auteurs du monde. Ce sont les Bluedreams qui ont permis à Victor Hugo ou aux sœurs Brontë d’écrire leurs chefs-d’œuvre. Bien sûr il faut que le sujet soit réceptif, ce qui arrive, en fait, assez rarement. Voila pourquoi, il y a beaucoup d’écrivains qui restent médiocres. En ce moment, les Bluedreams sont dans une période assez fantaisiste et leurs idées sont surtout faites pour attirer les jeunes : Pierre Botterro, Sophie Audoin-Mamikonian ou encore J. K. Rowling. »
« Tu en parles comme s’ils avaient une identité, un mode de pensée. C’est étrange » remarqua Victor.
« Mais ils pensent ! répliqua Malia. Mais assez divagué, ce n’est pas à moi de t’apprendre ce genre de choses. Du moins pas pour le moment. Enfin, les rêves Blue sont extrêmement rares et les Bluedreamers sont chargés de les récupérer. Comme ils sont très rapides, la Bluedreams Company nous dote d’une super-rapidité et d’une super-agilité. Tu as pu en attraper un parce que tu es LE chasseur de rêve du millénaire. Et chaque nuit de la Lune Bleue, nous recrutons un seul chasseur de rêves. »
Victor comprit immédiatement : c’était lui qu’ils avaient choisi. Le meilleur. Il eut immédiatement envie de répondre OUI ! Mais un détail lui revint à l’esprit : Monsieur Paul, comment allait-il faire pour le mettre au courant ? Il faudrait qu’il retourne en ville lui expliquer.
Comme si elle lisait dans ses pensées, Malia reprit le fil de son récit :
« Juste une chose, notre existence doit rester secrète pour tous les humains. »
« Mais il faut que je prévienne Monsieur Paul ! » s’exclama le jeune homme. « Mon patron » précisa-t-il.
Malia grimaça et répondit :
« Une société œuvre contre nous et vise à nous détruire ainsi que tous les rêves Blue. C’est la société d’un certain Monsieur Paul. Et je crains que ce soit le même que celui dont tu me parles. »
Victor réfléchit un instant et se rendit bientôt compte qu’il n’en avait pas besoin. Le jeune homme se leva et regarda Malia droit dans les yeux.
« D’accord. »
La jeune fille se leva à son tour. Et sans faire aucun commentaire, sortit un médaillon de la poche de sa tunique et le passa au cou de Victor.
« Te voila officiellement mon apprenti. Cours ! »
L’apprenti Bluedreamer s’exécuta et la vitesse le fit presque tomber. Mais bientôt son sourire devenu Blue éclaira sa route et il se sentit tout simplement heureux.
Malia le laissa à sa félicité quelques minutes. Puis elle lança un objet ovale et cria :
« Attrape ! »
Victor eut à peine le temps de réfléchir à ce qui se passait : un objet volant lui attira l’œil et sa main se tendit toute seule vers lui et l’attrapa au vol. Le jeune homme, un sourire incrédule aux lèvres, retourna vers Malia.
« Le premier exercice, lui dit-elle simplement, est le meilleur de tous. Mais tu devra en exécuter d’autres qui, eux, te feront énormément souffrir. »
Victor acquiesça. Il avait déjà hâte.
« Oh, un dernier détail. Comme nous n’avons la possibilité de renouveler nos membres que tous les mille ans et que nous ne serons jamais assez nombreux pour la tâche qui nous est confiée, nous ne vieillissons pas. »
Victor haussa les épaules. Il s’y attendait un peu.
Malia lui tendit la main et il s’en saisit.
Ils se mirent à courir, leur éblouissant sourire Blue éclairant la nuit.

Mille ans plus tard :

Une jeune fille bondissait de toit en toit : Une chasseuse de rêves. Cette nuit là, elle n’avait attrapé qu’un petit rêve bleu. Désespérant d’en attraper un autre, elle s’adossa à une cheminée en soupirant. Elle ferma les yeux, laissant le vent caresser son visage.
« Bonjour. »
La jeune chasseuse de rêves rouvrit brusquement les yeux : un jeune homme se tenait devant elle en souriant. La jeune fille fronça les sourcils : son sourire était bleu ! Intriguée, elle demanda :
« Comment tu t’appelles ? »