"La littérature-monde est indienne" par Eve Charrin (revue Esprit)

Ce n’est pas nous qui la contrediront ! D’autant que l’Inde sera la grande invitée de la prochaine édition d’Etonnants Voyageurs. L’Inde et sa formidable créativité, au cœur du monde qui vient, l’Inde dans sa diversité aussi, et la manière dont elle influe sur les littératures du monde, l’Inde et ses écrivains qui « en quelques années ont conquis la scène de la littérature mondiale ».

Et nous la contrediront d’autant moins que voilà dix-sept ans, et les premiers en cela, nous invitions des auteurs indiens à Saint-Malo ! En supplément à cet essai passionnant d’Eve Charrin qui devrait logiquement tous vous précipiter à Saint-Malo en juin prochain, vous pourrez lire ensuite le texte que nous avions publié dans le n° 11 la revue « Gulliver », parue dans l’été 1993, à la suite d’une édition du festival intitulée (déjà) « World fiction ». Avec la satisfaction aujourd’hui de nous dire que nous ne nous sommes pas trompés…

"La littérature-monde est indienne", un article d’Eve Charrin, publié dans la revue Esprit de Août-septembre 2010.

Ils chahutent les frontières géographiques, nationales, intellectuelles. Ils bousculent les certitudes. Que faire de ces écrivains indiens, ou d’origine indienne, tous anglophones, cosmopolites, qui, après Salman Rushdie, après Arundhati Roy, lauréate du Booker Prize en 1997 pour le Dieu des petits riens, ont en quelques années conquis la scène littéraire mondiale ? Vikram Seth, Amitav Ghosh, Jhumpa Lahiri, Kiran Desai, Aravind Adiga, Suketu Mehta, Lavanya Sankaran, Pankaj Mishra, Tarun Tejpal, Abha Dawesar, et d’autres : que faire de ces plumes qui ont émergé, à peu près en même temps que l’Inde, depuis le tournant du siècle ?

Bien sûr, il faut les lire, avant toute chose. Ces auteurs ont ample- ment mérité leur succès critique, leur reconnaissance mondiale, leurs traductions, leur moisson de prix littéraires prestigieux, Pulitzer et Booker compris. Mais ce n’est pas par goût de l’exotisme qu’il faut les lire : à cette aune on serait parfois déçu, et de toute façon ce serait un malentendu. Certes, ces écrivains parlent de l’Inde, toujours, que ce pays constitue ou non le lieu de leurs récits. Mais d’où qu’on la regarde, l’Inde n’est plus (seulement) exotique, en tout cas elle n’est plus du tout périphérique : elle est devenue centrale.


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Et l’édito du n°11 de la revue Gulliver

« WORLD FICTION »

En une année : le prix Nobel à Derek Walcott, poète caribéen de langue anglaise et d’ascendance africano-hollandaise, le très prestigieux Booker Prize à Michael Ondaatje, Sri-Lankais d’ascendance indo-hollando-anglaise, éduqué en Angleterre et vivant au Canada, le prix Goncourt à Patrick Chamoiseau, écrivain caribéen de langue française, chantre de la créolité - sans oublier le Goncourt des lycéens, décerné à Eduardo Manet... Un hasard, vraiment ? Peut-être pas si l’on considère que depuis le Booker Prize 1981, décerné aux Enfants de Minuit de Salman Rushdie, ce prix a déjà été décerné à deux Australiens, à un demi-sang Maori, à un Sud-Africain, à une femme d’ascendance polonaise, à un Nigérian, et à un exilé du Japon...
Un ras de marée. En train d’emporter tous nos repères, de bousculer quelques-unes de nos certitudes. Après des décennies de repli sur soi et d’abandon aux avant-gardes, quand on commençait à croire en péril le genre romanesque, l’évidence, tout à coup d’une littérature nouvelle, bruyante, colorée, métissée, qui nous donne à voir, à lire, enfin, le monde en train de naître. Les anglo-saxons, déjà, l’appelle « world fiction ».
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